Un petit éditorial du Point :
Comment, en notre beau pays, habiller l'inertie politique ? Par quelles postures faire oublier l'impuissance lorsque les vaches sacrées de l'« avantage acquis » et la tyrannie du statu quo paralysent le pouvoir ? Comment faire illusion, comment s'illusionner ?
Pierre Mazeaud, président du Conseil constitutionnel, pointe publiquement l'incontinence législative : on demande à des lois pléthoriques de répondre à tout incident public monté en graine. Lois de circonstance, vides de dispositions « normatives », gonflées de déclarations d'intention, de proclamations édifiantes, de « politiquement correct » et autres vessies déguisées en lanternes.
Pierre Mazeaud parle d'or. Mais le verbiage législatif n'est qu'une variété de l'empire du Verbe substitué à l'action. A entendre nos caciques, on doit parfois se pincer : ne sont-ils pas eux-mêmes - et souvent depuis belle lurette ! - acteurs d'un pouvoir dont ils déplorent si justement les défaillances ? Jusque dans l'exercice annuel des voeux, à l'Elysée, à Matignon, le « voeu pieux » relève de l'art déclaratif, lequel nomme, énonce, promet, se grise de projets contradictoires, bref remplace par l'invocation le plat calendrier des mesures à prendre. A croire que la représentation élue ne retient que sa fonction « représentative », sa capacité à épouser les aspirations publiques. Et oublie l'action qu'elle a pour mission de conduire. Que devient un « pouvoir » qui peut de moins en moins ?
Ce n'est pas, bien sûr, de gaieté de coeur que le pouvoir réforme avec tant de lenteur, de craintes et de renoncements. Il espère toujours que le temps et la méthode Coué permettront à la France de combler le retard qui se creuse. Il redoute qu'en pressant le pas la résistance, ici ou là, de quelque Bastille syndicale n'allume une mauvaise mèche et que se dresse l'épouvantail d'une flambée incontrôlée de grèves du service public.
Il se trouve, hélas, qu'à ce jeu-là et au fil des ans une médiocrité résignée envahit la nation. La croissance patine à 1,95 % de moyenne entre 1992 et 2002. Quant au chômage - que presque toutes les grandes démocraties réduisent avec succès -, il est désormais si bien établi chez nous qu'on en vient à se féliciter... qu'il n'augmente pas. Nicolas Baverez n'est plus seul à peindre « la France qui tombe ». Le bilan de l'excellent Camdessus, les évaluations de l'OCDE ou de la Banque européenne d'investissements, les confidences de quelques hiérarques de Bercy, voire le rapport Beffa sur les retards de nos industries de pointe, tout suggère que l'atermoiement coûte de plus en plus cher et rend le rattrapage de plus en plus illusoire. Il nous faudrait une cure à l'anglaise, ou désormais à l'allemande. Nous en sommes loin !
Pour ne rien arranger, avec la mondialisation et les bas salaires d'Asie, la compétition s'accroît pour toutes nos entreprises, tandis que les exigences d'un actionnariat boulimique excluent les moins rentables. Ainsi se débattent-elles de plus en plus entre une « concurrence destructrice d'emplois et une exigence croissante de rentabilité immédiate ».
Le libéral bon teint qui me peint cet étouffoir ne recommande pas pour autant le bouche-à-bouche étatique. Ce n'est pas d'assistances nouvelles, et encore moins de dirigisme, que nos entreprises ont besoin. Elles veulent tout simplement moins de charges et moins d'interdits pour courir mieux. Ce n'est pas chez nous que fonctionne la « destruction créatrice » où les emplois détruits sont aussitôt remplacés par des emplois au moins aussi nombreux nés de l'innovation. N'y rêvons pas ! L'« exception française » refuse cette voie libérale qui réussit ailleurs. Elle se cramponne au vieil emplâtre social partout ailleurs rejeté.
Alors, prenons garde que sous la feinte sérénité de la France d'en haut ne se répande dans la France d'en bas une dangereuse nappe de grisou !
Comme on l'imagine, dans ce climat, la consultation référendaire du prochain printemps devient épineuse. L'acrimonie nationale y trouvera une occasion - déplacée mais commode - de se débonder. Elle s'ajoutera à l'hypothèque de la question turque, peu aisée à écarter du débat tant l'adhésion ottomane implique une certaine idée de l'Europe qui déplaît à des Européens aussi convaincus que je puis l'être. Les stratèges de cet élargissement mirobolant, quand ils effacent si légèrement de leurs calculs les disparités culturelles, rappellent fâcheusement l'aveuglement de notre politique d'immigration. Elle était évidemment nécessaire, mais la naïveté et l'incurie avec lesquelles elle fut gérée en ont fait un boulet. Et ont contrarié l'intégration qui en eût fait un atout.
Alors quoi ? Le vote « oui » - mais oui ! - reste tout de même le seul raisonnable. On ne va pas « jeter » l'Europe existante sous le prétexte que des songe-creux songent à la dénaturer ! L'Europe est pour la France le seul viatique. Mais gare au grand steeple-chase de printemps !
© le point 13/01/05 - N°1687 - Page 3 - 769 mots
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