J'avoue que, dans cette affaire, je trouve les partisans de l'euthanasie inhumains, cruels et vaniteux. Ils se prennent pour Dieu, pour juger que Vincent Lambert est définitivement foutu ?
Le texte bleui, c'est moi.
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Atlantico : Cinq juges de la CEDH ont accolé leur position dissidente suite à la décision par la CEDH relative au cas Vincent Lambert. Autour de 11 points, ils expliquent, en argumentant, leur profond désaccord. Pourquoi d'après vous ce manifeste est-il important et intéressant ?
Roland Hureaux :
L'opinion dissidente de ces cinq juges serait passée inaperçue si l'affaire en cause n'avait pas été une affaire de vie et de mort.
Je trouve personnellement inconcevable qu'une telle question se décide à la majorité et non à l'unanimité. Que, sur un tel sujet, une dissidence se manifeste est un événement considérable qui affaiblit la portée de la décision et témoigne d'une rupture de consensus sur un sujet où les nouveaux bien-pensants croyaient qu'il était définitivement acquis.
Cette dissidence a d'autant plus de poids que le texte est d'une qualité juridique exceptionnelle et qu'il se termine par une remise en cause de l'institution elle-même qui, disent les juristes déviants, ne peut plus prétendre être la "conscience de l'Europe". Rien que ça.
Je trouve en outre très fort que ces juristes proviennent tous de ce qu'on appelle l'"Europe périphérique" : petit pays de l'Est et du Sud (Moldavie, Slovaquie, Géorgie, Azerbaïdjan, Malte) comme si la liberté par rapport à un politiquement correct qui pousse à l'euthanasie s'était réfugié dans ces confins.
Les juristes en cause ont raison de dire dans leur argumentation que c'est bien une question d'euthanasie que l'on juge (même si, les ambiguïtés de loi Léonetti et l'hypocrisie aidant, il n'est question que de donner la mort par privation de nourriture). Sur ce sujet, l'Europe de l'Ouest et particulièrement le monde des juristes internationaux est arrivé à un consensus selon lequel, l'euthanasie est seule politiquement correcte.
Face à cela, la dissidence marque qu'il y a deux Europe : celle des idéologues et celle des autres.
A la lecture de ce manifeste, dans quelle mesure peut-on considérer que certaines positions n'ont pas été suffisamment entendues ?
Tout, je pense, avait été entendu.
Mais il est clair que dans cette affaire la voix des parents si elle a été entendue, a été disqualifiée d'emblée comme "intégriste", un mot de code qui, dans l'antichristianisme ambiant, signifie aujourd'hui un catholicisme un peu conséquent, rien de plus. Sur ce sujet, les parents ont, je tiens à le rappeler, ni plus ni moins les positions du pape François. Il est inouï que tout ce qui peut, de près ou de loin évoquer la religion chrétienne, pourtant fondatrice de l'Europe, soit aujourd'hui disqualifié dans les sphères européennes : on l'avait déjà vu dans l'affaire Buttiglione et cela montre bien à quel degré de déréliction est arrivée l'Europe occidentale. Je note au passage que l'un des juges dissidents, au moins, celui qui vient l'Azerbaïdjan, est musulman.
On avait déjà vu à l'œuvre le préjugé antichrétien à la CEDH dans la décision relative à la présence de crucifix dans les écoles italiennes. Le premier mouvement de la Cour avait été de les interdire. Il a fallu l'intervention d'un certain nombre d'Etats auprès de a Cour, dont la Russie, pour qu'elle revienne en arrière en appel.
Ceci dit, à tire personnel, j'ai découvert des données nouvelles que j'ignorais : par exemple cette remarque judicieuse que d'avoir résisté un mois plein à la rupture de l'alimentation marque chez Vincent Lambert une mystérieuse volonté de vivre.
Je vous disais par ailleurs que, sur un sujet aussi dramatique, la Cour européenne aurait du se prononcer à l'unanimité et, si elle ne pouvait pas y parvenir, laisser sa chance à la vie. De même, je trouve inouï que le supposé désir de mourir de Vincent Lambert sur lequel le Conseil d'Etat s'était entre autres basé pour statuer, soit fondé sur le souvenir de simples conversations anciennes entendues par certains membres de l'entourage et pas par les autres : là aussi, le moins que l'on aurait pu faire pour interpréter la volonté du patient était de se fonder sur l'unanimité, et, faute d'unanimité, d'appliquer le principe de précaution et donc de laisser à la victime ses chances. Je suis étonné que le Conseil d'Etat n'ait pas relevé cela. Je pense plutôt qu'il n'a pas voulu le relever.
Est-il courant que des juges se désolidarisent ainsi publiquement de leurs pairs ?
C'est une pratique américaine courante. Elle a été introduite en Europe en raison de l'influence du droit anglo-saxon. Nous n'y sommes pas habitués. Mais encore une fois, sur un tel sujet touchant la vie et la mort d'une personne, il est absurde qu'il y ait eu une majorité et une minorité. Qu'on n'ait pas senti cela témoigne d'une étonnante absence de sensibilité où je vois l'effet de l'idéologie.
Les 5 juges considèrent que "la valeur de la vie et la dignité inhérente même aux personne" n'ont pas été affirmés par la CEDH. Que peut-on reprocher à cette institution "Conscience de l'Europe" ?
Elle est, je vous le disais, tributaire de l'idéologie dominante en Europe occidentale aujourd'hui favorable à l'euthanasie. Quoi qu'ils prétendent, les juges se sont prononcés en fonction de ce sujet. Et cela précisément au moment où le Sénat français débat d'un projet de loi tendant à l'introduire subrepticement dans le droit français sous l'appellation hypocrite de sédation profonde.
La déclaration européenne des droits de l'homme affirme à l'article 2 le droit à la vie. L'idéologie dominante s'inscrit dans la culture de mort - comme toutes les idéologies. Il est heureux que des "hurons" venus de l'Europe de l'Est aient poussé un cri d'alarme et qu'ils l'aient fait avec autant de panache.
Je ne sais pas ce qu'il adviendra de l'évolution du droit dans cette affaire mais il est probable que le prestige de la CEDH en aura pris un coup.
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