mardi, octobre 14, 2008

Le krach est le nouvel opium des intellectuels

Je suis assez en phase avec cet article. Je suis consterné par les conneries, il n'y a pas d'autre mot, que j'ai entendues de la part d'éminences médiatiques ces dernières semaines.

Le krach est le nouvel opium des intellectuels


Yves de Kedrel pour Le Figaro, le14 octobre 2008

On connaissait le crack, cette drogue dérivée de la cocaïne qui provoque de violents dégâts dans les cerveaux de ceux qui en consomment. Il y a maintenant le krach boursier d'octobre 2008. En l'espace de quelques jours tant de bêtises ont été dites ou assénées sur cette crise financière que l'on peut se demander si ce krach-là n'est pas devenu le nouvel opium des intellectuels en mal de poncifs ou de revanches à prendre sur vingt années de pragmatisme libéral.

Par ici, on lit que c'est la fin du capitalisme. Par là, on découvre que c'est l'échec de la mondialisation. Le matin, on entend un économiste expliquer que c'est le grand retour de l'État, voire des États. Et le soir, on se couche en regardant à la télévision des débatteurs tous sûrs et certains que cette crise boursière et financière marque la fin de la puissance américaine. Il est même devenu difficile de faire son tri dans tout ce qui est dit ou écrit, tant chacun fait de la surenchère dans l'antilibéralisme et la dénonciation du marché. C'est à qui dira le plus vite et le plus fort que tout cela était écrit et que les 10 000 milliards de dollars partis en fumée la semaine passée sont la conséquence logique d'un processus diabolique inscrit dans les gênes du capitalisme.

C'est dire s'il va falloir du temps et un peu de sérénité pour que nos élites reviennent à la raison. Ne parlons même pas de José Bové qui veut juger au sein d'un tribunal international les grands financiers du moment, ou de ceux qui proclament haut et fort, comme Napoléon il y a deux siècles, «la Bourse je la ferme, les boursiers je les enferme».

Bien sûr, il ne s'agit pas de nier ici l'ampleur de cette crise, que nous avions laissé envisager dans ces colonnes au début de l'été. Bien sûr, il n'est pas question de balayer d'un revers de main les risques inhérents à cet incroyable maelström, comme les pertes subies par des millions d'actionnaires. Surtout, il faut s'inquiéter de cette hibernation du crédit qui a déjà commencé et qui constitue aujourd'hui le principal problème à régler. Mais d'ores et déjà, quelques lignes se dessinent pour l'après-krach et qui n'ont pas grand-chose à voir avec ce qui se répète en boucle entre Les Deux Magots et le Café de Flore.

D'abord non seulement le capitalisme ne va pas disparaître, mais il va rester, heureusement, le système dominant de l'économie mondiale. Et il va ressortir de cette crise plus fort, car assaini de certaines pratiques outrancières, que le marché finit toujours par corriger. Le capitalisme va demeurer, parce qu'il est le seul système économique dont la génération est spontanée, le seul qui crée de la richesse au profit de tous, le seul qui lie les bénéfices réalisés aux risques engagés. Le capitalisme a, certes, déjà plusieurs visages, selon que l'on se trouve à New York, Palo Alto, Londres, Paris, Francfort, Bombay, Moscou, Shanghai, Tokyo ou Dubaï. Et le capitalisme anglo-saxon ou flamand, défini par Braudel, va sans doute se tempérer de pratiques plus latines. Mais il y a peu de risques qu'une sorte d'économie mixte comme en rêvent nos archéosocialistes renaisse dans les cendres chaudes de cette crise.

Seconde certitude, les États-Unis vont rester non pas le centre du monde capitaliste, mais son phare d'Alexandrie. Parce que, en dehors de la Chine, c'est outre-Atlantique que l'initiative individuelle est la mieux encouragée. C'est donc là-bas que l'économie rebondira dès que possible, grâce à une nouvelle génération d'innovations, grâce à de nouveaux services, grâce surtout à des cerveaux qui créent mieux dans un garage de dix mètres carrés que sur un pôle de compétitivité à Orsay. Ce qui n'absout l'Amérique ni de ses excès ni de la gestion pitoyable qui y a été faite de cette crise.

Troisième certitude : nous n'assisterons pas au retour de l'État ou des États. L'action publique s'est déconsidérée comme jamais à l'occasion de cette crise financière. Qu'il s'agisse des incantations sur les garanties de dépôts, des tentatives de concertation à 4, 7, 15 ou 20, des sauvetages de banques, et enfin des actions minimalistes des banques centrales. Tout a échoué. Les États n'ont pas constitué la solution, mais un problème de plus tant leurs manières de raisonner sont différentes et tant leurs déclarations intempestives ont créé un climat anxiogène. Et n'oublions jamais que si Bill Clinton n'avait pas donné l'ordre aux banquiers de prêter dès 1995, à des ménages insolvables, la crise du subprime n'aurait jamais vu le jour. Autant dire qu'aucun État, y compris le plus libéral ne peut aujourd'hui se poser en donneur de leçons.

Enfin, dernière certitude, comme Nicolas Baverez le souligne dans son dernier ouvrage « En route vers l'inconnu », c'est la première fois que le monde occidental n'est plus maître de son destin. Nous avons aujourd'hui davantage besoin de l'hémisphère Sud et des pays émergents qu'ils n'ont besoin de nous. Ils détiennent 3 000 milliards de réserves de changes, et d'ici à cinq ans leurs fonds souverains géreront 15 000 milliards de dollars. L'économie mondiale est sans doute en crise. Cela signifie qu'elle se trouve à un moment charnière lorsque l'on connaît la signification du grec krisis. Mais pour paraphraser Lampedusa : tout devrait donc en apparence changer pour que tout reste identique.

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