Je ne saurais mieux dire.
Archéologie socialiste
L'éditorial d'Yves de Kerdreldans Le Figaro.
Publié le 19 octobre 2006
Le premier des débats, qui a réuni les trois prétendants à la candidature socialiste pour les élections présidentielles, restera à coup sûr comme un morceau d'anthologie. Pas tant parce qu'il s'agissait d'un exercice inédit. Pas tant non plus parce que ces trois personnalités étaient davantage côte à côte que face à face ; ce qui est une situation incongrue pour un débat. Mais plutôt parce qu'ils ont tous les trois réussi l'exploit de parler pendant près de deux heures d'économie et de social sans jamais parler de « l'entreprise ». Comme s'il s'agissait d'un tabou, voire d'une vulgarité, qui les aurait d'emblée disqualifiés.
De la même manière que Paul Valéry a fait un remarquable discours de réception à l'Académie française, sans citer une seule fois le nom d'Anatole France, son prédécesseur, les trois édiles de la rue de Solferino ont préféré aligner les lieux communs pour l'un, les promesses démagogiques pour l'autre et les formules ésotériques pour la troisième plutôt que de parler de création de richesse, de profit, et de participation, ou bien de recherche et développement, d'innovation et d'économie de la connaissance.
Il n'y avait pas de minute, et de phrases, sans que l'État soit mis à toutes les sauces. Comme si l'économie et le social fonctionnaient grâce à un puissant levier installé à l'Élysée ou à Matignon. Comme si on se trouvait revenu des dizaines d'années en arrière, à l'époque où le prix de la baguette était fixé par le ministre de l'Économie, où le crédit était contrôlé et où les échanges de devises étaient réglementés. Les trois intervenants souhaitent tous incarner une forme de relève à gauche. Mais, à les entendre, on pourrait croire que l'économie française peut vivre en ignorant la mondialisation, comme certains imaginaient, il y a quelques années, que le nuage de Tchernobyl contournerait les frontières de l'Hexagone.
Bien sûr, on n'attendait pas d'eux qu'ils fassent de la surenchère libérale, ou qu'ils cherchent à draguer des voix à droite, alors que leur préoccupation du moment vise seulement à s'attirer la sympathie des militants socialistes. Bien sûr, ils savent mieux que quiconque que dans un pays où seulement un tiers de la population accepte la notion d'économie de marché - contre deux tiers en Chine - cela ne pouvait pas leur apporter grand-chose de faire l'éloge des entreprises qui se battent, qui gagnent, qui embauchent, et qui se développent.
Ce n'était pas une raison, pour autant, de laisser croire que l'État est au coeur de ce qui touche à l'économique. Il faut d'ailleurs reconnaître à Dominique Strauss-Kahn le mérite d'avoir fait l'éloge du contrat dans le domaine social, seule parenthèse de réalisme perdue dans un grand morceau d'archéologie socialiste.
L'économiste Keynes, au lait duquel les trois candidats à la candidature socialiste ont été élevés, affirmait à juste titre que « la difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes ». Le débat de mardi soir a montré qu'en matière économique les socialistes étaient comme les émigrés de retour en France en 1814 : ils n'avaient rien appris et rien oublié.
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