Le pétainisme, nouveau point Godwin de la vie politique française...
Une contribution de notre fidèle commentateur Curmudgeon :
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Les Français ne peuvent guère penser la politique autrement qu'en se raccrochant à une grille de lecture élaborée pour comprendre l'histoire de leur pays, grille qui, en l'occurrence, se trouve comporter une forte dose de mythification. Le système interprétatif dominant, selon Simon Epstein, professeur à l'Université hébraïque de Jérusalem (précision qui explique l'indépendance intellectuelle de l'intéressé vis-à-vis du milieu universitaire français), est celui des "deux France",
«c'est-à-dire du schéma qui veut que l'histoire française contemporaine s'articule le long des mêmes marques (la gauche d'un côté, la droite de l'autre) au fil des temps. Les révolutionnaires, les dreyfusards, le Front populaire s'y heurtent — phase après phase, cycle après cycle — aux vendéens, aux versaillais, aux antidreyfusards et aux ligues factieuses de 1936. Les premiers prônent les Lumières, la Justice, la Vérité et le Progrès social, ce qui suscite l'ire et déclenche la violence, périodiquement exacerbée, des seconds. Nous avons vu que "les deux France" mettront un certain temps, pour diverses raisons, à se reconstituer après la Libération.
Mais elles finissent par se ressaisir et par reprendre, à nouveau, les fonctions politiques et didactiques qui furent les leurs dans l'imaginaire collectif de la IIe République. Elles s'érigeront, chez certains historiens et chez certains penseurs, en système interprétatif et en grille explicative des grands clivages "franco-français". Les succès électoraux de l'extrême droite, après 1984, provoqueront un regain spectaculaire de l'argumentation, laquelle sera amplement propagée, auprès du grand public, à des fins politico-didactiques évidentes. Consécutive à l'accession de Jean-Marie Le Pen au second tour des présidentielles, la crise politique d'avril 2002 portera la rhétorique des "deux France" — la bonne et la mauvaise — à son paroxysme [...].
Car le modèle des "deux France", pas plus qu'il ne peut s'accommoder de l'existence d'une extrême droite résistante, ne peut consentir à celle des gauches collaboratrices. La masse des "antiracistes-collaborateurs" lui est aussi intolérable que celle des "antisémites-résistants". Le modèle peut bien admettre, à la rigueur, que "quelques" gens de gauche se soient égarés à Vichy. Il peut survivre, tout autant, à "quelques" cagoulards maurrassiens désorientés, voire même à "quelques" cagoulards erratiques et mal rasés qui auraient pris part à une résistance intégralement recrutée — qui oserait en douter ? — dans la gauche antifasciste et républicaine de 1936. Mais, sous peine de s'autodétruire, les "deux France" ne peuvent aller plus loin dans la voie des concessions. Poser que la collaboration fut de droite et la Résistance de gauche procède donc d'un impératif vital qui s'impose à tout discours, à toute recherche et à tout écrit sur la question.»
(Simon Epstein, Un Paradoxe français, Antiracistes dans la Collaboration, antisémites dans la Résistance, Albin Michel, 2008, pages 603-604).
On peut compléter la lecture d'Epstein par celle de Philippe Nemo, Les Deux Républiques françaises, PUF, 2008.
Pour fonctionner à plein, sous ses formes les plus exaltées, le système interprétatif ne doit évidemment s'autoriser aucune trace de scepticisme. Il doit au contraire se nourrir d'un millénarisme laïcisé, clairement un ersatz para-religieux, qui pousse à croire que le Salut (ou la Damnation) vient par la Politique. Par la Politique, on peut "changer la Vie", et établir "la Justice". La Politique dit où se situent le Bien et le Mal.
Le système agit jusque dans les vies individuelles, puisqu'il explique l'élaboration d'un recueil de fables comptant parmi les chefs-d'œuvres de fiction les plus fascinants de la vie politique française depuis la Libération : l'autobiographie massivement imaginaire de François Mitterrand.
Les connaisseurs apprécieront comment un ancien Croix-de-Feu qui avait conspué le professeur Jèze (conseiller juridique d'Haïlé Sélassié menacé par l'armée italienne de Mussolini) aura pu se donner le luxe d'accuser de Gaulle de fomenter un "coup d'état permanent".
Ce régime de haute tension émotionnelle s'est nettement affaibli, par exemple par rapport à ce que j'ai connu en 1981 dans mon entourage professionnel, mais il garde une réelle vigueur, comme la campagne actuelle le montre de nouveau.
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Le désamorçage de la fable des deux France, qui fait le jeu de la gauche, ne peut venir que de la vérité historique. Or, le monopole gauchiste de l'école et de la presse rend toute évolution très difficile.
C'est pourquoi il ne faut faire aucune concession, ne pas se relâcher, reprendre la balle au bond à chaque fois, saisir toutes les occasions, quitte à en devenir chiant. La révolte de Zemmour contre Domenach fait du bien.
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