Les Français souffrent d'un biais politique, je dirais même philosophique : ils réagissent comme s'ils étaient persuadés que les fonctionnaires sont des êtres supérieurs, à mi-chemin entre les hommes et les dieux, des héros en quelque sorte.
En effet, toute gestion par les hommes de l'Etat est présumée altruiste, désintéressée, conforme à l'intérêt général, juste et équitable (Jean-François Revel disait que les Français ne tolèrent aucune iniquité, sauf celles introduites par l'Etat, pour lesquelles ils sont d'une tolérance infinie). Quand on dit aux gens «vous avez un problème, l'Etat va s'en occuper», ils poussent un «ouf» de soulagement tout à fait incompréhensible. Quand François Hollande utilise l'argument de la justice pour assener son assommoir fiscal, personne ne conteste vraiment cette conception de la «justice».
Or, une telle réaction des Français est tout à fait contraire à l'expérience : les hommes de l'Etat gaspillent, flambent, arrosent les bien connectés, cèdent aux lobbys, chassent la mode, courent après l'accessoire et perdent de vue l'essentiel, prennent des décisions absurdes et les poursuivent bien après leur échec avéré, avec une constance admirable.
Dans les pays sains d'esprit, ou, simplement, pragmatiques, la méfiance envers l'Etat est la marque de l'homme libre, condition louable.
En France, se méfier de l'Etat est mal vu et se comporter en homme libre considéré comme une insupportable attitude anti-sociale.
C'est pourquoi des reformes libérales sont plus difficiles en France qu'ailleurs. Il y a les raisons physiques à cet anti-libéralisme : les corporations, les intérêts catégoriels ... Mais il y a aussi les raisons intellectuelles que j'évoque.
Les Français savent bien que l'Etat dysfonctionne, cependant ils ne comprennent pas, ou pas beaucoup, que la racine du mal est qu'ils délèguent trop à l'Etat de responsabilités qui ne devraient appartenir qu'à eux.
Mettre les responsabilités là où elles doivent être dans une société d'hommes libres, c'est cela, fondamentalement, le libéralisme.
A l'Etat, la défense, la diplomatie, la police, la justice. Aux hommes, tout le reste.
Malheureuseument, comme on a tout passé au filtre froid de la raison et broyé tous les particularismes, il manque au-dessus un ciment qui unisse les hommes malgré leurs différences. D'où le tripatouillage social constant de l'Etat pour essayer de «re-créer du lien» (comme disent les sociologues à la mode), lien qu'on a commencé par détruire. C'est typique des hommes de l'Etat : on crée un problème, puis on se propose pour le résoudre.
Et les hommes de l'Etat sont en train de redécouvrir ce qu'on sait de toute éternité : lien, en latin, donne «religio». Les hommes de l'Etat essaient d'imposer par les armes de la coercition et de l'intimidation médiatico-sociale, une nouvelle religion : la religion multi-culturaliste des droits de l'homme. Cette nouvelle religion a ses prêtres et ses servants : les fonctionnaires. Elle a aussi ses initiés, les francs-maçons.
Pour répondre à la question initiale de ce billet, le fonctionnaire n'est pas un sur-homme, juste un prêtre. Mais c'est le prêtre d'un culte qui, comparé aux religions patinées par le temps, frappe par sa grossièreté et sa bêtise. On en revient au dialogue de Socrate et de Protagoras : «Si l'homme est la mesure de toute chose, qu'est-ce qui mesure l'homme ?». On pouvait penser que les folies démiurgiques totalitaires du XXème siècle nous avaient guéris de cette tentation de nous prendre pour des dieux. Il semble que cet espoir était trop optimiste.
Il n'est pas fortuit que ce nouveau culte et ses prêtres fassent le plus de dégâts dans le pays qui a guillotiné un roi de droit divin et tenté d'instaurer le culte de l'Etre Suprême.
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