La vie de sir William Stephenson est très mystérieuse. A son décès en 1989, l'avis du Times comportait un lieu de naissance erroné, une date de naissance erronée et une carrière erronée !
Il a prétendu longtemps après la guerre avoir été l'envoyé spécial de Churchill aux Etats-Unis, sous le nom de code Intrepid. Ian Fleming a laissé entendre qu'il avait en partie inspiré le personnage de James Bond.
Pourtant, sir John Colville, secrétaire particulier de Churchill, affirme qu'il ne l'a jamais vu et plus d'un historien l'a pris pour un mythomane. On l'a même accusé de sénilité.
Cependant, en marge de son nom dans la liste d'anoblissement de 1945, Churchill a écrit «this one is dear to my heart». On a lu des compliments plus anodins de la part d'un premier ministre pour un inconnu. C'est aussi le premier non-Américain à avoir été décoré de la Medal of Merit. Etrange, pour un mythomane.
Stephenson lui-même a brouillé les pistes en faisant détruire à partir de 1936 le maximum de documents le concernant. Et comme les historiens aiment rien tant que les documents, tout ce qui n'est pas documenté n'existe presque pas pour eux. Rien de plus facile que de tromper les historiens, noyez les sous une masse de documents, mêlant le vrai et le faux, ils y croiront dur comme fer.
Bref, dans ce labyrinthe, on découvre, sans avoir une certitude à 100 %, que Stephenson avait trois fonctions :
♘ représentant personnel et secret de Churchill auprès de Roosevelt à partir de mai 1940 (donc dès la prise de fonction de Winston). A ce titre, il joua un rôle central dans l'accord destroyers contre bases puis prêt-bail.
♘ chef d'une organisation d'espionnage britannique, indépendante du MI5 et du MI6, rendant compte seulement à Churchill, sur le territoire des Amériques avec des ramifications en zones occupées, comprenant des milliers de personnes, essentiellement des Canadiens, qui avaient l'avantage d'être à la fois américains et britanniques.
♘ nourrice de l'OSS, ancêtre de la CIA. Ce dernier rôle est le plus documenté.
Excusez du peu.
Des documents officiels concernant Stephenson auraient été détruits ou falsifiés jusque dans les années 2000. Un tel acharnement dans le secret n'est pas difficile à comprendre, car le rôle de Stephenson signifie que :
♘ un président des Etats-Unis, contraint par une loi de neutralité, a entretenu des liens étroits, en dehors de tout contrôle démocratique, avec un chef d'Etat en guerre. On connaissait déjà la correspondance Roosevelt - Churchill, ce n'est peut-être pas la peine d'en rajouter.
♘ des Américains ont favorisé l'installation sur le territoire de leur pays d'un service d'espionnage étranger. Face à un tribunal, cela s'appelle une trahison (beaucoup de prison ou le peloton d'exécution). La légende dit que Churchill, évoquant devant le roi la quantité et la qualité des informations échangées de part et d'autre, aurait dit «Je risque ma tête» et le roi aurait répondu en souriant «Nous serons ensemble sur l'échafaud» (hypothèse pas si farfelue si l'on songe que les partisans d'une paix avec Hitler auraient pu prendre le pouvoir et avoir besoin de lui donner des gages).
♘ les Américains ont eu besoin d'un Canadien pour bâtir un réseau d'espionnage moderne.
S'il est difficile d'avoir des certitudes, n'aurait-il fait que le quart de ce qu'on peut raisonnablement lui attribuer, cela serait déjà extraordinaire.
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