Par Thimothy Smith *
Le premier ministre Dominique de Villepin a déclaré que le CPE est l'initiative la plus «sociale» jamais prise dans le but de réduire le chômage des jeunes. Il a raison mais cela ne signifie pas grand-chose. Il est bon de rappeler que la jeunesse française n'avait pas besoin de lois ou de programmes spécifiques pour trouver du travail il y a trente ans : l'époque était au plein-emploi.
Mais personne n'ose entreprendre les actions politiques nécessaires au retour du plein-emploi, jugées «antisolidaires». D'où l'invention du CPE. Et pourquoi les rues se remplissent-elles de jeunes manifestants opposés au CPE ? Parce que, comme la plupart des réformes précédentes, le CPE a été introduit en absence de toute justification intellectuelle et parce qu'il semble viser un groupe particulier tout en épargnant la majorité.
Depuis plus de vingt ans, la gauche prêche que la solution au chômage des jeunes réside dans un renforcement perpétuel de la réglementation et de l'étatisme. La droite n'a pas réussi à combattre ces idées. Il est remarquable que la cinquième économie du monde, maison mère de multinationales qui prospèrent sur la scène mondiale, s'avère incapable de croire que le marché peut régler le problème du chômage structurel de masse. Le CPE devrait être accueilli favorablement dans la mesure où il représente un pas dans cette direction. Alors pourquoi toutes ces manifestations hostiles ?
Sans doute en partie parce que la France ne s'est jamais livrée à une analyse des choix politiques faits à la fin des années 70 et au début des années 80 sous des gouvernements de gauche comme de droite. A cette époque, le droit du travail français «humanisait» le marché au bénéfice des travailleurs existants et au détriment des candidats au travail. Les dirigeants français ont cessé de croire au marché et décidé que seul l'Etat pouvait résoudre le problème du chômage. [vous le savez, je pense qu'il y a dans l'étatisme forcené non seulement une dose de corporatisme mais aussi une faillite intellectuelle]
Pis encore, de plus en plus de gens ont commencé à voir le monde en noir et blanc : puisque le marché est uniformément inhumain, les hommes politiques, dans leur grande sagesse, doivent le domestiquer. L'Etat, à l'inverse, est intrinsèquement bon et sage, et donc par définition instrument de la «solidarité». Il n'existe aucune nuance de gris, et aucune place pour le paradoxe. L'idée qu'un peu plus d'insécurité de l'emploi pourrait entraîner plus de créations d'emplois est tout bonnement inacceptable.
Les opposants au CPE considèrent une mesure conçue pour créer des emplois comme une menace contre leur «modèle social» parce qu'ils se sont persuadés, d'une manière ou d'une autre, qu'un «modèle» qui tolère des niveaux élevés de pauvreté et de chômage est toujours «social». Depuis vingt ans, la droite laisse se développer ce type de réflexion fallacieuse. Si les hommes politiques (de tous bords) pensent que leurs discours alarmistes sur la mondialisation et leurs incessantes critiques contre «l'inhumanité» du «modèle» anglo-saxon ne sont que d'inoffensives stratégies électorales destinées à gagner quelques voix, ils devraient y réfléchir à deux fois.
On récolte ce qu'on a semé : nous constatons aujourd'hui que deux décennies de rhétorique antimondialisation et antiétranger se payent par une paralysie politique et psychologique de la France, consciente de l'urgente nécessité des réformes, mais incapable de les mettre en oeuvre.
De nombreux pays européens plus solidaires que la France possèdent des marchés du travail plus libres, mais le petit pas tenté dans cette direction par la France (le CPE) soulève immanquablement l'opposition générale. Rappelez-vous que ses dirigeants politiques se sont récemment plaints des «menaces» contre le droit du travail français représentées par la directive Bolkestein.
Ils devraient se réjouir de cette «menace». Le droit du travail français est à l'origine d'un quart de siècle de chômage de masse. Pourquoi, dans ce cas, se lamenter quand il est menacé ? Le CPE est nécessaire précisément parce que le gouvernement actuel n'a aucune envie de proposer de véritables réformes qui impliqueraient un renversement complet des lois qui rendent l'embauche et le licenciement des travailleurs, ainsi que la création d'entreprises, extrêmement coûteux en temps et en argent.
Si le grand public n'est pas prêt aux réformes, les hommes politiques ne peuvent s'en prendre qu'à eux-mêmes : aux Pays-Bas, les réformes ont commencé il y a vingt ans. Au Canada et en Suède, elles ont commencé il y a quinze ans et ont été menées à terme en six petites années. Le Canada et la Suède se portent bien mieux aujourd'hui qu'il y a quinze ans. Pendant ce temps, le tissu social français continue à se dégrader.
Les Canadiens se sont livrés à une analyse de l'hyperétatisme au cours des années 80 et 90. Les Français se sont déchaînés contre le «capitalisme sauvage» mais la droite n'a jamais dénoncé «l'étatisme sauvage», avec ses épais fourrés de réglementations tueuses d'emplois et ses prédateurs anticapitalistes, les «intellectuels» [Voir le "Pourquoi les intellectuels n'aiment pas le libéralisme ?" de Raymond Boudon]. L'Etat, une fois de plus, passe pour la seule et unique solution. Les jeunes Français ont d'excellentes raisons de s'opposer au CPE : pourquoi devraient-ils être les seuls à supporter une augmentation de la «précarité» ?
Si l'Etat finance les retraites anticipées et protège le troisième âge de l'insécurité, pourquoi ne peut-il faire la même chose pour eux ? Si 25% de la population active (les fonctionnaires) bénéficie de la sécurité de l'emploi à vie, et si la plupart des travailleurs âgés du secteur privé ont la sécurité de l'emploi, pourquoi pas tout le monde ? [excellentes questions]
Si le CPE est appliqué, il contribuera certainement à réduire le chômage des jeunes. Mais le gouvernement ne tirera aucun bénéfice politique d'une réforme qu'il n'a pas réussi à justifier d'un point de vue intellectuel. Pour beaucoup (la majorité) d'hommes politiques français, le capitalisme est un plaisir défendu que l'on savoure mieux en privé. Assez curieusement, l'âge d'or du plein-emploi en France y était aussi l'âge d'or du capitalisme.
La France a besoin d'un (ou d'une) dirigeant (e) centriste capable de faire la paix avec le capitalisme et la mondialisation tout en défendant les meilleurs composants de l'Etat-providence. Canadiens et Suédois ont compris que capitalisme et démocratie sociale (ou du moins stabilité sociale) avancent ensemble, ou tombent ensemble. Qui, en France, adresse ce genre de message au grand public ?
* Professeur d'histoire à Queen's University (Canada). Auteur de La France injuste : pourquoi le modèle social français ne fonctionne plus (Editions Autrement, 2006, 22 euros). Traduction de Geneviève Brzustowski.
Excellent texte et excellente analyse ... mais autant pisser dans violon ... quand bien même cette analyse fût-elle faite par un intellectuel français, elle serait à peine écoutée et plutôt méprisée ... On a l'impression de regarder la France d'en haut d'un nuage ... de loin. Nous sommes encore trop idéologiques, traumatisés par notre énorme Histoire ... enfin bon heureusement qu'on est quelques uns à se comprendre ! :)
RépondreSupprimer***Depuis plus de vingt ans, la gauche prêche que la solution au chômage des jeunes réside dans un renforcement perpétuel de la réglementation et de l'étatisme.***
RépondreSupprimeren voilà un qui n'a jamais entendu causer de Strauss-Kahn ! et qui réduit Jospin (je veux dire celui de 97-2002, pas le revenant !) aux 35 heures.
Afin d'accroître ma conaissance du sujet, vous serait-il possible de m'indiquer quelles mesures la gauche a prises durant ces 30 dernières années qui aille dans le sens de plus de libéralisation du droit du travail?
RépondreSupprimerDe mémoire, les 35 heures sont effectivement l'aboutissement d'un programme perpétuellement concentré sur le rôle grandissant de l'état dans l'économie (et malheureusement bien d'autres domaines!)
Quant à Strauss-Kahn, j'ai une petite idée de pourquoi il n'en a pas entendu parler (si c'est effectivement le cas) : personne n'en entend parler. Je suppose que l'auteur s'est concentré sur ce que la gauche a fait, et non pas sur ce qu'elle pourrait faire si...
Et il a raison, car des si, avec la gauche, on en soupe depuis 1917 au moins!
*** quelles mesures la gauche a prises durant ces 30 dernières années qui aille dans le sens de plus de libéralisation du droit du travail?***
RépondreSupprimerles privatisations, plus nombreuses et rapides entre 1997 et 2002 que sous les gouvernements de droite précédents, en sont l'exemple qui me vient le plus spontanément à l'esprit
***les 35 heures sont effectivement l'aboutissement d'un programme perpétuellement concentré sur le rôle grandissant de l'état dans l'économie (et malheureusement bien d'autres domaines!)***
même bévue, même réponse
***l'auteur s'est concentré sur ce que la gauche a fait, et non pas sur ce qu'elle pourrait faire si***
ah non ! pas dans l'extrait que j'ai cité en exergue de ma réaction première. Il s'agissait de ce que la gauche aurait "prêché".
De la RIGUEUR et ça ira mieux. Pour tout le monde.
Ce n'est pas un débat droite / gauche ! C'est ça qui est intéressant et que je retire du texte malgré quelques phrases isolées : c'est le problème d'une France face à elle même et à ses propres contradictions ... Je suis étonné de ne pas entendre parler des emplois jeunes créés par la gauche sous le gouvernement Jospin, mais ces emplois étaient plus précaires que le CPE il me semble !! Finalement c'est une réaction de conservatisme étatique (poussé par les syndicats et les fonctionnaires attachés à leurs privilèges) qui prend pour prétexte, un combat contre une mesure de droite ... sans même savoir si cette mesure est "réellement de droite" ...
RépondreSupprimerC'est une image de la démocratie en pleine stagnation absurde ...
ps: pour clarifier, imaginons que ce fut la gauche qui propose le CPE : et bien la droite s'y serait opposé par contradiction systématique, et il y aurait peut être eu qq manifs, mais cela serait passé beaucoup plus facilement ...
Finalement une gauche moderne peut, peut être plus faire avancer le pays qu'une droite ... maladroite, parfois étatique, et qui aura de toutes façons toujours le tort d'être "à droite". Mais au final pour moi, c'est une question d'hommes. Les mesures passent grâce aux hommes et non grâce aux partis ou idéologies ...
J'ai du m'absenter de mon blog à cause de misères de l'hydre informatique.
RépondreSupprimerJe vous signale que l'auteur de l'article n'est pas un libéral acharné, dans son aouvrage La France injuste , il lorgne plus vers les pays scandinaves que vers les pays anglo-saxons.
Je n'ai pas compris le "même bévue, même réponse" de FD : les 35 h sont bien l'exemple de l'usine à gaz étatique, jacobine et, au final (je le sais d'expérience), anti-sociale que dénonce DoMP.
Quant aux privatisations, on peut en avoir une autre interprétation : ce ne serait pas un penchant libéral du PS au gouvernemment mais l'effet de l'affreuse nécessité de trouver des sous pour alimenter son étatisme. Cette interprétation maligne est renforcée par le fait que le gouvcernement Jospin n'a en rien allégé le code du travail.
autant d'entreprises privatisées, autant de collectifs de travailleurs qui changent de statut et voient leurs garanties, en droit, réduites, et leurs libertés syndicales, en fait, compromises.
RépondreSupprimerCela s'oppose aux formulations des intervenants auxquels je répondais.
De la rigueur, vous dis-je !
J'avais bien compris ce que vous vouliez dire sur les privatisations ; je voulais juste vous préciser que, à mon sens, c'était un déplacement d'étatisme (moins de salariés abrités, plus d'interventions par subventions, allocations, prestations diverses et variées) plutôt qu'une libéralisation.
RépondreSupprimerNon, ce que je n'ai pas compris, c'est ce que vous voulez dire sur les 35 h.
Puisque vous aimez les blogs :
http://www.hebdo.ch/sormanblog.cfm
***Non, ce que je n'ai pas compris, c'est ce que vous voulez dire sur les 35 h.***
RépondreSupprimertout simplement qu'en parlant de la gauche comme d'une instance indéfiniment étatisante, votre distingué Canadien se méprenait sur la politique du gouvernment Jospin et semblait n'en avoir retenu que les 35 heures.