La loi et la vie
Citons d'abord l'éditorial du Figaro :
***********
De son lit de douleur, celui qui est devenu un symbole et un enjeu pose la question: qu'est-ce qu'une vie? À quoi s'évalue-t-elle? À la
capacité de manger, de parler, de ressentir? À partir de quel stade ne vaut-elle plus la peine d'être vécue? Des experts médicaux,
l'Académie de médecine et le Comité national d'éthique ont déjà mis en garde le Conseil d'État contre une définition par trop restrictive
de la vie, limitée à la seule «conscience».
Cette évolution a quelque chose de glaçant
Notre époque, désorientée par l'effacement des repères éthiques, s'est détournée des autorités morales ou religieuses traditionnelles, et
préfère s'en remettre en dernier ressort à des juges: en 2014, on ne cherche plus la voix de la sagesse dans les grands textes sacrés mais
dans des Codes et des arrêts.
Cette évolution a quelque chose de glaçant.
On ne sait pas si mardi prochain le Conseil d'État suivra les conclusions de son rapporteur, préconisant l'interruption du «traitement»,
c'est-à-dire la mort. Mais ce jour-là, chacun devra avoir à l'esprit l'image d'Antigone acharnée à défendre la loi de l'humanité face à celle,
implacable, de la cité de Créon.
***********
Glaçant. C'est le mot.
Je suis terrifié. Et deux fois terrifié :
• Terrifié par l'idée qu'il y aurait des vies qui ne vaudraient pas la peine d'être vécues. Cette idée me paraît criminelle. La notion sous-jacente que l'homme est une machine et qu'il faut la jeter à la poubelle quand elle ne fonctionne plus correctement m'effraie au delà de tout ce qu'on peut écrire. C'est un blasphème, contre Dieu, contre l'humanité. Si les mots «crime contre l'humanité» ont un sens, ils s'appliquent dans ce cas là.
• Terrifié par la perspective que la décision de savoir si ma vie, ta vie, nos vies méritent d'être vécues puisse être prise par des juges suivant une loi qui est, toujours, passagère et de circonstance.
Le fond de l'affaire, c'est un orgueil démesuré, qui est réellement (je le répète) blasphématoire : la volonté de contrôler la vie d'un bout à l'autre, l'incapacité à admettre que notre destin nous échappe.
A un bout de la vie, avec les avortements et les méthodes génétiques, on essaie de contrôler la naissance au point qu'on va bientôt pouvoir choisir son enfant sur catalogue. A l'autre bout, on veut pouvoir choisir l'heure et les conditions de sa mort et on élimine ceux qui, par leur malheureux destin, montrent que cette ambition n'est qu'une illusion perverse d'un monde ivre de technicité.
Comprenez moi bien. Il s'agit d'une discussion hautement philosophique mais pas seulement : un jour, cela peut être vous, ou votre mère, qu'on décide de débrancher ou pire, dans le cas de Vincent Lambert, de faire mourir de soif et de faim (car c'est bien de cela qu'il s'agit derrière les mots ronflants de «mourir dans la dignité»).
La loi Leonetti protège contre l'acharnement thérapeutique. Est-ce que nourrir un malade inconscient, c'est de l'acharnement thérapeutique ? Soyons sérieux. Si Vincent Lambert s'appelait Michael Schumacher, je ne suis pas sûr que la décision serait identique.
Le doute doit profiter à la vie.
Et j'en ai un peu marre du martèlement univoque de la propagande soi-disant progressiste. On a assez de recul avec l'expérience belge : derrière les grands mots, la réalité est sordide. Les pics d'euthanasie avant les départs en vacances, les héritiers pressés de toucher l'héritage, l'épouse qui veut refaire sa vie, les lits à libérer parce qu'ils coutent cher etc.
En tout cas, je suis bien content de ne pas être immortel : je ne sais pas comment je mourrai, mais notre époque m'inspire un profond dégoût et je ne serai pas malheureux de la quitter (au contraire d'autres êtres et d'autres choses qui me sont chères).
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire