D‐Day : n'oublions pas les soldats d'aujourd'hui !
D‐Day : quand l'émotion médiatique remplace l'histoire
Dans les commémorations du débarquement en Normandie comme dans celles de 1914, je suis frappé, au-delà des mesquines saloperies gouvernementales, de voir à quel point nous ne comprenons plus les combattants auxquels nous rendons hommage.
A cause de notre obsession nazie (1), nous comprenons encore que l'on puisse risquer sa vie pour combattre cette idéologie mortifère et seulement celle-là (mourir pour combattre le communisme semblerait incongru), mais nous ne comprenons plus qu'on puisse mourir pour la patrie. Nous considérons cela comme une marque de stupidité et de naïveté, de manque de finesse.
Alors, nous faisons des soldats de pauvres victimes, des agneaux bêlants. La victimisation, ça, nous comprenons.
Hé bien non, les combattants de 1914, comme ceux de 1940, comme ceux de 1944, faisaient la guerre pour bien des raisons, leurs motivations sont toujours complexes, mais ils ne se voyaient certainement pas comme des victimes. Ils voulaient crever du Boche. Oui, tuer, ou, du moins, combattre.
Notre erreur de perspective est-elle grave ? Je ne peux dire mieux que Jean-Pierre Le Goff :
FigaroVox: Qu'est-ce qui vous choque dans la manière dont est célébré l'anniversaire du débarquement aujourd'hui ?
Jean-Pierre Le Goff : Après tant d'années, il est normal et juste de reconnaitre les victimes civiles de la bataille de Normandie. Mais
certains commentaires médiatiques m'ont rendu mal à l'aise. Je suis moi-même originaire de Normandie, ma jeunesse a baigné dans les
récits et les souvenirs de la Libération qu'on racontait dans les familles, les visites dominicales des premiers musées des plages du
débarquement. Des membres de ma famille ont été «pris sous les bombardements» en cherchant à se réfugier dans la campagne ; on
évoquait avec douleur et tristesse les terribles bombardements de Caen et de Saint-Lô qui ont fait tant de victimes civiles. Mais je n'ai
jamais entendu à l'époque des commentaires comme ceux d'aujourd'hui. Si la guerre était considérée comme un mal, c'était un mal
nécessaire pour chasser l'occupant, et le fait qu'il y ait des victimes civiles était quelque chose de douloureux et tragique, mais ce tragique
s'intégrait aux conditions mêmes de la guerre et à une conception de la vie qui donnait sa place au sacrifice, affrontait la mort comme une donnée de la condition humaine. Le contraste est frappant entre cette conception et la relecture de la bataille de Normandie à l'aune
du nouveau monde du XXIe siècle et du nouvel individualisme victimaire.
En quoi cette nouvelle mentalité est- elle problématique? Finalement, cette nouvelle sensibilité aux victimes de
l 'histoire n'est- elle pas une bonne nouvelle?
Il me semble que ce nouvel ethos est problématique dans la mesure où nous sommes confrontés au développement du terrorisme et de
nouvelles menaces. Le contraste est là aussi frappant entre cette mentalité sentimentale, pacifiste, et ce qui se passe aujourd'hui en
Ukraine ou en Syrie. La déconnection de l'histoire, avec ce qu'elle implique de tragique, et la dépolitisation nous désarment face aux
nouveaux défis du XXIè siècle. On ne reviendra pas en arrière, mais je crois qu'il est important de porter un regard critique sur cette lame
de fond sentimentaliste et victimaire qui concerne non seulement la France, mais une bonne partie des pays de l'Union Européenne. Pour
cela, il ne faut pas craindre d'affronter la nouvelle bien-pensance et le nouvel ordre moral médiatique. C'est la condition d'un renouveau
d'une dynamique démocratique qui ne fonctionne pas à l'émotion mais trouve ses ressources dans une citoyenneté éclairée à l'aune de la
raison, en s'appuyant sur l'héritage précieux de ceux qui ont combattu et sont morts pour la liberté. .
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(1) : extrait de l'article de Redeker : «Notre culture est paralysée par l'ombre portée du nazisme. La défaite militaire du nazisme a été paradoxale. Elle s'est transformée en
victoire non pas idéologique mais psychologique. Sa défaite militaire fut la condition de sa victoire psychologique. Preuve en est la
référence constante au nazisme, à Hitler, la fréquence de la reductio ad hitlerum dans les discours politiques, journalistiques et, hélas,
intellectuels. Hitler et le nazisme restent omniprésents dans l'époque actuelle, qui craint son retour, ou qui fait mine de le craindre, qui
s'affole de ce retour, alors qu'il s'agit de réalités historiques mortes depuis 70 ans ! Le souvenir du nazisme contamine tout ce dont le
nazisme s'est servi, l'armée, la guerre, l'uniforme, le drapeau, la nation, provoquant un amalgame répulsif entre ces réalités et l'idéologie
nazie. La haine de soi dont souffre la France fait partie de cette victoire psychologique du nazisme. Dans leur opposition à tout ce qui
relève de l'ordre du militaire, de la puissance, de la nation, de la guerre, dans leur pacifisme autant que dans leur haine de soi, nos
contemporains se révèlent psychologiquement dépendants du nazisme.»
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