La connaissance inutile est le titre d'un excellent livre de JF Revel.
La question centrale de ce livre "Pourquoi certaines connaissances sont elles ignorées, travesties ou inutilisées ?" me tracasse souvent. D'autant plus que cette attitude est indépendante du niveau d'études ; simplement, plus le niveau d'études est élevé plus les arguments voilant la réalité tendent à être sophistiqués (et encore pas toujours : souvent il n'y a que le vocabulaire qui est sophistiqué voire snob).
On en trouve des exemples sur tous les sujets. JF Revel écrivait qu'il faut avoir fait beaucoup d'études pour ne pas comprendre les causes du chômage en France. Ou encore, des gens très bien m'ont soutenu récemment que la guerre en Irak était bénéfique à l'économie américaine suivant un raisonnement très proche de La vitre cassée de Bastiat.
La guerre, qui est par définition destructrice, ne peut en aucun cas être économiquement bénéfique pour les belligérants ; c'est contraire à tout bon sens (la théorie comme quoi la seconde guerre mondiale aurait "relancée" l'économie allemande puis américaine est un mythe : voir A. Sauvy).
On essaie bien de contrer cet argument en invoquant le fait que cette guerre serait payée par les pays pétroliers arabes, il y a là une erreur d'un ordre de grandeur : le PIB de l'Arabie Saudite est 36 fois moindre que celui des USA. Si l'Arabie Saoudite donnait l'intégralité de son PIB aux USA, elle arriverait à peine à financer la guerre en Irak.
L'argent saoudien est impressionnant parce qu'il est investi à l'étranger massivement et avec constance, il n'en demeure pas moins négligeable par rapport aux flux de capitaux mondiaux.
Il est vrai cependant que les USA sentent moins le coût de cette guerre du fait qu'ils financent leur déficit en siphonnant l'épargne étrangère ; ça n'en rend pas pour autant la guerre bénéfique : si il n'y avait pas eu cette guerre, il y aurait eu aussi un déficit financé par l'épargne étrangère mais l'argent aurait été utilisé ailleurs, à des choses constructives, il faut espérer.
Démontons l'enchaînement des erreurs :
> du fait que la guerre en Irak rapporte à quelques entreprises américaines, on en conclut que toute l'économie américaine en profite. Ce qu'on ne voit pas, c'est que le contribuable américain qui paye pour que l'armée puisse acheter des missiles à Raytheon, lui, n'en profite pas du tout ; on retombe dans le sophisme de Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas.
> il y a aussi un complexe d'infériorité : les Américains sont cupides, c'est bien connu, ils ne peuvent pas se tromper quand il s'agit d'argent, ils sont d'infaillibles capitalistes (un peu comme les juifs, quoi). Si ils font la guerre en Irak, c'est que ça leur rapporte. Et s'ils n'étaient pas en Irak pour l'argent ou si ils avaient fait un mauvais calcul ? (La thèse du mauvais calcul est d'autant plus pertinente qu'il semble bien que le gouvernement croyait réellement à une guerre courte).
> enfin, l'économie des USA, qui font la guerre, se porte mieux que l'économie de l'Europe, qui ne fait pas la guerre. La guerre expliquerait donc cette différence de santé économique. Mais la guerre est-elle la seule différence entre les USA et l'Europe ?
Pourquoi parler de connaissance inutile ?
> parce que le coût exorbitant de la guerre est Irak est connu, il a été discuté lors de la campagne Bush-Kerry.
> parce que les causes de (relative) bonne santé économique des USA sont connues et n'ont rien à voir avec la guerre en Irak : recherche abondante, esprit d'entreprise, marché du travail souple, taux d'intérêts bas, endettement des ménages, dette publique en partie financée par l'étranger (seul ce point à un lointain rapport avec l'armée américaine : les USA ne seront pas envahis de sitôt, l'argent y est en sécurité).
Il s'agit donc d'un cas où l'on met de coté ce que l'on connaît pour ne pas bousculer ses préjugés (à savoir que l'Empire du Mal, au machaivélisme surnaturel, est sur l'autre rive de l'Atlantique).
En réalité, il faut faire un usage abondant du rasoir d'Hanlon, petit cousin du rasoir d'Ockham, et on s'aperçoit qu'il existe une hypothèse bien plus simple expliquant la présence des Américains en Irak qu'une cupidité dont on a bien du mal à voir les cheminements et les effets : la bêtise.
Mais pour réaliser à quel point la connaissance est inutile, il faut aussi s'apercevoir que ce sont ceux qui il y a trois ans nous expliquaient que les Américains étaient stupides d'envahir l'Irak et allaient s'y enliser contre leur gré qui nous racontent maintenant que les Yankees y restent volontairement par une cupidité très sophistiquée.
En résumé, pour importent les faits, les Américains ont toujours tort.
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