« Peyrefitte, je vous supplie de ne pas traiter les journalistes avec trop de considération. Quand une difficulté surgit, il faut absolument que cette faune prenne le parti de l’étranger, contre le parti de la nation dont ils se prétendent pourtant les porte-parole. Impossible d’imaginer une pareille bassesse – et en même temps une pareille inconscience de la bassesse.
Vos journalistes ont en commun avec la bourgeoisie française d’avoir perdu tout sentiment de fierté nationale. Pour pouvoir continuer à dîner en ville, la bourgeoisie accepterait n’importe quel abaissement de la nation. Déjà en 40, elle était derrière Pétain, car il lui permettait de continuer à dîner en ville malgré le désastre national. Quel émerveillement ! Pétain était un grand homme. Pas besoin d’austérité ni d’effort ! Pétain avait trouvé l’arrangement. Tout allait se combiner à merveille avec les Allemands. Les bonnes affaires allaient reprendre.
Bien sûr, cela représente 5% de la nation, mais 5% qui, jusqu’à moi, ont dominé. La Révolution française n’a pas appelé au pouvoir le peuple français, mais cette classe artificielle qu’est la bourgeoisie. Cette classe qui s’est de plus en plus abâtardie, jusqu’à devenir traîtresse à son propre pays.
Bien entendu, le populo ne partage pas du tout ce sentiment. Le populo a des réflexes sains. Le populo sent où est l’intérêt du pays. Il ne s’y trompe pas souvent. En réalité, il y a deux bourgeoisies. La bourgeoisie d’argent, celle qui lit Le Figaro, et la bourgeoisie intellectuelle, qui lit Le Monde. Les deux font la paire. Elles s’entendent pour se partager le pouvoir.
Cela m’est complètement égal que vos journalistes soient contre moi. Cela m’ennuierait même qu’ils ne le soient pas. J’en serais navré, vous m’entendez ! Le jour où Le Figaro et l’Immonde me soutiendraient, je considérerais que c’est une catastrophe nationale ! »
Alain Peyrefitte: C'était de Gaulle, Editions de Fallois/Fayard, 1994.
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