Depuis la débâcle du crédit hypothécaire aux Etats-Unis, on guette la récession américaine : mais la récession n’arrive pas, la croissance semble même redémarrer. Ce n’est pas en Amérique que l’économie a calé, mais en Europe. Par-delà la conjoncture toujours changeante, c’est le trend qui importe. Comment comprendre ce dynamisme américain et cette stagnation européenne ? Il faut pour cela remonter loin dans l’histoire. En 1820 s’est produit un événement considérable, passé inaperçu à l’époque : cette année-là, le revenu moyen par habitant des Américains a dépassé le revenu moyen des Européens. Ce retard, depuis lors, n’a jamais été rattrapé. Les raisons profondes en sont enracinées dans nos deux civilisations, absolument distinctes de part et d’autre de l’Atlantique.
Aux Etats-Unis, société démocratique et égalitaire, les producteurs ont d’emblée cherché à satisfaire les goûts homogènes du peuple : la standardisation et la mécanisation ont été les réponses économiques à cette exigence politique. Une passion démocratique qui se perpétue aujourd’hui par les « chaînes ». Elle perdure aussi dans la « nouvelle économie » : sur Google, les sites sont classés non par des experts mais en fonction de leur fréquentation. La « sagesse des foules » l’emporte sur les choix des experts. Car l’Europe, à l’inverse, fut et elle reste le continent des élites, des aristocrates et des experts. Naguère dans l’Europe aristocratique, l’excellence au service des élites guidait les entrepreneurs : l’objet était parfait et pas standardisé. Cette Europe est restée le continent de l’excellence et du luxe, et de la conservation plus que de l’innovation.
Spontanément, l’Européen préfère le passé ; l’Américain penche vers l’innovation, le risque, l’inconnu. Ce qui est nouveau est aux Etats-Unis toujours accueilli avec enthousiasme et avec méfiance en Europe. Dans le jargon économique contemporain, ce goût de l’innovation s’appelle le principe de la création destructrice. Aux Etats-Unis, la rage de l’innovation ne cesse de remplacer du vieux par du neuf : l’économie croît ainsi par bonds et souvent de bulle spéculative en bulle spéculative.
Au début du XXe siècle, les Etats-Unis comptaient trois mille constructeurs automobiles : il en reste deux. En 2000, Silicon Valley comptait 5 000 entreprises de logiciels internet ; 80% ont disparu. Ce que l’on appelle la crise des subprimes suit exactement la même logique. Des milliers de banques ont innové – les dérivés, les subprimes – des centaines vont disparaître. Mais, après l’éclatement de ces bulles, un plus grand nombre d’Américains roulent en voiture, plus ont accès à internet et il est certain qu’un plus grand nombre resteront propriétaires malgré la crise des subprimes.
Le bilan de la destruction créatrice s’avère donc positif : c’est bien la prise de risque, la passion de l’innovation et le marché de masse qui tirent l’économie américaine. Il y faut aussi beaucoup de Dollars, mais il n’en manque jamais : crise de subprimes ou baisse du Dollar, les capitaux affluent toujours aux Etats-Unis. Faute d’alternative ? Pour alimenter ce Léviathan économique, les Etats-Unis offrent toujours la sécurité juridique et les perspectives d’enrichissement que l’on ne trouve pas ailleurs. Il faut aussi de l’intelligence car l’innovation aux Etats-Unis naît du concubinage, inconnu ou suspect en Europe, entre les universités et l’industrie : un couple où chacun trouve ses comptes. L’Etat américain n’est pas absent pour autant, pas comme moteur de la croissance mais comme assureur du dernier recours ou infirmier social.
Cette épopée économique américaine est culturellement si distincte de l’Europe qu’elle ne peut pas être considérée comme un modèle exportable : on ne voit donc pas qui menacerait le leadership américain, ni l’Europe, ni les Chinois, ni Obama. À l’exception de la crise de 1930 qui avait conduit Franklin Roosevelt à socialiser l’économie et à prolonger la crise, aucune élection ne change radicalement le modèle américain. Nul ne conteste ni le capitalisme ni la Banque Fédérale qui veille à la stabilité des prix. Il est significatif qu’il n’y ait pas aux Etats-Unis, de ministre de l’Economie mais seulement un secrétaire d’Etat au Trésor. Mais il reste possible d’esquiver le débat : Nicolas Sarkozy a demandé à deux économistes prix Nobel, Amyarta Sen (Anglo-Indien) et Joseph Stiglitz (un Américain altermondialiste) de concevoir un index du bien-être qui serait distinct de l’index économique classique, la PIB. Cette tentative a eu de nombreux précédents, en particulier à l’ONU où l’on n’aime pas trop le capitalisme américain : hélas ! il est toujours apparu que le dynamisme économique rendait le peuple plus heureux que la stagnation. La croissance ne résout pas tous les problèmes mais la stagnation n’en résout aucun.
Cela fait déjà un certain que JP Chevallier a annoncé la reprise de l'économie US... Et si nos chers politiques commençaient à s'intéresser avec sérieux à la chose économique non pour se faire réélire mais défendre l'intérêt général?!!
RépondreSupprimerCe texte est d'une justesse déroutante.
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