lundi, janvier 16, 2006

Le grand retour de Charles Maurras

[Cette article présente le même type d'analyse que Le siècle de M. Pétain]

Le grand retour de Charles Maurras

par Charles Gave

Charles Maurras ? Qui se souvient de Charles Maurras ?

A dire vrai je me souvenais vaguement d'en avoir entendu parler lors d'un cours sur les idées politiques, il y a bien longtemps, à Toulouse, au début des années 60. Apparemment, il avait eu une grande influence sur la droite « nationaliste » de la fin du 19ème siècle jusqu'à 1945 avec son journal « l'Action Française », avait mal tourné pendant la guerre, avait été frappé d'indignité nationale à la libération et chassé de l'Académie Française, qui avait cependant refusé de lui élire un successeur..

Bref, une solide connaissance de salon ou de dîner mondain.

Et puis, cet été, j'ai été invité pendant une période très, très pluvieuse dans une de ces vieilles maisons de la province française où le temps est resté immobile ...

Et dans cette maison, oh bonheur, une merveilleuse bibliothèque, où le denier livre acheté datait de 1950... et dans cette bibliothèque, la collection complète et reliée de l'Action Française, dans laquelle je me plongeais avec une curiosité décuplée par le manque de soleil.

Quelle ne fut pas ma stupéfaction ! D'un seul coup, tout s'éclairait ! En fait, nul ne devrait chercher à expliquer la France d'aujourd'hui sans faire référence à Charles Maurras !

La pensée de Charles Maurras est en effet totalement dominante à tous les échelons du corps politique, diplomatique et médiatique en France, ce qui constitue enfin une explication rationnelle à nos malheurs actuels.

Cette pensée s'articulait autour de quelques postulats très forts, que je vais rappeler en quelques lignes pour ceux qui comme moi, ne connaissaient pas Maurras.

Le cœur du système, c'est bien entendu la haine.

Haine du capitalisme, haine de l'individualisme, haine de la démocratie représentative, tels sont les points d'ancrage de cette pensée. Toute haine a besoin de boucs émissaires pour s'y fixer. Dans le cas de Maurras, ils étaient tout trouvés : le monde anglo-saxon (Angleterre - Etats-Unis) et les marchés financiers tombés (d'après lui) sous le contrôle des Juifs, qui bien entendu représentaient la deuxième grande menace.

De ces haines coulent un certain nombre de principes d'action.

* Dans une discussion avec un adversaire intellectuel ou politique, le but n'est pas d'apprendre de la discussion par un débat « socratique », mais de détruire l'adversaire dont on sait dès le départ que c'est un salaud et un mauvais français.

* Une distinction est faite entre la « légalité », notion parfaitement compréhensible et opérationnelle et la « légitimité », idée purement subjective, non démocratique et non vérifiable (la légitimité est d'ordinaire de droit Divin, ou l'apanage exclusif de l'homme providentiel)

* De ce fait le recours à la violence est parfaitement compréhensible (les troupes de choc de l'Action Française, les camelots du Roi, se déplaçaient avec des cannes plombées, pour taper sur ceux qui n'étaient pas d'accord avec eux).

Mais revenons au temps présent, car le but de ce petit article n'est pas d'expliquer la pensée de Maurras mais de montrer à quel point elle explique la France d'aujourd'hui.

* Commençons par le plus évident : la haine du monde Anglo-Saxon. La dessus J.F Revel à tout dit et fort bien et il n'est pas nécessaire de rajouter quoi que ce soit.

* Continuons par l'anti-sémitisme, cette maladie de l'esprit. Dans l'imaginaire collectif, les « Juifs », responsables (chez Maurras) de tous les malheurs de la France et éternels apatrides, ont été remplacés par les « Israéliens », responsables de tous les malheurs du moyen-orient (et donc potentiellement de la France) et à qui on en veut curieusement aujourd'hui de ne plus être apatrides. Le feu vert pour cette résurgence fut donné par un fidèle lecteur de Maurras, de Gaulle lors d'une conférence de presse ou il caractérisa les Israéliens comme... « petit peuple sûr et lui et dominateur ». Cette remarque fut le signal qu'il était permis de redevenir antisémite, comme l'avait très bien compris Raymond Aron à l'époque. Je ne compte plus les dîners en ville ou de grands esprits (de gauche ou de droite) m'ont expliqué que je ne comprenais rien, qu'Israël ne tenait que grâce au soutien des USA, eux-mêmes tenus par le « lobby juif » aux Etats-Unis et que l'administration actuelle aux USA ne mène la politique actuelle que pour plaire à la minorité Juive fort influente dans la presse et à Wall-Street. Les deux arguments, contrôle de la démocratie par une minorité (Juive) et influence des marchés sur la politique (dictature des marches financiers), sont purement Maurassiens. (Tous les deux idiots, puisque 80 % des Juifs aux USA votent démocrate, et que le système financier outre atlantique est totalement décentralisé et réside de moins en moins à New York). Cependant, tous ceux qui étaient à la fois anti-américains (Israël, porte avions des USA au Moyen-Orient), contre la démocratie (Israël, seule démocratie au Moyen-Orient) et contre l'économie de marché (Israël à elle toute seule exporte plus que tous les pays arabes réunis, hors pétrole) purent réunir dans un seul bouc émissaire leur antisémitisme, leur anti-capitalisme et leur haine de la démocratie, et comme c'étaient souvent les mêmes, le résultat fut celui que l'on voit tous les jours...c'est-à-dire un retour en masse de l'antisémitisme sous de nouveaux oripeaux...Fort naturellement, à la suite de trente ans de propagande ininterrompue, pour 70 % des français, le pays le plus dangereux pour la paix mondiale est ...Israël (comme la Tchécoslovaquie en 1938 ?).

* Dans le système politique, nous avons assistée à une délégitimation totale de la représentativité des élus, au profit d'abord du Monarque- élu et intouchable (constitution de la Vème), ensuite des légistes (la technocratie) et plus récemment des organisations remplies de non élus mais censées être «légitimes » (altermondialistes, écologistes, représentants de religions liberticides etc). Comme chacun le sait, l'élection (comme le marché d'ailleurs), n'assurent pas une bonne représentation de l'intérêt général. Comme chacun le sait encore, le Roi, entouré de ses bonnes corporations et de ses légistes a toujours été la meilleure solution aux problèmes de la France. Encore une fois, voila une évolution qui aurait ravi Maurras ...

* En économie, rien ne nous a été épargné. Pour commencer, nous avons eu droit à une avancée en masse du protectionnisme. L'exception culturelle française, le refus de la « globalisation », la politique industrielle du champion national, le« patriotisme économique» ne sont que des mots pour protéger des médiocres en se servant de la puissance de l'Etat. Ensuite, nous avons eu une montée en masse des corporatismes (un exemple : la politique agricole commune) et de monopoles publics inefficaces dissimulant leurs recherches éperdues de rentes protégées sous le nom de « services publics ». Enfin, nous avons eu la reconnaissance tant recherchée par Maurras des corporations, sous le nom oh combien révélateur de « syndicats représentatifs » représentatifs sans aucun doute comme certaines démocraties étaient populaires il y a peu... (il n'y a même pas 10 % de salaries qui soient syndiqués) ....

* Dans le monde des idées, la débâcle est là aussi totale, entérinée par les succès du Monde Diplomatique, de Courrier International ou d'Alternatives Economiques. Quand on voit que Bernard Marris et Viviane Forrester ont remplace Raymond Aron, Sauvy et Fourastié comme phares de la pensée, on mesure l'étendue du déclin. De ce fait le Maurrassisme triomphe partout : primauté à l'intuition, montée de la pensée magique, appel aux communautarismes, refus de la science, retour à la nature, écologie (le terre ne ment pas, disait Maurras), refus du progrès technique, de l'industrie, utilisation de la violence (légitime, bien entendu !) dans les conflits sociaux ou dans les disputes telles celles perpétrées par José Bové aidés par des élus détruisant des cultures transgéniques, principe dit de précaution, digne de l'inquisition, introduit dans la constitution et stérilisateur de toute recherche nouvelle (nul doute que Pasteur ou Marie Curie auraient du être interdit d'expérimentation...) etc...

Mais restons en là, le lecteur aura compris, du moins nous l'espérons...

Un dernier détail reste cependant à préciser.

Le fait que la plupart de ceux qui revendiquent ces idées se disent « de gauche » aujourd'hui ne changent strictement rien à notre démonstration. Ils sont de gauche comme Castro est de gauche.

Il existe cependant une différence essentielle entre eux et Maurras.

Maurras écrivait dans un français merveilleux, et il avait une énorme culture classique.

Quand il ferraillait avec ses adversaires, on avait vraiment l'impression de contempler un escrimeur, et même si on détestait les idées, on ne pouvait s'empêcher de sourire.

Eux, ils n'écrivent pas avec une épée, mais avec des tromblons.

Et de culture, ils n'en ont point, sauf la pauvre vulgate marxiste qui en tient lieu à notre époque.

La conclusion s'impose hélas, d'elle-même : en France, la loi de Gresham marche fort bien, les mauvaises idées chassent les bonnes, et même dans l'expression des idées idiotes, nous sommes en plein déclin...

Charles Gave
Janvier 2006

5 commentaires:

  1. Excellent résumé de la pensée d'un homme qui, comme le rappelle l'article, avait pour lui, en dépit de ses errements, une culture littéraire qui fait défaut à ceux qui, aujourd'hui, sans le dire bien entendu, tente de marcher sur ses traces.

    Il est vrai que de rappeler à tous les thuréfiraires de la beauté de la terre leur continuité avec l'aphorisme maurassien sur la vérité de la terre s'apparent à leurs yeux du plus mauvais goût. Cependant, pour m'y être déjà essayé, je garantis un effet assez magistral dans la conversation!

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  2. Je suis assez d'accord avec votre analyse sur Maurras, que j'ai d'ailleurs très peu lu. Il est aussi effectivement important de rappeller qu'il a considerablement influencé les intellectuels francais d'avant guerre(exceptés les communistes et radicaux). C'était, il est vrai un monstre intellectuel classique. Mais franchement, dans le genre, je trouve plus plaisant de lire léon daudet, polemiste nationaliste(malheureusement antisémite), veritable génie des métaphores et adjectifs organiques, et de tant d'autres choses.

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  3. Ce qui est surtout intéressant, dans ce texte, c'est qu'il met en lumière l'étrange penchant d'une bonne part de notre "gauche radicale" hexagonale envers un stock d'idées déjà bien connues, mais que tout le monde a oubliées - celles d'une vieille extrême-droite radicalement anti-libérale. Ainsi se vérifie l'hypothèse selon laquelle les idéologies les plus nocives résultent en général de la fusion réussie de thèmes d'extrême-droite et d'extrême-gauche (comme "national-socialiste"). Du reste, du côté de l'Action Française, il y eut une tendance "de gauche" (avec Valois) que de bons auteurs (Nolte dans les années 70, mais Sternhell aussi et d'autres) considèrent comme la vraie matrice de Mussolini. La haine de l'Occident, démocratique et pluraliste, de l'Amérique qui incarne au plus haut degré ce concept d'Occident, l'appel au barbare - qui est censé "régénérer" une Europe "gangrénée par les ploutocrates", le populisme vulgaire (les "petits" contre les "gros"), tout cela, qui vient, en effet de l'Action Française (et au-delà du boulangisme), se retrouve étrangement chez nos "radicaux". L'évolution la plus significative et la plus inquiétante étant le lent passage de l'anti-sionisme à l'antisémitisme de certains de ses parangons : voir la complaisance odieuse avec laquelle certaines crapules accueillent et commentent le discours où Chavez dérape.

    Brice

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  4. "Je suis assez d'accord avec votre analyse sur Maurras, que j'ai d'ailleurs très peu lu."

    On s'en doutait ! D'ailleurs l'auteur de l'article ne l'a certainement pas beaucoup plus lu que vous, comme presque tous ceux qui utilisent cet auteur comme "totem d'execration" pour reprendre l'expression de Bruno Goyet! Pour ne pas rester totalement idiot, lisez donc la biographie intellectuelle de Maurras que vient de faire paraître S. Giocanti chez Flammarion (collection "Les grandes biographies"- septembre 2006).

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  5. > Merci pour la référence.

    > J'avoue ne connaître Maurras que par on-dits (alors que j'ai lu Marx, que j'ai trouvé saoulant, mais ça m'a permis de faire mienne la phrase de Reagan : "Un communiste est quelqu'un qui a lu Marx, un anti-communiste est quelqu'un qui a compris Marx.")

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