Pour ceux qui contestent que le risque juridique et financier attaché aux licenciements en France diminue le nombre d'embauches, une petite analogie : si le divorce était plus difficile et plus cher, n'hésiteriez pas à plus à vous marier et le nombre global de mariages ne diminuerait-il pas ? (il est d'ailleurs étrange que ceux-là même qui réclament plus "souplesse" dans les moeurs sont aussi les plus rigides concernant la vie au travail ; mais ces gens-là ne sont pas à une incohérence près.)
Un article des Echos sur l'éducation :
Vers l'éclatement d'une bulle éducationnelle ?
DENIS DESCLOS
Au-delà des erreurs de méthode et de communication imputables au Premier ministre, au-delà des convictions de chacun quant à la nécessité d'une flexibilité accrue du droit du travail ou quant aux méfaits supposés de l'économie de marché, et au-delà enfin des truismes sur les difficultés des générations qui arrivent sur le marché du travail depuis quinze ans à s'y faire une place (qui plus est une place décente), il subsiste quand même une question d'importance, laissée dans l'ombre tout au long de ces semaines de contestation étudiante, lycéenne et syndicale. Cette question est celle de l'équilibre (ou du déséquilibre) entre la quantité et la qualité de diplômés, d'une part, et les besoins de compétences des entreprises et des administrations, d'autre part.
La course aux diplômes observée depuis une quinzaine d'années n'est pas sans rappeler le phénomène des bulles spéculatives ou des crises de surinvestissement. Une « bulle » est une hausse exagérée et irraisonnée des prix sur un marché (marché financier, immobilier ou de matières premières). La hausse des prix s'auto-entretient pendant un temps en dehors de toute rationalité, par la croyance de chacun que le prix élevé d'aujourd'hui le sera encore plus demain. La bulle finit tôt ou tard par se résorber au travers d'une baisse brutale des prix, lorsque la rationalité économique reprend ses droits. L'histoire économique et financière est ainsi jalonnée de ces périodes de frénésie collective, depuis la tulipomania aux Pays-Bas au XVIIe siècle, qui avait vu le prix d'un bulbe de tulipe dépasser celui d'une maison, jusqu'à la récente bulle Internet, où n'importe quelle action de société se négociait à des prix délirants et sans commune mesure avec la taille de la société et ses perspectives de résultats, dès lors qu'il y avait un rapport plus ou moins lointain avec les nouvelles technologies. Une bulle peut aussi s'accompagner d'une crise de surinvestissement, comme ce fut le cas avec les chemins de fer à la fin du XIXe siècle. Et aujourd'hui encore, il est loisible de s'interroger quant à l'existence d'une bulle obligataire entretenue par les monceaux de liquidités produits par plusieurs années de politiques monétaires accommodantes et qui cherchent à s'investir, mais là n'est pas le sujet.
La comparaison du développement récent de l'enseignement supérieur avec une bulle financière paraîtra sans doute impropre et même hasardeuse à certains. Elle n'est néanmoins pas totalement dénuée de fondements. Chacun a pu constater que l'enseignement supérieur est devenu en une quinzaine d'années une véritable industrie, un marché au sens économique du terme, avec une demande toujours plus forte de la part des étudiants et de leurs parents, hantés par la crainte du chômage, et une offre de plus en plus plé- thorique, relayée par d'efficaces techniques de marketing et de communication. D'aucuns objecteront qu'une telle évolution ne constitue pas une bulle ou un risque de surinvestissement. Certes. En revanche, la ruée de prétendants aux diplômes, la sacralisation de n'importe quel diplôme dès lors qu'il est labellisé « bac +5 », l'illusion que ce label « bac + 5 » est une assurance sans faille contre le risque de chômage, une sorte de sésame supposé ouvrir les portes des entreprises, font furieusement penser à un phénomène de surinvestissement. Les candidats au diplôme font preuve d'une sorte de foi aveugle dans les études supérieures, sans se soucier de savoir si le diplôme qui sera obtenu a une réelle valeur « marchande », c'est-à-dire s'il répond à un besoin sur le marché du travail.
Cette sacralisation du diplôme se double en outre d'un engouement massif pour des métiers jugés à tort ou à raison plus « glamour », comme ceux du journalisme, de la communication ou de la culture. Les établissements d'enseignement supérieur ont surfé sur cette vague, multipliant les filières et les diplômes, et on a ainsi vu fleurir les DESS (devenus des « masters » sous l'effet de l'harmonisation européenne) spécialisés en « médiations culturelles et communication », « communication et échanges culturels » ou encore « identités, communication et développements interculturels ». Même en sciences de gestion, le risque d'une surpopulation de diplômés devient patent.
Comment ne pas songer à la crise de surinvestissement qu'a connue le secteur des chemins de fer à la fin du XIXe siècle, pendant laquelle ont été posés des tronçons de voie ferrée qui ne menaient nulle part ? A la différence de la sphère financière, où les ajustements sont rapides et brutaux, en matière d'éducation et donc d'hommes, ils sont forcément plus lents. Il n'en reste pas moins que ce surinvestissement éducationnel produit déjà son lot de frustrations et de désillusions, d'abord pour ceux qui ont cru que cinq années d'études après le bac leur permettraient d'accéder sans difficultés à l'emploi de leurs rêves, mais aussi pour les familles aux moyens modestes, qui ont souvent consenti des sacrifices importants pour financer ces études.
Il ne fait aucun doute que la qualification, qui provient pour partie des études et donc du diplôme, constitue la meilleure protection contre le chômage et les difficultés d'insertion. Mais encore faut-il que cette qualification réponde à un besoin. N'en déplaise à certains et peut-être même à beaucoup, une économie moderne a aussi besoin de former des plombiers ou des boulangers (sauf à accepter de les faire venir de Pologne ou d'ailleurs), professions qui n'ont rien de déshonorant et, surtout, qui ne sont pas moins rémunératrices qu'un poste de cadre en entreprise quand elles sont exercées pour son propre compte.
Quitte à être politiquement incorrect, rappelons que les entreprises sont mues avant tout par une rationalité économique et ne recrutent que les compétences dont elles ont besoin. A entendre les slogans des étudiants et des lycéens lors des manifestations contre le CPE, il est à craindre que la prise de conscience de ces quelques réalités économiques incontournables soit loin d'avoir eu lieu. Le réveil risque d'être douloureux...
DENIS DESCLOS est cadre dans une institution financière.
Titulaire d'un Doctorat en Biologie moléculaire et malheureusement au chômage depuis octobre je ne peux qu'aller dans le sens de l'auteur...
RépondreSupprimerA celles et ceux qui s'extasient devant le titre ronflant de Docteur es Sciences je leur rappelle toujours qu'il ne s'agit que d'un bout de papier, qui pour ma part dort désormais au fond d'un tiroir.
Revoyez "On connait la chason" pour son coté ironique de la thèse.
C'est le festival des Denis sur ce site ! M. Boizard, j'ai bien aimé votre parallèle entre licenciement et divorce. Effectivement, si le divorce était encore plus compliqué et cher, on se marierait sans doute moins...
RépondreSupprimerDenis CASTEL
http://www.deniscastel.fr