Au début des années 1650, le chevalier de Méré (c'est par lui que nous connaissons cette histoire), le duc de Roannez, qui prend son poste de gouverneur du Poitou, et M. Mitton partent pour Poitiers, un voyage d'une bonne semaine. Le duc a l'idée d'embarquer, pour leur tenir compagnie, un mathématicien qui commence à se faire une renommée sans être encore une célébrité : Blaise Pascal.
En dehors de son domaine mathématique, il reste provincial et mal dégrossi. Il exprime sur le monde des opinions fort naïves qui amusent ses compagnons de voyage. Il s'en rend compte et se tait. Mais ce n'est pas le silence buté du boeuf vexé. Il écoute et enregistre. Il réfléchit. Il apprend, à une vitesse digne de son génie (1).
Au bout de quelques jours, il parle à nouveau. Voici ce qu'en écrit Méré : «Cela fut bien remarquable qu'avant que nous fussions arrivés à Poitiers, il ne dit presque rien qui ne fût bon et que nous l'eussions voulu dire et, sans mentir, c'était être revenu de bien loin».
Ces mondains, si ce n'est courtisans, ont une fine connaissance de la nature humaine, aussi intime que la teinture dans le tissu, et une longue habitude du commerce des hommes, sans quoi nous n'aurions eu ni Racine, ni Molière, ni La Fontaine, ni La Rochefoucauld, ni La Bruyère. Nos voyageurs ont bien compris qu'ils n'avaient pas avec eux un homme ordinaire.
Plus tard, le duc de Roannez lui demandera de travailler à l'assèchement des marais poitevins.
Je doute que nous soyons capables de produire cette qualité d'homme. Qu'ils aient existé, qu'on puisse encore lire leurs livres, reste cependant une consolation.
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(1) : Chateaubriand : « Il y avait un homme qui, à douze ans, avec des barres et des ronds, avait créé les mathématiques ; qui, à seize, avait fait le plus savant traité des coniques qu'on ait vu depuis l'Antiquité ; qui, à dix-neuf, réduisit en machine une science qui existe tout entière dans l'entendement ; qui à vingt-trois, démontra les phénomènes de la pesanteur de l'air, et détruisit une des grandes erreurs de l'ancienne physique ; qui, à cet âge où les autres commencent à peine à naître, ayant achevé de parcourir le cercle des sciences humaines, s'aperçut de leur néant et tourna ses pensées vers la religion ; qui, depuis ce moment jusqu'à sa mort, arrivée dans sa trente-neuvième année, toujours infirme et souffrant, fixa la langue que parlèrent Bossuet et Racine, donna le modèle de la plus parfaite plaisanterie, comme du raisonnement le plus fort ; enfin qui, dans les courts intervalles de ses maux, résolut, par distraction, un des plus hauts problèmes de la géométrie, et jeta sur le papier des pensées qui tiennent autant du Dieu que de l'homme. Cet effrayant génie se nommait Blaise Pascal. »
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