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Au cœur d'une bande du "9-3", le plaisir de la violence
LE MONDE 24.03.06 13h15 • Mis à jour le 24.03.06 19h03
Jusque-là, ils étaient restés relativement calmes. La cinquantaine de jeunes avaient bien chahuté un peu dans le métro, tiré une sonnette d'alarme, dépouillé un adolescent de son lecteur MP3. Entre eux, ils en étaient encore aux blagues adolescentes - concours de pets et boules puantes.
Tout a subitement changé à l'arrivée place d'Italie, où commençait la manifestation anti-contrat première embauche (CPE) du jeudi 23 mars. En un instant, la bande, que Le Monde a suivi de Bobigny jusqu'à l'esplanade des Invalides, terme du défilé, s'est transformée en une meute, remontant le cortège pour terroriser les manifestants.
Il faudrait pouvoir décrire minute par minute la violence inouïe de ces jeunes - une quarantaine de garçons et une dizaine de filles, nettement plus calmes - venus principalement de Bobigny et de Drancy (Seine-Saint-Denis) : les claques distribuées au hasard alors qu'ils courent le long du cortège ; les petits groupes de cinq ou six personnes qui se jettent sur un lycéen, le font tomber et le rouent de coups ; les jeunes filles tabassées à coups de pied ; les "balayettes", dont ils sont si fiers, qui renversent leurs victimes ; les pierres jetées aux policiers ; les portables volés, les appareils photo arrachés. On les suit et on voit leurs sourires, on les entend se raconter leurs performances : "T'as vu ce que je lui ai mis !" Au moins une quinzaine d'agressions ont ainsi été commises en une heure par le groupe.
Le CPE, ils n'en ont rien à faire. Avant de prendre le métro, ces jeunes, dont beaucoup sont en lycée professionnel ou déscolarisés, ne cachaient pas leur désintérêt. Ce qu'ils veulent, disent-ils alors, c'est casser du flic. Se venger des coups de matraque, distribués largement par les forces de l'ordre, le matin même, pour disperser une première manifestation dans Bobigny. "J'aime bien frapper la police. J'attends la bavure, comme ça, ça tournera à l'émeute", explique un des leaders du groupe, âgé d'une vingtaine d'années, qui refuse de donner son prénom. "Se faire Sarko", aussi, l'homme politique qu'ils haïssent par-dessus tout. [ça serait presque une raison suffisante de voter pour lui] "C'est depuis que Sarkozy est passé qu'il y a de la violence" [Ben voyons], explique un autre, à peu près du même âge.
L'UNIFORME "CAILLERA"
Dans le métro, leurs véritables intentions commencent à poindre. Lorsque des voyageurs pénètrent dans le wagon, quelques-uns crient : "Il y a de l'argent qui entre." Ils prennent à partie, sans violence, deux adultes qui ressemblent, à leurs yeux, à des flics. Ils rigolent en constatant que des voyageurs n'osent pas entrer dans leur wagon. Ils font peur et s'en délectent. Ce qui ne les empêche pas de faire de l'humour : "Attention aux pickpockets", dit l'un d'eux ; "C'est encore des Noirs et des Arabes qui foutent le bordel", crie en autre. Eclat de rire général dans la bande, composée majoritairement de Noirs, d'une minorité de Maghrébins et de quelques Blancs.
La bonne humeur n'exclut pas la préparation. Les premiers sont arrivés au départ de la ligne de métro, à Bobigny, au moins une heure avant le départ du groupe. Par téléphone, ils n'ont cessé de se renseigner sur l'arrivée des retardataires, attendant d'être au complet pour partir pour Paris. Presque tous ont revêtu l'uniforme "caillera", racaille, - survêtement à capuche, gants, sac à dos - pour pouvoir se dissimuler et courir vite. Quelques-uns, plus prévoyants encore, ont apporté dans leur sac de quoi se changer en route et échapper ainsi aux repérages (photo et vidéo, notamment) des forces de l'ordre.
Après une heure de violences continues dirigées contre des manifestants blancs mais aussi, à deux reprises, d'origine maghrébine, ils se lassent. Certains proposent alors de chercher à s'en prendre à des "Schmidt", les policiers, mais ceux-ci paraissent trop bien protégés. Avant d'arriver sur l'esplanade des Invalides, ils décident de s'intéresser aux commerces. "Faut se faire un magasin et se faire la caisse", propose un des garçons.
On ne saura pas s'ils sont passés à l'acte, certains nous ayant vivement demandé de "dégager".
On apercevra cependant des membres du groupe encore actifs, esplanade des Invalides, jusqu'à la dispersion finale. Combien ont été arrêtés par la police ? Impossible de le savoir. La semaine précédente, une dizaine d'entre eux avaient été interpellés par les forces de l'ordre pendant ou après la manifestation.
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