Les divagations de Martine Aubry
Par Yves Kerdrel (dans Le Figaro du 8/03/2011)
En France, quand on ne sait pas de quoi parler, on sort le mot civilisation. C'est arrivé à Nicolas Sarkozy, qui est parti, il y a quelques années, sur la piste d'un projet de civilisation, avant de vite le ranger aux oubliettes. On ne peut pas en dire autant de Martine Aubry qui vient de démarrer sa campagne pour la présidentielle de 2012 en publiant un livre qu'elle préface et dont le titre est Pour changer de civilisation. Rien que cela!
Je recommande vivement aux lecteurs qui seraient tentés par la découverte de cet ouvrage de consacrer les 16,50 euros qu'il coûte à un don aux Restaurants du cœur. À moins qu'ils recherchent vraiment un somnifère efficace. Non seulement cette somme de contributions est ennuyeuse, mal écrite et incohérente. Mais, une fois avalées les 440 pages de ce livre, on n'apprend pas grand-chose sur ce que pourrait devenir la France, si, par malheur, elle devait être un jour présidée par la «dame des 35 heures». Jusqu'à présent, on connaissait les fameuses «élucubrations» du chanteur Antoine. Avec ce «pavé», on découvre les «divagations de Martine». Et ce n'est peut-être pas un lapsus si elle a déclaré récemment, sur France 2, que «le PS a un programme extrêmement vague» avant de se reprendre pour préciser qu'il était «vaste».
De la lecture des seules pages écrites par Martine Aubry, il est donc difficile de retenir des idées concrètes. François Mitterrand voulait «changer la vie» avec 110 propositions. Elle veut «changer de civilisation». Mais sans entrer dans le détail. Son but est simplement de créer «une société solidaire qui prend soin de chacun, où chacun prend soin des autres et où, ensemble, nous prenons soin de l'avenir et de la planète». Voilà la France transformée en gigantesque sanatorium, rempli de plantes vertes et où tout le monde se donne la main… Exaltant, comme projet!
Àdéfaut de trouver dans ce poncif quelques idées neuves, le chroniqueur n'a pas d'autres moyens de s'en sortir qu'en y cherchant ce qui est délibérément nié ou passé sous silence, voire banni. C'est là où le lapsus devient vraiment révélateur. Car les quelques pages signées par Martine Aubry sont une triple négation: d'abord de la croissance, ensuite de l'individu et enfin de l'initiative.
S'agissant de la croissance, la première secrétaire du PS ne se cache pas derrière son petit doigt. C'est pour elle une idée dépassée. «Nous avons longtemps assimilé croissance, progrès et bonheur. Ce temps est révolu.» Qu'on se le dise! Quelques pages plus loin, l'économiste de salon, Daniel Cohen, conseiller de la Banque Lazard, a beau rappeler, à juste titre, que «les sociétés modernes sont avides de croissance», Martine Aubry plaide, elle, pour une «croissance sélective» qui ressemble beaucoup à la fameuse décroissance, vantée en 1972 par le Club de Rome. Ce qui l'amène à parler de la consommation comme d'un phénomène «d'addiction» avec lequel il faut rompre de toute urgence. Première étape de l'entrée dans le sanatorium.
Deuxième négation subliminale de cette préface: l'individu. Pas une seule fois, ce mot est utilisé, alors que celui de «société» revient toutes les trois lignes. Martine Aubry y parle abondamment d'une société du respect. Mais le premier des respects ne consiste-t-il pas à reconnaître la liberté individuelle: liberté d'agir, d'entreprendre, de créer, d'innover, de gagner de l'argent, de le consommer à sa guise. Non, tout cela n'est pas seulement grossier. C'est, pour elle, contre-nature. Si l'individu existe, c'est seulement comme victime d'un «capitalisme vorace qui broie les vies réelles» (sic). D'où la nécessité de compléter les allocations en tous genres avec de la dignité. Deuxième étape du sanatorium. Et dire que beaucoup d'entre nous croyons encore que la première des dignités, c'est d'avoir un travail, d'en vivre et de faire vivre sa famille, voire de s'épanouir dans son travail.
Enfin, la dernière négation de Martine Aubry porte sur l'initiative. Dans son projet, tout relève de la société, donc de l'État. La France souffre de désindustrialisation, à cause, notamment, des 35 heures imposées par l'auteur de ce projet. Le problème sera résolu par «la création d'un pôle public d'investissement industriel». Avec quel argent? Mystère! Jamais il n'est donc question d'initiative individuelle. Et c'est logique, puisque, pour la patronne de la Rue de Solferino, la justice sociale passe par l'égalité. Une rhétorique que tous les socialistes du monde ont abandonnée depuis longtemps, pour reconnaître que le progrès social découle du progrès économique, qui ne saurait exister sans l'encouragement de l'initiative individuelle. Décidément, aux «divagations de Martine», je préfère «les élucubrations d'Antoine». C'est peut-être moins sérieux. Mais aussi beaucoup moins dangereux!
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