Pourquoi la Grèce les rend fous, le mythe européiste s’effondre
J'aime bien Roland Hureaux, il est net, incisif et cohérent.
Le début de son article où il aligne les citations d'européistes toutes plus hallucinantes les unes que les autres dérange. Vient ensuite le dur.
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[…]
De nouveaux crédits, des abandons de créance et en contrepartie, de nouvelles “réformes” : est
ce là une démarche économique rationnelle ? Jusqu’à quel point ne s’agit-il pas plutôt d’une
démarche punitive, pénitentielle : on aide les pauvres soit, mais en contrepartie, il faut qu’ils
souffrent !
Et où serait la vraie catastrophe pour la Grèce ? Si elle ne sort pas de la zone euro, quelque plan
qu’on lui applique, quelque étalement de la dette qu’on lui accorde, la cause profonde du mal
demeurera : le manque de compétitivité ; il ne ferait même que s’aggraver et la crise que nous
connaissons se produira à nouveau dans deux ou trois mois.
Alors pourquoi cette fureur, pourquoi ces prophéties apocalyptiques contraires à la plus
élémentaire rationalité économique ? Comment ne pas soupçonner dans cette affaire, l’effet
non de la raison mais de l’idéologie ? Partout où l’idéologie règne, l’anathème se substitue au
débat, la rage, la vindicte accablent les opposants ou ceux qui font obstacle à l’application
du dogme. “C’est même à cela qu’on la reconnaît” aurait dit Michel Audiard !
[…]
Si la monnaie unique constituait seulement un club, destiné à l’utilité mutuelle de ses
membres, une coopération que nous appellerons naturelle, le fait qu’un membre veuille se
retirer ne serait pas un drame. Or il est clair que nous nous trouvons dans une autre logique :
un projet prométhéen destiné à dépasser la condition humaine, jusque là dominée, au moins
en Europe, par ces fléaux supposés que sont l’éclatement monétaire et les pluralités nationales.
Un projet qui préfigure peut-être une monnaie mondiale. Ce projet est si sublime qu’il ne
saurait être qu’irréversible ; le retrait d’un seul pays le remet donc entièrement en cause.
“L’exclusion d’un pays membre peut avoir des conséquences d’une gravité que personne ne
peut vraiment appréhender”, dit un éditorialiste.
[…]
Dès lors que l’euro est une construction de type idéologique, analogue au communisme
d’autrefois, il est soumis au principe, largement invoqué par les partisans du oui au traité
constitutionnel : le véhicule européen a une marche avant mais pas de marche arrière; comme
la bicyclette, la construction européenne, si elle n’avance pas, chute. On peut aussi dire qu’elle
suit le principe du château de cartes : une seule carte ôtée et l’édifice s’effondre, ce qui ne
serait pas le cas d’une construction fondée non sur une chimère mais sur les réalités, comme
par exemple une entreprise dont un actionnaire peut toujours se retirer sans remettre en cause
son existence.
Perdre le contrôle d’un seul pays fut fatal à l’URSS ; il en est de même pour l’Union
européenne et de son étage supérieur, la zone euro. C’est parce qu’ils sentent très bien tout
cela que les commentateurs, presque tous partisans de l’euro, perdent leur sang-froid : ils
savent que la sortie d’un seul membre qui ne représente pourtant que 2 % du PIB européen
remettrait en cause l’ensemble de l’édifice.
[…]
L’éclatement de l’euro entrainerait-il dans sa chute l’ensemble de la construction européenne ?
Sûrement pas s’agissant des coopérations classiques conçues en dehors de Bruxelles, comme
la coopération aéronautique ou spatiale. Mais pour ce qui dépend de la machine de Bruxelles, il
est clair que ceux-là même qui lui sont le plus attachés craignent le pire. Et il se pourrait, pour
les raisons que nous avons dites, qu’ils aient raison.
À partir de là, nous comprenons l’absence de mesure des commentateurs : si l’euro éclate et si
l’Europe de Bruxelles s’effondre, c’est toute leur crédibilité qui se trouve anéantie. D’un seul
coup la classe politique actuelle se trouvera périmée. Périmée comme un billet de cinquante
euros si l’euro n’a plus cours ! L’euro n’est pas un élément de politique économique parmi
d’autres. Il est, depuis trente ans, le paradigme indépassable, l’horizon obligé de toutes les
politiques continentales. L’ensemble de la classe politique, au moins pour ce qui est des partis
de gouvernement, a vécu entièrement dans cet horizon, sans jamais chercher à imaginer que
cette entreprise pourrait ne plus fonctionner. D’ailleurs tout homme politique qui aurait posé la
question se serait disqualifié. Comme les animaux programmés pour vivre dans un certain
milieu, nos gouvernants se trouveront complètement déphasés si ce milieu change. Ils devront
sans doute laisser la place à d’autres. Et ils le savent.
Le problème pour eux serait encore simple s’il ne s’agissait que de Tsipras. Mais tout le monde
sait que derrière les foucades du Premier ministre grec, se trouvent les lois inexorables de
l’économie, derrière le cas grec, la force des choses.
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Je pense que la sortie de la Grèce de l'Euro, qui finira par arriver, sera un non-événement dans l'ordre des choses.
En revanche, dans l'ordre politique, cela signera la fin de trente ans de glaciation. Jusqu'à maintenant, tout souverainiste est un ringard, un arriéré, un abruti qui n'a rien compris à la marche inexorable du monde, un affreux passéiste, bref un franchouillard baguette béret calendos.
Si les Grecs sortent de l'Euro et que le ciel ne leur tombe pas sur la tête, les européistes vont avoir l'air con.
La glace met du temps à fondre, donc il ne se passera sans doute pas grand'chose dans l'immédiat. Mais le monde aura changé de base. Surtout que le referendum britannique arrive.
La vraie fin de l'Euro, nous nous en doutons tous, viendra quand la France le quittera, réduisant la zone Euro au statut anecdotique de nouvelle ligue hanséatique de mangeurs de harengs.
Toutefois, le drame de l'idéologie est qu'elle mange l'intelligence.
J'ai tenté une expérience. Entouré d'un public politiquement incorrect, donc a priori ouvert à ce que j'allais dire, j'ai exposé le syllogisme suivant :
1) Les utopies politiques sont mortifères
2) L'idée des Etats-Unis d'Europe est une utopie politique.
3) L'idée des Etats-Unis d'Europe est mortifère (1).
Les prémisses furent assez vite admises comme valides, la seconde étant la plus contestée. Pourtant, il me fut impossible de faire partager la conclusion. Etonnant ? Pas vraiment. C'est justement la force de l'idéologie que de forcer à penser des choses absurdes et illogiques.
Comme l'analyse finement Rémi Brague, «l'Europe», éthérée, désincarnée, réduite à l'état de carte postale, est la dernière croyance de ceux qui ne croient plus en rien.
Périsse la logique plutôt que le dernier radeau spirituel auquel je me raccroche.
Mais la force des choses a la déplaisante habitude de se rappeler à notre bon souvenir et cette farceuse est souvent tragique.
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(1) : discussion connexe, les Etats-Unis d'Amérique sont-ils une utopie politique qui a réussi ? Je ne pense pas, à cause de leur construction volontaire et progressive. Mais ceci étant, les Indiens et les Sudistes ont peut-être un avis différent.
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