mercredi, janvier 09, 2013
Fernand de Brinon, l'aristocrate de la Collaboration (G. Joseph)
J'ai déjà fait la remarque que Gilbert Joseph choisissait ses sujets avec malice.
Fernand de Brinon est un journaliste corrompu, mais pas plus que la norme de l'époque. Les voies du journalisme l'amènent à devenir un spécialiste de l'Allemagne dans les années 30. Il rencontre régulièrement Ribbentrop et même, quelques fois, Hitler. Il est, un temps, très proche de Daladier.
Après la défaite, il devient assez naturellement le délégué du gouvernement de Vichy pour la zone occupée. Il a soutenu la politique antisémite de Vichy au nom de la nécessité de ne pas déplaire aux Allemands mais était marié à une juive. Il a collaboré à la répression nazie mais a effectué beaucoup d'interventions individuelles (la famille du colonel Rémy lui doit sans doute la vie). Il a agi par conviction jusqu'au bout tandis que certains retournaient opportunément leur veste. Il a été jugé et fusillé à la Libération mais n'était pas pire que d'autres qui sont morts dans leur lit.
Bref, Gilbert Joseph a choisi d'écrire la biographie d'un salaud ordinaire, pas d'un monstre. C'est d'ailleurs en cela qu'il est intéressant.
Qu'en conclus-je ?
Il n'y a pas si longtemps, certains crétins, traitres ou manipulés (ou les deux), défilaient au cri de "Plutôt rouge que mort", leurs précurseurs demandaient "Qui veut mourir pour Dantzig ?". Tous sous-entendaient qu'il n'y a pas pire que la guerre.
Ce que nous apprend cette histoire, c'est qu'il y a pire que la guerre. Il y a la servitude sous une dictature totalitaire implacable.
Une fois de plus, le choix gaulliste est validé (c'est pourquoi je m'étonne encore que la lecture pétainiste de l'histoire (1) l'ait emporté) : choisir de collaborer avec un ennemi comme l'Allemagne nazie, c'est se condamner à descendre sans cesse les marches de la compromission puis de l'ignominie.
On voit dans la carrière de Brinon qu'il n'a aucune autonomie : soit il devance les désirs des Allemands, soit il cède à leur pression. Mais, en aucun cas, il ne peut s'opposer à eux avec succès sur des sujets importants.
Joseph en profite pour citer beaucoup de noms. Ainsi, j'apprends que la mère de l'historien André Castelot signait sa correspondance d'un vigoureux "Vive Hitler !".
Les noms qui apparaissent, dont certains sont encore dans l'actualité d'aujourd'hui (rarement au premier rang), font comprendre la continuité entre l'Etat vichyste et l'administration d'après-guerre : la légitimité était du coté gaulliste mais les gros bataillons de hauts fonctionnaires étaient du coté vichyste (jusqu'aux judicieux retournages de veste).
Pour passer à travers les mailles de l'épuration, mieux valait avoir des relations et l'habileté de faire profil bas à temps que d'être un citoyen ordinaire ayant agi par conviction.
Tout cela nous donne un tableau peu reluisant.
Certains jugements de Joseph au cours de l'ouvrage ne sont pas tendres mais il s'abstient de conclure au sujet de Brinon.
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(1) : je rappelle ce que je nomme la lecture pétainiste de l'histoire : considérer que l'armistice était nécessaire, que le gouvernement de Vichy qui en découlait était légitime et que, donc, les crimes du gouvernerment de Vichy sont ceux de la France. L'enchainement peut se remonter en sens inverse : si on considère que les crimes de Vichy sont ceux de la France, on considère de fait, même si on ne l'avoue pas, que le gouvernement de Vichy était légitime.
Philippe Séguin a parfaitement décrit les conséquences logiques d'une telle lecture : Charles De Gaulle n'est qu'un général dégradé, Léon Blum un politicien flétri responsable de la défaite, les Résistants des terroristes, les juifs ayant échappé aux rafles des hors-la-loi et la place de la France parmi les vainqueurs usurpée, ainsi que son siège permanent au Conseil de Sécurité de l'ONU.
Les arguments qui frappent d'illégalité et d'inconstitutionnalité le gouvernement de Vichy sont parfaitement décrits dans la déclaration organique rédigée à l'été 1940 par René Cassin et qu'il n'y a aucune raison de revenir dessus.
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