Je sais qu'il n'est pas toujours facile à mes amis fonctionnaires (car j'en ai) d'entendre qu'ils travaillent pour une entité qui, en l'état actuel des choses, est nocive pour le pays. D'ailleurs, la plupart refuse même de l'entendre (encore moins, ce que je comprends, d'en être d'accord.)
Ce qui ne veut pas dire que tous les fonctionnaires sont inutiles, ça veut juste dire qu'il y a suffisamment de fonctionnaires inutiles, ou mal organisés, ou mal utilisés, pour que le pays en souffre.
Quand je me plains des avantages et privilèges des fonctionnaires et assimilés, on me réplique couramment, c'est de bonne guerre, que, si il y a tant d'avantages à la fonction publique, pourquoi n'y entré-je pas ? La réponse est simple : ce n'est pas ma vocation, compte-tenu de ce que je pense de l'Etat, j'aurais mauvaise conscience à travailler pour lui, je serais en contradiction avec moi-même.
Sachant mon intérêt pour les questions d'instruction, il n'est pas rare qu'on me conseille les métiers d'enseignement. Pourquoi pas ? Mais dans le privé hors contrat, qui est rare et précaire.
Je trouve l'extrait ci-dessous du blog de JM Aphatie, journaliste à RTL, très révélateur du fonctionnement d'une certaine France : contournement des difficultés, déni des vérités qui dérangent, bricolage, refus d'analyser les problèmes en niant qu'ils existent et, pour finir, défaut de réflexion et d'analyse des solutions ... Le tout étant fait en général pour préserver des privilèges indéfendables en bonne justice ; comme ils sont indéfendables, on évite d'en parler, après quoi on ne risque pas de résoudre les troubles au bon fonctionnement de la société qu'ils créent.
Autrement dit, la France est conjointement le pays des statuts et des tabous qui protègent ces statuts.
Le plus gros tabou est celui qui consiste à dire que l'Etat est bon par essence et que la liberté du citoyen est dangereuse par essence. Il est impossible d'envisager sereinement que l'intervention de l'Etat puisse être mauvaise dans certains domaines et la liberté bonne.
**********************
Rappel des faits qui ont justifié l'invitation [de Patricke Ollier]. A l'automne 2003, le bureau de l'Assemblé nationale a décidé de modifier le régime indemnitaire des députés non fonctionnaires qui seraient battus lors du renouvellement législatif. Jusque là, ils percevaient leurs indemnités pendant six mois, régime calqué sur celui des ministres. Avec la modification, l'accompagnement financier a été étendu à cinq ans, avec une dégressivité dès le deuxième semestre (70% de l'indemnité de base), puis au troisième semestre (60%), pour ne plus toucher au bout de cinq ans que 20% de la dite indemnité, soit 1.080 euros bruts.
Au moment de son adoption, cette mesure n'a pas été commentée par les députés et n'a pas non plus retenu l'attention des observateurs. Il a fallu attendre le 7 février dernier pour voir, dans le Canard Enchainé, un article relatant ces modifications. Depuis, la mèche se consume lentement, suscitant ici et là de timides réprobations.
Hier, sur RTL, nous avons décidé de présenter la réforme. Le député qui l'a initié a dialogué sur l'antenne avec Christophe Hondelatte. J'ai profité du passage de François Bayrou, hier matin, à 7h50, pour l'interroger. Il s'est désolidarisé de ses collègues, jugeant que l'exemplarité des élus se trouvait, ici, prise en défaut. Cette déclaration a suscité de l'irritation chez le tout nouveau président de l'Assemblée nationale, Patrick Ollier, d'où la décision de l'inviter pour évoquer le sujet.
Au micro, ce matin, Patrick Ollier a défendu l'allongement des indemnités. Il a expliqué que l'ensemble était financé par une cotisation prise sur les sommes que perçoivent les parlementaires chaque mois et donc, que l'allongement à cinq ans du versement d'une somme pour les élus qui ne trouveraient pas de travail après une défaite ne coûtait rien à la collectivité.
Une défense globalement juste, et pourtant intellectuellement insatisfaisante.
Le raisonnement qui va suivre a cette particularité de tirer un tout petit fil d'une très grosse pelote. Au bout du raisonnement, il ne s'agit certes pas de prétendre changer le monde, mais tout de même la politique en France. Alors, allons-y.
Il y a deux catégories de députés: ceux qui viennent de la fonction publique et les autres. Imaginez un fonctionnaire battu. Pas de problème, il réintègre l'administration et, souvent, prépare sa revanche. Comme il s'agit souvent d'un haut fonctionnaire, il réintègre en fait le Conseil d'Etat, ou la Cour des comptes, ou quelque chose d'approchant, c'est à dire plutôt un poste dans l'administration centrale que sur le terrain. Quand cet élu vient du secteur privé en revanche, le problème est différent. On peut imaginer qu'un député se recase facilement, son expérience d'élu national et son carnet d'adresses pouvant être valorisés dans une entreprise. Cependant, si une modification de la durée d'indemnisation est intervenue, prouve que des problèmes se posent et qu'alterner carrière publique et activité privée ne va pas forcément de soi.
Plutôt que ce bricolage, on se cotise pour te payer pendant cinq ans, il serait rationnel de procéder autrement.
Un élu est battu, risque lié au suffrage universel. Il serait plus rationnel, plus sain, de l'accompagner dans la recherche d'emploi. En clair, l'encourager ou l'inciter à faire un bilan de compétences, l'aider dans ses démarches envers de futurs employeurs. Bref, agir avec lui comme agit l'ANPE avec des cadres supérieurs qui connaissent un accident de parcours professionnel. Ceci paraît banal et on s'excuserait presque de l'écrire ainsi.
Au lieu de procéder ainsi, l'Assemblée agit différemment, de manière complexe, allant même jusqu'au risque de l'incompréhension avec les citoyens. Bizarre, bizarre. Pourquoi donc procède-t-elle ainsi?
En fait, c'est assez simple. S'il fallait traiter les députés non fonctionnaires comme des cadres supérieurs du secteur privé auxquels ils peuvent être comparés, il faudrait commencer à écrire quelque part le statut qui les régirait. Il faudrait définir, publiquement, en les situant par rapport à la loi générale et ordinaire, les droits à la formation, à l'accompagnement dans la recherche d'emploi, et donc à l'indemnisation des personnes concernées. Opérer ceci viendrait à étaler publiquement la différence qui existe entre ceux qui sont fonctionnaires et ceux qui ne le sont pas. Étaler publiquement cette différence reviendrait à interroger la pertinence de cette exception française qui permet à un fonctionnaire élu de se mettre en congé de son administration et de retrouver son poste public s'il est battu. Pour dire les choses autrement, camoufler cette différenciation de situation, la garder entre soi, en régler entre soi les conséquences, évite d'examiner la possibilité de réclamer la démission d'un fonctionnaire qui choisit la carrière politique, ce qui par parenthèses est la règle dans les autres démocraties.
Si on réclamait cette démission sitôt l'élection, alors on se poserait la question du reclassement de l'ex fonctionnaire comme elle se pose pour l'élu venant du privé. Si on se posait cette question, alors, on en viendrait à la nécessaire définition du statut de l'élu.
Le statut de l'élu est le serpent de mer de la vie politique française depuis vingt ans. En fait, cette réflexion débute avec le financement public de la vie politique. Jusque là, tout était bricolage. Les partis étaient financés par les entreprises qui se remboursaient par le détournement de l'impôt. Au passage, beaucoup de billets atterrissaient dans des poches anonymes. Cela a été normalisé par les lois de financement Rocard, Bérégovoy et Balladur. Il aurait été normal, et cela a été beaucoup réclamé, qu'un statut de l'élu complète le dispositif.
Un statut de l'élu, cela veut dire un salaire pour l'élu, et non pas des indemnités comme aujourd'hui. Un salaire, cela veut dire des cotisations sociales, pour les Assedic, pour la retraite, pour le régime général de la sécurité sociale. Bref, le droit ordinaire applicable à ceux qui veulent servir la collectivité. Comme les électeurs sont versatiles, le métier est précaire. Alors, il faut réfléchir aux procédures de reclassement, pour tout le monde, la formation, l'évolution. Ce serait cela, le statut de l'élu.
Mais en même temps, mettre tout cela en place, ce serait inciter les battus à quitter la politique, donc à organiser le renouvellement de ceux qui veulent représenter la collectivité.
Ceci, chacun le constate, n'est pas du tout dans la mentalité française. Cumulant souvent deux mandats, le député battu prépare souvent sa vengeance. Il est fréquent, dans l'excès, de constater qu'un député-maire battu réintègre l'administration, continue de gérer sa mairie et retente sa chance aux législatives suivantes. On est là dans le fin du fin de l'aberration.
Dans les faits, l'élaboration d'un statut amènerait aussi à réfléchir au cumul des mandats, autre exception française. Au bout du compte, organiser la poursuite d'une vie professionnelle hors de la politique présenterait le double avantage de diversifier le recrutement de ceux qui souhaiteraient servir leurs concitoyens en même temps que se créerait une rotation des élus. Dans le droit fil, se trouverait posé la question du nombre des députés, beaucoup trop nombreux en France, du mode de recrutement des sénateurs, totalement archaïque, du nombre de communes, un élu rendu à un mandat en accélérerait le regroupement, et même du nombre de structures publiques, régions et départements entremêlant leurs compétences à un point d'embrouilles qui devrait autant scandaliser que faire rire.
Au lieu de cette modernisation qui finira bien par arriver un jour, les responsables politiques français organisent la complexité qui leur garantie l'opacité sans leur éviter la fragilité. Comme rien n'est fixé, tout est précaire, d'où une certaine hâte à engranger des garanties. Ces chemins psychologiques ont conduit les députés, il y a longtemps, à prélever une double cotisation de retraite sur les indemnités annuelles de telle sorte que, pour les quinze premières, chaque année passée au Palais-Bourbon vaut double pour la retraite. Parmi tous les régimes spéciaux de retraite que l'on connaît en France, et certains sont cocasses, celui est le plus spécial. Il n'est justifiable, au bout du bout du raisonnement, que par la volonté de ne rien organiser, qui n'est rien d'autre qu'une inertie de commodités de la part d'élus qui veulent préserver des bastions électoraux et vieillir à la tâche. Certains, parfois, donnent le sentiment que mourir dans leur fauteuil de maire constitue le but ultime d'une vie présentée comme dévouée au bien public.
Voilà donc la problématique que nous avons sommairement abordée, ce matin, avec Patrick Ollier. Moderniser la politique n'est jamais la priorité dans une société qui a toujours des problèmes plus urgents à régler. Pourtant, moderniser la politique est aussi un moyen de retrouver les chemins d'une confiance aujourd'hui en voie de disparition entre les citoyens et ceux qu'ils mettent aux postes de responsabilité par l'intermédiaire de leur bulletin de vote.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire