Le risque systémique est une notion relativement vague. Il recouvre en général tous les aspects non immédiats qui ont contribué à un accident, qui sont liés par la force des choses, au système, à l'organisation, qui entoure cet accident.
L'intérêt d'analyser le risque systémique est qu'un système qui a conduit à un accident peut conduire à un autre accident ultérieurement, qui n'aura pas obligatoirement des causes immédiates identiques, mais aura été facilité par les mêmes failles de l'organisation.
C'est pourquoi dans les structures bien faites et focalisées sur la gestion du risque, un accident entraîne un changement d'organisation, et non pas seulement un changement des procédures.
Un contre-exemple typique est le double accident des navettes spatiales, Challenger et Columbia. Les procédures ont été changées suite à l'accident de Challenger, mais pas l'organisation mammouthesque et la culture bureaucratique de la NASA.
L'enquête sur l'accident de Challenger, dirigée par le prix Nobel Richard Feynman, est un exemple remarquable de rigueur et d'honnêteté dans l'analyse (1), et pourtant, il n'a eu que des effets partiels sur la NASA.
On peut retrouver le risque systémique ailleurs que dans l'aviation bien entendu, dans l'affaire du sang contaminé par exemple.
Nombreux sont ceux qui pensent que l'endogamie des élites françaises (2) est en soi un risque systémique, car elle empêche que les incompétents soient virés et que les organisations défaillantes soient réparées (3).
Bien entendu, le BEA, qui, du fait de cette endogamie, participe lui-même à travers sa hiérarchie à ce risque systémique, en évitant d'orienter les enquêtes vers des causes dérangeantes,ne fera rien pour le faire disparaître.
Sur AF447, cette histoire de pitots givrés mouille un peu tout le monde. Cependant, le givrage des pitots est une grosse cause contributrice de l'accident, mais en soi, il ne fait pas tomber l'avion. Aujourd'hui, il y a deux causes possibles de l'accident, outre le givrage des pitots :
1) les calculateurs qui font n'importe quoi suite à ce givrage.
2) les pilotes qui font n'importe quoi suite à ce givrage (ou en tout cas, pas ce qu'il faut).
L'hypothèse 1 met plutôt en cause la conception des avions, donc Airbus, et les autorités de certification.
L'hypothèse 2 met plutôt en cause AF, la formation des pilotes, l'appariement des équipages, l'organisation du vol etc ...
Dans les deux cas, la mise en cause systémique est évidente.
Pour ma part, j'ai intuitivement tendance à pencher pour l'hypothèse 2. Mais je n'ai pas d'éléments solides pour justifier ma préférence. C'est purement intuitif. Et comme l'intuition est quelque chose d'instable, j'aurai peut-être changé d'avis demain.
Mais ce qui m'agace, c'est que la faute des pilotes servira à masquer les fautes d'AF, ce qui est bien entendu une malhonnêteté : ce n'est pas parce que Jacques fait des conneries qu'on doit passer sous silence celles de Paul.
Enfin, je vous signale cet article :
Hypothèses sur le crash du vol Rio-Paris
Christian Morel est l'auteur d'un petit ouvrage Les décisions absurdes : sociologie des erreurs radicales et persistantes, que je vous encourage à lire.
C'est un de ceux qui sont intervenus à propos de l'accident d'AF447 à qui je ferais le plus confiance. Avec un bémol, la «politique exemplaire de sécurité des vols d'Air France» qu'il invoque n'existe pas : AF est dans les compagnies européennes les plus mal classées en matière de sécurité.
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(1) : c'est-à-dire tout le contraire des enquêtes du BEA français.
Ceci n'est pas une accusation gratuite de ma part : par exemple, certains ont supposé que l'accident du Concorde était du à une entretoise manquante sur le train fautif. Le BEA a réfuté cette hypothèse, mais sans argumenter cette réfutation. A défaut de malhonnêteté flagrante, c'est au moins un manque de rigueur. De même, lorsque le Concorde se trouve en dificulté au roulage, le rapport signale une exclamation «Attention !» «inexpliquée» et omet de signaler que c'est le moment où l'équipage avait en vue sur le taxiway traversant le 747 contenant le couple présidentiel Chirac. Ca n'est peut-être pas une «explication» mais cette omission est gênante quant à l'honnêteté et à la rigueur du BEA.
Et je ne vous parle que du Concorde, qui est le cas le plus célèbre, mais il y en a d'autres.
(2) : Euro-Cockpit fait remarquer que les dirigeants des organismes responsables d'AF447 sont issus de la promotion 1965 de Ecole Polytechnique. Singulier hasard.
(3) : un de mes lecteurs m'a conseillé un livre démontrant que l'économie française a, du fait de l'étatisme forcené qui y règne, été depuis Napoléon à la traîne de ses voisins les plus performants. Il y a eu de beaux moments de rattrapage, comme sous Napoléon III ou les Trente Glorieuses, mais ce n'était que cela, le rattrapage d'un retard accumulé. Jamais depuis deux siècles la France n'a été considéré comme un exemple économique.
et qui remercie Morel dans son bouquin ? Boudon.
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