Louis Gallois, dans une lettre au personnel, renouvelle sa confiance aux dirigeants du groupe.
Pas besoin de vous faire un dessin : quand on éprouve le besoin de renouveler publiquement sa confiance à quelqu'un, c'est qu'il y a toutes les raisons qu'il faille se défier de cette personne mais qu'on ne sait pas comment s'en débarrasser.
La Saint-Barthélémy des technocrates que j'appelle de mes voeux n'est donc pas pour tout de suite.
Autre chose : cette affaire est l'occasion d'en découvrir de drôles sur le fonctionnement des instances dirigeantes de notre beau pays.
C'est toujours le même douloureux problème de gouvernance, suivant un mot à la mode, et qu'il serait plus exact d'appeller un problème d'équilibre des pouvoirs. En France, il y a l'exécutif et rien en face ; d'où les caprices de ministraillons, les faits du prince, les financements occultes, le népotisme, le clientélisme, voire les associations véreuses.
La Caisse des Dépots et Consignations (CDC) est en théorie sous le contrôle du Parlement mais reçoit en réalité ses ordres, sans traces écrites, du gouvernement.
Elle peut donc, avec la plus parfaite mauvaise foi, déclarer qu'elle n'a jamais reçu d'ordre de quiconque sur le dossier EADS : tout le monde sait parfaitement que c'est un mensonge qui ferait honte à Pinocchio lui-même mais personne ne peut le prouver. Il ne reste plus qu'à espérer que les acteurs, plongés dans des stratégies individuelles genre sauve-qui-peut, se contredisent et que certains avouent. Mais, comme, pour l'instant, la meilleure stratégie individuelle (voir les problématiques de dilemme du prisonnier) est le déni, ce n'est pas gagné.
Si ces moeurs vous rappellent celles de la mafia, ce n'est pas un hasard : la démocratie, ce n'est pas seulement des élections, c'est aussi un système d'alternance au pouvoir et d'équilibre des pouvoirs. Or, ce dernier point n'existe pas en France.
Sans équilibre des pouvoirs, point de contrôle, les puissants sont amenés à se sentir tout-puissants. Les solidarités, les réseaux, les renvois d'ascenceur, les petits services, les coutumes et les usages sont alors plus importants que les textes, les lois et les réglements (c'est d'ailleurs une des raisons de notre inflation législative : ceux qui font les lois ne se sentent pas concernés par leur application).
On ne peut évidemment s'empêcher d'évoquer l'affaire Gautier-Sauvagnac, ce dirigeant patronal qui aurait distribué des millions d'euros en liquide à des syndicats : là aussi, les moeurs et les habitudes engendrent des pratiques tout à fait illégales. Absolument aucun syndicat n'échappe à ces délits, même si, suivant leurs affinités, les délits seront différents : tel syndicat tapera dans la caisse de CE d'entreprises publiques tandis que tel autre recevra des liasses de l'IUMM.
Enfin, ne soyons pas naïfs : comme dans le cas du financement occulte des partis politiques, on commence à nous monter un sketch, la bouche en coeur, style «Certes, c'est illégal, mais il n'y a a pas d'enrichissement personnel, j'agissais pour le plus grand bien du dialogue social.» Or, comme disait avec bon sens Pierre Dac «Quand il n'y plus de bornes, il n'y a plus de limites.», une fois qu'on est dans l'illégalité, l'enrichissement personnel ne peut JAMAIS être exclu.
N'oubliez pas que l'enrichissement personnel peut être en nature. Si le syndicat , grâce à ses magouilles, peut payer une voiture à ses dirigeants, c'est toujours ça économisé pour eux.
A partir de quel moment un dirigeant syndical qui sait qu'une part des revenus de son syndicat est illégale et qui profite de la voiture, du chauffeur, de la secrétaire, des bureaux, de la résidence de campagne du syndicat et que sais je encore fait-il acte de recel ? (Et qu'on ne vienne pas arguer du coeur pur des vaillants syndicalistes, l'affaire de l'ARC devrait nous avoir vaccinés contre ce genre d'argument : les hommes sont partout les mêmes, quelquefois bons, quelquefois mauvais, et personne n'est à l'abri de céder à la tentation.)
Qui passe sciemment dans l'illégalité, même pour toutes les bonnes raisons du monde (et sont-ils si bonnes, ces raisons ?) ne peut ensuite se plaindre d'être l'objet de toutes les rumeurs et d'alimenter tous les soupçons. Et cette conclusion vaut pour EADS comme pour les syndicats.
Pour l'affaire EADS, je suis assez «optimiste» : les principaux protagonistes seront embêtés par la justice, un peu tracassés, mais s'en sortiront sans une égratignure (sauf à la réputation, mais qu'importe à ces gens pas trop exigeants sur les questions d' honneur. Leur vive intelligence leur permet toujours de se justifier à leurs propres yeux, n'est-ce pas l'essentiel ?), faute de preuves, de cas bien nets.
Pour l'affaire Gautier-Savagnac, ça paraît plus mal embarqué : les grosses liasses de billets ! Quel ringardise, quel amateurisme. Aujourd'hui, on ouvre des comptes aux îles Caïman.
NB : on me dit fréquemment que je critique les technocrates, les politiciens, les entreprises publiques, l'Etat, les administrations, mais qu'il n'y a pas plus d'honnêteté privé.
C'est vrai et, pourtant, il y a une différence : les conneries de l'Etat sont faites avec l'argent du contribuable, qui est obligé de payer ses impots, tandis que les conneries du privé sont faites avec l'argent de l'actionnaire, que personne n'a contraint dans son choix d'investissement. Le corollaire est que l'actionnaire mécontent peut choisir de se retirer, le contribuable mécontent ne peut pas choisir de ne plus payer ses impôts. Différence fondamentale, vous ne trouvez pas ?
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