Un petit rappel au fil d'une relecture : F. Hayek affirme que le libéralisme est la seule philosophie politique moderne. Sa pensée, fort riche, s'articule comme suit :
> Il existe deux types d'ordres pour une société : l'ordre construit et l'ordre spontané.
> L'ordre construit est celui qui est décidé par un entité humaine, planifié. Il est assez adapté à des sociétés archaïques dont le fonctionnement peut être envisagé comme simple et dont on peut espérer, souvent illusoirement, maîtriser les déterminants. Les promoteurs d'un ordre construit, étatistes, socialistes, marxistes, monarchistes, écologistes, sont regroupés par Hayek sous le terme de "constructivistes".
> L'ordre spontané est celui qui est généré par les interactions entre hommes à partir de principes et de règles fondamentales. Il est particulièrement adapté aux sociétés complexes, où la maîtrise est une illusion. Si les règles de bases sont bien choisies, on ne sait pas à quel résultat on aboutira, mais on peut pronostiquer qu'il garantira les droits fondamentaux de tous les hommes et donnera satisfaction à la plupart d'entre eux.
> L'ordre spontané est plus efficace que l'ordre construit. Ce n'est pas un pronostic, c'est un fait d'expérience : ces deux systèmes ont été suffisamment testés tout au long du vingtième siècle pour qu'il n'y ait plus aucune ambiguité sur la question.
Hayek récuse toute notion de "justice sociale", de "solidarité" obligatoire imposée par l'Etat comme des valeurs tribales utilisées à tort dans une société développée et masquant l'usage de la force étatique par des groupes de pression au mépris des droits élémentaires. (Par exemple, notre fameuse "solidarité" devant la maladie fait qu'un ouvrier cotise pour un cadre. En effet, le cadre, mieux informé et vivant plus longtemps, profite de la Sécu plus qu'il cotise alors que pour un ouvrier, c'est l'inverse)
> Pour expliquer cette différence d'efficacité, Hayek utilise la notion d'information. L'ordre construit suppose des être supérieurs, omniscients, capables de connaître parfaitement l'état de la société et parfaitement les conséquences de leurs décisions jusque dans les moindres détails. Ces êtres n'existent évidemment pas (sauf à l'ENA).
Pour entretenir néanmoins l'illusion de l'omniscience, on est obligé de simplifier considérablement le fonctionnement de la société, d'où le recours à la dictature totalitaire (et la fabrication de bottes de 5 kg en URSS à partir du jour où le Plan décidé de mesurer la production de bottes par la masse).
En réalité, la macro-économie n'existe pas, les "agrégats statistiques" chers à nos technocrates ne signifient rien car ils perdent trop d'information en route. Par contre, deux acteurs économiques interagissant font intervenir toute l'information dont ils disposent, rien n'est perdu.
Ainsi, l'agent immobilier qui "sent le marché" ou le menuisier qui a un certain tour de main disposent d'informations intraduisibles en statistiques.
En conséquence, l'ordre spontané, somme d'interactions où chacun fait intervenir toute l'information dont il dispose, est plus efficace que l'ordre construit, où tant est perdu.
> Un des porteurs d'information les plus puissants est le prix. Le marché est un mécanisme de découverte et le signal est le prix : j'introduis un produit, il plaît, il est désirable, utile, je le vends, je peux augmenter mon prix. Le prix est un signal d'utilité, de désirabilité, mais il est aussi un signal d'optimisation des ressources : certes, à tel prix, je vends tel produit, mais, vu ce qu'il me coûte à produire, est-ce bien la peine de le vendre à ce prix ? En d'autres termes, le prix permet d'arbitrer le rapport utilité-désirabilité / coût de production-utilisation des ressources (1).
On notera qu'Hayek a écrit tout cela bien avant qu'internet existe. Or internet ne fait que renforcer cette analyse : tous les comparateurs de prix, les sites d'enchères, etc. permettent à toujours plus d'acheteurs d'être en contact avec toujours plus de vendeurs en optimisant de plus en plus leurs transactions en connaissance de cause.
D'une manière générale, l'évolution des techniques, en ouvrant l'éventail des moyens mis à la disposition des individus, renforce la pertinence des analyses des libéraux (2). C'est un des éléments qui permettent à Hayek de dire que le libéralisme est la seule philosophie politique moderne. Les socialistes qui persistent à analyser la société en termes (avoués ou sous-entendus) de classes font peinent à voir.
> Hayek dès les années 50 insistait sur le danger qu'il y avait à ce que le respect de la démocratie dérive en culte du vote et du fait majoritaire. Quand on entend tout le barnum autour de Ségolène Royal par exemple, on ne peut qu'y penser : qu'a-t-elle pour elle aujourd'hui que d'avoir gagné une élection microcosmique ? Il rappelait qu'au-dessus de la volonté de la majorité, il y avait le respect des droits élémentaires et que la majorité n'était pas libre d'oppresser les minorités, thème très tocquevillien.
Enfin, comme la pensée et l'homme sont indissociables, qu'il me soit permis de signaler que Hayek était considéré comme modeste et charmant par tous ceux qui l'ont connu. Quand je me remémore l'ego surdimensionné de certaines stars du marxisme, je ne peux m'empêcher de voir dans cette différence un trait significatif jusque dans la philosophie.
(1) : C'est pourquoi, à condition de partir de règles et de droits de propriété clairs, les questions écologiques se résolvent d'elles-mêmes dans une économie de marché, puisqu'ils sont un exemple d'optimisation utilité/coût, sauf à ne regarder que le coté "utilisation des ressources" sans jamais se pencher sur le coté "utilité". C'est d'ailleurs à quoi tendent les écologistes radicaux : toujours regarder ce que cela coûte à la nature sans regarder ce que cela rapporte à l'homme ; en cela, ils sont cohérents avec le fondement constructiviste misanthrope de leur philosophie.
(2) : Les techniques modernes peuvent aussi être exploitées par les Etats pour surveiller et punir (cf la Chine), mais dans un cadre de droit où la liberté est garantie, elles favorisent l'épanouissement et la mise en oeuvre de cette liberté.
***Quand je me remémore l'ego surdimensionné de certaines stars du marxisme, je ne peux m'empêcher de voir dans cette différence un trait significatif jusque dans la philosophie.***
RépondreSupprimeret ça, qu'est-ce, sinon une démarche de foi, de tribu et de clan ?
J'ai une préférence pour la tribu.
RépondreSupprimerEh bien vous progresserez, considérablement, quand vous aurez compris qu'il n'y a pas une façon libérale meilleure et une façon communiste pire d'avoir un ego surdimensionné, de tuer, de censurer, d'envahir etc. Il y a ce qu'on peut penser d'une idéologie et puis il y a les tares de ceux qui l'embrassent : aucun intérêt, jamais, de mélanger les deux, sinon à très court terme pour river son clou à un adversaire, mais nous ne surfons pas pour cela, do we ?
RépondreSupprimerPour ne pas changer tout à fait de sujet, je viens de dévorer un petit livre terrifiant sur le rôle des Etats-Unis dans notre vieille Europe, voici bientôt 30 ans :
http://www.delpla.org/article.php3?id_article=269
Il y a peut-être cependant certaines inclinations naturelles qui font que lorsque l'on a des tendances autoritaires et violentes à titre privé, on est plus tenté par les régimes politiques autoritaires et violents que ceux qui posent comme principe inaliénable le respect d'autrui et de ses biens. Et inversement. Ce n'est indubitablement pas une coïncidence si l'on trouve parmi les dictateurs communistes beaucoup plus de fous sanguinaires, mégalomanes, et egocentriques que chez les défenseurs du libéralisme ou, d'une façon plus générale, de la démocratie.
RépondreSupprimerEntre Lénine, Staline, Mao, Pol Pot, Castro, et tous les autres tarés de la bande, on a de quoi remplir un asile.
DoMP se fatigue souvent à faire les réponses que je néglige de faire. Je l'en remercie.
RépondreSupprimerQu'il y ait une corrélation entre les idées et les personnes qui les portent me semble une évidence, évidence bien entendu diffuse comme tout ce qui a trait au caractère humain, il ne s'agit pas d'enfermer les individus dans le déterminisme de leurs idées politiques.
Bizarrement, je n'ai jamais entendu parler d'un dictateur se réclamant du libéralisme et agitant les oeuvres complètes de Bastiat et de Tocqueville, mais c'est sans doute mon caractère tribal et partisan qui explique cette surdité.
Oui, oui, je sais, il y a les crimes affreux des USA, mais si on était le dixième aussi exigeant avec Cuba qu'avec les USA ? Pour changer ...