Le peu d'idées qu'exprime Ségolène Royal m'inquiète de plus en plus.
Bien sûr, on peut se gausser en n'y voyant que du vent ; malheureusement, ça ne serait pas la première fois que quelqu'un moqué par ses adversaires pour ses fadaises arrive au pouvoir du fait de ce mépris et, ô surprise, y met en oeuvre ses idées parfaitement dangereuses (exemple extrême : Hitler, mais bien entendu, c'est très loin de la madonne du socialisme).
Ségolène au pays des Soviets
Le Figaro 24/10/2006
La démocratie représentative a vécu : tel est du moins le credo de Ségolène Royal, qui oppose le « tirage au sort » au suffrage universel et la « surveillance populaire » au respect des échéances électorales. Bombardez vos dirigeants ! À l'heure d'Internet, il ne saurait y avoir de démocratie que « participative », élaborée dans les forums de Porto Alegre, et rodée dans le laboratoire « citoyen » des Charentes et du Poitou.
Réconcilier le peuple avec la politique ? L'objectif n'est pas contestable. Le 21 avril 2002 comme la victoire du non au référendum européen ou les alternances en chaîne témoignent à l'évidence d'un malaise démocratique qu'aucun candidat ne songe à nier. Encore faudrait-il que le remède ne soit pas pire que le mal et que, sous prétexte de lutter contre les « promesses mirobolantes », on ne sacrifie pas à une autre forme de démagogie. En l'occurrence, on comprend l'embarras - palpable - des amis de Mme Royale : son « grand bond en avant » a tout du saut dans l'inconnu.
Juridiquement, l'instauration de jurys populaires pour obliger les élus à « rendre des comptes » est en contradiction avec l'article 27 de la Constitution qui prohibe formellement tout mandat impératif. Broutille, sans doute. Pratiquement, l'idée pose d'innombrables questions. Apaisante, Ségolène Royal assure que cette « surveillance » ne s'exercera pas « forcément dans un sens de sanction », ce qui revient à en reconnaître a contrario la possibilité. Sur quelles règles de droit ? Qui présidera ce « tribunal populaire » ? Arnaud Montebourg, en Fouquier-Tinville ? Les jurés tirés au sort pourront-ils de distribuer des blâmes ? Aux dernières nouvelles, il semblerait que non. Les politiques « déviants » devront-ils faire leur autocritique sous l'oeil des tricoteuses qui, comme chacun sait, sont « les meilleures expertes de ce qu'elles vivent » ? On se perd en conjectures, mais ce qu'on entrevoit n'est guère rassurant.
Et si l'on s'était trompé sur Ségolène Royal ? Parce qu'elle invoque le parrainage de Tony Blair, dont elle a incontestablement retenu les leçons médiatiques, on lui a volontiers fait crédit d'un socialisme moderne, tempéré par un certain conservatisme provincial. Mais, derrière les envolées « participatives » à la sauce altermondialiste, la société qu'elle dessine n'est pas si douce : une France où l'on veut « effrayer les capitalistes », où l'adhésion à un syndicat est obligatoire, ou des comités de base (d'aucuns diraient des soviets) censés refléter la « volonté populaire » imposent leur vigilance au sommet. Rousseau, pas mort.
À moins que... tout ceci ne soit que des mots. À moins que Ségolène Royal, en lançant son pavé, n'ait songé qu'à se tailler un succès facile chez les Français, fort nombreux, qui se défient de la politique ; à moins qu'elle n'ambitionne finalement que de remettre au goût du jour les ultraclassiques « comptes rendus de mandat » avec dossier de presse en quadrichromie. C'est ce que suggèrent certains de ses amis. Mais on a peine à croire que l'inventrice de « l'utopie réalisable » puisse, comme elle en fait procès à d'autres, « basculer dans une certaine forme de populisme » assurément peu productrice « d'intelligence politique ».
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