Roland de Margerie est le dernier grand témoin de la défaite de 1940 à publier ses mémoires, qu'il a voulus posthumes. Margerie a occupé de très hauts postes diplomatiques durant cette période.
Margerie est de ces partisans de la résistance qui n'ont pas rejoint De Gaulle, ses raisons (ne pas avoir un jour à tirer sur des Français) sont tout à fait honorables, mais, avec le recul du temps, paraissent faibles devant l'ampleur du drame. Il lui manque cette once de déraison, ce grain de fantaisie, qui fit les bons gaullistes.
Parmi les points qui m'ont frappés, il y a des portraits assassins et finalement très tristes de Paul Reynaud et de son entourage.
Paul Reynaud y est décrit comme un avocat, capable de défendre avec un égal talent tout et son contraire. De fibre résistante, il choisit un entourage défaitiste qui lui sape le moral. Sa maitresse, Hélène de Portes, la « mégérie », hurlante et grossière, se mêle beaucoup trop de politique. Reynaud n'a pas les couilles de lui claquer le beignet (comme on dit dans Le cave se rebiffe).
Quand au colonel de Villelume, il n'a de militaire que l'appellation. Pour le reste, c'est un défaitiste, aux analyses certes lucides, mais incapable d'action. Reynaud ne l'a pas viré comme il aurait du, ça marque assez sa faiblesse sous ses rodomontades.
Margerie montre aussi parmi les parlementaires une italophilie qui confine à la trahison, puisque quelques uns communiquent à l'ambassade d'Italie des secrets d'Etat. Là encore, Reynaud, parfaitement informé, n'intervient pas.
Bien sûr, dans les réactions molles de Reynaud, on peut détecter les traces d'une analyse pas si résistante qu'il l'a dite. mais c'est encore à un certain degré une faiblesse de caractère.
On sent dans ce journal le désespoir de Margerie voyant en ses heures dramatiques des dirigeants qui n'arrivent pas à se dépêtrer des minables jeux parlementaires dont ils ont l'habitude pour s'élever à la hauteur de la situation. Churchill, confronté lui aussi à des manoeuvres, eut l'énergie de s'élever et de faire face.
Le drame de la France de 1940 fut d'avoir des politiciens médiocres (la guerre est le règne de la contingence : il suffit de peu pour faire basculer le situation, un Reynaud plus ferme eut peut-être suffi) et un ennemi génial (Margerie reconnaît qu'il a sous-estimé l'habileté d'Hitler en anticipant des conditions d'armistice très dures).
Enfin, ce livre ne dément le parallèle que je fais (jusqu'à la petite taille !) entre Paul Reynaud et Nicolas Sarkozy (voir 100 000 morts oubliés).
Je vous trouve indulgent pour Margerie, sévère mal à propos pour Reynaud et fâcheusement muet sur Hitler.
RépondreSupprimercf. http://www.delpla.org/article.php3?id_article=458
Il vous faut compléter d'urgence par le journal de Villelume lui-même, qui montre que l'émergence de ce dernier, comme conseiller militaires de PR, en lieu et place de De Gaulle, ne doit rien au hasard et tout à la stratégie d'investissement du pouvoir du ministre des Finances, débordant Daladier sur sa droite et sur sa gauche (je veux dire : il s'allie avec un "belliciste" comme Mandel d'un côté et un défaitiste avéré comme Villelume de l'autre) : dans ce purgatoire d'avant la venue au pouvoir éclate plus que jamais son abyssale différence avec Churchill qui, au lieu de conspirer contre Chamberlain, fait le possible pour l'inciter à mener la guerre plus énergiquement.
Mais Churchill est beaucoup plus que cela : une véritable incarnation nationale, sonnant le tocsin depuis 1930 contre le revanchisme allemand, puis dès 1933 contre Hitler et notamment son racisme. L'histoire a curieusement produit l'antidote en même temps que la radicale nouveauté de la nuisance hitlérienne... et les historiens n'en sont qu'au début de l'analyse du phénomène.
Il n'en demeure pas moins que le jeu de Paul Reynaud est étrange.
RépondreSupprimerAprès le coup d'assommoir de mai, chacun réagit comme il s'y est préparé de longue date, les lutteurs luttent, les parlementaires parlementent et les défaitistes abdiquent.
Paul Reynaud devrait se retrouver dans le camp des lutteurs, hé bien non.
c'est drôle !
RépondreSupprimerdans notre jargon historien, nous distinguons une école "fonctionnaliste" de l'histoire du nazisme, qui elle-même baptise injurieusement "intentionnalistes" ceux qui lui font le reproche, ô combien mérité, d'oublier Hitler dans ses analyses.
En termes de droite et de gauche, les fonctionnalistes sont objectivement (et le plus souvent subjectivement) plutôt à gauche, puisqu'ils en appellent aux structures, aux fonctionnements collectifs etc.
Or votre phrase "les lutteurs luttent, les parlementaires parlementent et les défaitistes abdiquent" est, sauf votre respect, typiquement fonctionnaliste !
Ce à quoi deux décennies d'étude quotidienne de la question m'ont amené, c'est à une prise de conscience (déjà ancienne, mais validée un peu plus chaque jour) du fait que Hitler bouscule tous ces fonctionnements, notamment parce qu'il les comprend et en joue.
Quant à Churchill, il ne comprend pas toujours très bien à qui il a affaire, mais souvent, et notamment en juin-juillet 40, il procède comme Ulysse, se faisant attacher au mât pour ne pas être tenté par le chant des sirènes.
Reste que je ne comprends pas bien Reynaud (sauf à dire qu'un avocat peut défendre tout et son contraire).
RépondreSupprimerVous avez sans doute relevé que Margerie ne s'étend pas sur l'analyse des intentions hitlériennes.
Il parle beaucoup de l'Angleterre et de l'Italie, un peu de la Pologne et des Etats-Unis, mais finalement peu de l'Allemagne.
Le texte de Margerie est bâtard (ce qui ne semble guère interpeller son préfacier Roussel) : fait à partir d'un journal, remanié on ne sait quand ni à quel degré jusqu'aux années 1980. Lui-même reste figé dans une analyse après coup : il sait que le choix de Churchill était le bon, et préfère une grille d'analyse moralisante à la prise de conscience que Hitler avait roulé tout le monde sauf Churchill, de Gaulle et presque personne d'autre.
RépondreSupprimerAinsi, le jeu de Reynaud n'a rien de bien compliqué : il pense que la partie est, pour Hitler, archi-gagnée miltairement et qu'on ne peut plus le faire reculer que par la diplomatie, d'où l'urgence d'un armistice commun franco-britannique, qu'il va quémander le 26 mai (c'est LE grand apport de ce livre de documenter ce moment capital).
Reynaud est donc littéralement privé de politique, et par la ténacité de Churchill, et par sa capacité à rester debout dans le rodéo du cabinet britannique... dont Reynaud est un spectateur médusé et intéressé ce jour-là !
Il se trouve que, sans doute déçu par Margerie, il ne va plus lui confier grand-chose : Margerie n'est visiblement pas au parfum de la mission ultra-secrète de Prouvost à Londres, qui s'achève le 5 juin et dont je n'ai moi-même pris conscience qu'en écrivant mon dernier livre.
J'ai beau connaître vos œuvres complètes par coeur ;-), cette histoire de Prouvost échappe à me mémoire.
RépondreSupprimerPendant que j'y suis : j'ai bien compris que ce récit de la journée du 26 mai est essentiel, mais là encore, peu de traces d'Hitler & cie (à part la question de la possible dureté des conditions de paix).
RépondreSupprimerJe partage votre avis sur Margerie : sans pouvoir l'argumenter comme vous, j'ai bien senti dans son journal qu'il manquait de caractère (au sens gaullien du Fil de l'épée).
RépondreSupprimerextrait de mon Mers el-Kébir :
RépondreSupprimerLe grand journaliste Pierre Lazareff, futur fondateur de France-Soir, était alors le rédacteur en chef du quotidien Paris-Soir, acheté en 1930 et dynamisé tout au long des années 30 par l’industriel du textile Jean Prouvost. Dans un livre écrit en 1944 à partir de notes, Lazareff, replié depuis 1940 aux Etats-Unis, écrit :
"La mission de Jean Prouvost (6 juin)
Jean Prouvost est revenu hier soir de Londres où il était parti en mission pour Paul Reynaud. Sur la nature de cette mission ultra-secrète, il a cependant laissé, à son retour, dans une conversation que nous avons eue ensemble, échapper assez de choses pour que je comprenne avec stupéfaction que Paul Reynaud, sachant l’amitié qui unit Lord Beaverbrook à Jean Prouvost, ait envoyé celui-ci en Angleterre pour savoir quelles dernières chances les Alliés pouvaient avoir de solliciter ensemble un armistice et d’obtenir une paix négociée. Lord Beaverbrook, quoi qu’il soit devenu le principal collaborateur de Winston Churchill, n’avait-il pas été pendant de longues années le leader de l’apaisement et de l’isolationnisme ? Ce que Paul Reynaud n’avait pu obtenir ni directement, ni indirectement, de Churchill, Jean Prouvost, par Beaverbrook, pouvait peut-être essayer de le tenter. Jean Prouvost devait voir aussi le Premier anglais qui, après tout, avait été de longues années son collaborateur.
Mais je n’ai pas été long à comprendre que Winston Churchill et Beaverbrook avaient répondu à Jean Prouvost : « pas de paix négociée, pas d’armistice. La bataille de France n’est qu’une bataille dans la guerre mondiale. Si cette bataille est perdue, la guerre continuera. La bataille de France est déjà trop compromise pour que nous y risquions une partie de nos forces, le plan est de ménager au contraire nos forces pour la seconde bataille qui sera celle d’Angleterre. L’allié français doit tenir le plus possible pour nous donner le temps de mieux nous préparer, puis se replier sur ses positions coloniales, abandonnant le terrain à l’ennemi, jusqu’au jour de la victoire alliée qui permettra de libérer son territoire.
La France avait livré la première bataille et reçu les premiers coups. L’Angleterre préparait la seconde bataille grâce à laquelle elle espérait pouvoir délivrer ses alliés. La guerre avait-elle été finie lorsque la Pologne fut occupée ? Et n’avait-on pas eu tort de sacrifier des forces de réserve pour aider sans espoir la Belgique ? »*
Jean Prouvost, sans méconnaître la logique de cette conception, souligna surtout ce qu’elle représentait d’inhumain pour son pays. D’autre part, il était sceptique sur les possibilités de résistance de l’Angleterre, sans armée et sans armes.
Jean Prouvost a été rendre compte de sa mission à Paul Reynaud après lui avoir longuement téléphoné de mon bureau . "
pardon pour le doublon, j'avais eu une annonce suivant laquelle le message était trop long... alors qu'il était passé !
RépondreSupprimerce récit de la journée du 26 mai est essentiel, mais là encore, peu de traces d'Hitler & cie (à part la question de la possible dureté des conditions de paix).
RépondreSupprimerc'est bien là que gît le lièvre !
la percée de Sedan et la chevauchée consécutive (toutes choses que j'estime calculées, ce qui est loin encore de faire l'unanimité) s'accompagnent de conditions de paix alléchantes, tant pour la France que pour l'Angleterre, transmises via la Suède à la veille de l'offensive.
Si je comprends bien :
RépondreSupprimer> Reynaud était un belliciste mais n'a pas assez compris la nature du nazisme pour être persuadé que toute solution était meilleure que la soumission.
> c'est ce qui fait la différence avec Churchill et De Gaulle qui ont compris la «pente glissante» : puisque Hitler ne respecte que la force, pas les traités et pas sa propre parole, toute concession est le prélude à la concession suivante.
> Margerie, tout en ayant une volonté de résistance, n'est pas allé jusqu'au bout de la logique résistante, c'est-à-dire la rebellion, peut-être parce que lui non plus n'a pas complètement compris le nazisme et l'habileté d'Hitler.
> quant à vos «perspectives de paix alléchantes», Margerie n'en parle pas, alors qu'il devait être au courant. En revanche, il s'étale beaucoup sur le cas de l'Italie, ce qui est peut-être une indication.
> il demeure le problème de la crédibilité hitlérienne : alléchantes ou pas, les offres de paix d'Hitler sont nécessairement entachées de doute, puisque tout le monde a fini par s'apercevoir que le respect de sa parole n'est pas son fort.
un message perdu lors de l'enregistrement !
RépondreSupprimergrr...
je résume
> Reynaud était un belliciste mais n'a pas assez compris la nature du nazisme pour être persuadé que toute solution était meilleure que la soumission.
même pas; il est obnubilé par une défaite en apparence irrémédiable et ne voit que périls supplémentaires dans la poursuite de la guerre, y compris celui d'une France "rouge", une obsession dont Margerie nous apprend à quel point (inattendu même pour moi) il la partage avec Pétain et Weygand.
> quant à vos «perspectives de paix alléchantes», Margerie n'en parle pas, alors qu'il devait être au courant. En revanche, il s'étale beaucoup sur le cas de l'Italie, ce qui est peut-être une indication.
eh bien, à le lire, je me dis que soit ses mémoires sont vraiment très truqués, soit il a été bel et bien tenu à l'écart des informations sur l'offre "généreuse" de Göring transmise par Dahlerus et Nordling.
Peut-être Reynaud n'en a-t-il parlé qu'à Coulondre, Leca, Baudouin, Weygand et Pétain.