Nous ne sommes pas prisonniers de l'Etat-Leviathan. Cela serait trop simple.
Nous sommes prisonniers d'un système, dont l'Etat-Léviathan est juste une composante. La particularité de ce système est de ne pas avoir de forme, d'être mou comme un édredon, ce qui rend la révolte impossible.
Contre qui se révolter ? Les fonctionnaires ? Ce n'est pas vraiment de leur faute. Les journalistes ? Non plus. Les financiers ? Ils font un bouc-émissaire facile. Les politiques ? Ils ont beau jeu de rappeler que nous votons pour eux.
Mais, tous, à divers degrés, font partie de ce système mauvais, qui appelle chevaux les vaches, liberté l'oppression, solidarité le clientélisme, démocratie la tyrannie, etc.
Quand une salle des fêtes du fin fond de la province est ornée d'un coûteux panneau "Espace festif et culturel", il a fallu des gens pour décider de ce nom digne des précieuses ridicules, d'autres pour débloquer des crédits, d'autres pour passer commande, d'autres enfin pour faire le travail. Et à aucun moment, le sentiment du ridicule n'a arrêté la machine.
Je lis dans les Echos : "Le PS appelle le gouvernement à un geste fiscal en faveur des ménages en 2016".
Un Français qui reviendrait d'un voyage spatial de plusieurs siècles, qui n'aurait pas subi notre lavage de cerveau quotidien, se demanderait s'il a bien débarqué en France.
Il tournerait cet étrange objet "geste fiscal" dans tous les sens d'un air perplexe. De quel geste peut-il s'agir, et fiscal en plus ? Un bras d'honneur du percepteur aux couillons de contribuables qu'il a bien baisés ? Le mouvement preste du syndicaliste véreux qui s'en met plein les poches de subventions ? Le pouce baissé du politicien qui condamne l'économie française à mort ?
Il faudrait lui expliquer longuement . "Geste fiscal" consiste pour des politiciens repus à s'abstenir ostensiblement de prendre un argent qui, de toute façon, ne leur appartient pas, qu'ils n'ont aucune légitimité à prendre, qu'ils prendront quand même par des voies détournées et dont ils feront, comme d'habitude, le plus mauvais usage, dans la plus parfaite inconséquence et avec un contentement de soi pathologique. Et tout cela dans l'espoir, hélas assez raisonnable, d'acheter des électeurs.
Il y a fort à parier que notre Français de l'espace remonte dans sa capsule dare-dare et nous quitte à jamais en criant aux fous.
Mais nous, dont le cerveau est lavé tous les jours par la com', ne nous étonnons plus de trouver dans un journal prétendu sérieux, cette expression amphigourique "geste fiscal" qui relève, au mieux, du mauvais comique.
Nous sommes prisonniers, disai-je. Les barreaux de notre prison, ce sont des mots méchants, vicieux, traîtres, qui disent le contraire de leur sens originel.
"Faire un geste", c'est à la fois généreux et condescendant. La condescendance, quel mot définit mieux le sentiment des politiciens pour les Français à qui, pourtant, ils doivent tout ? Les mots qui mentent disent encore une part de vérité. Mais il faut la chercher si loin que le débat en est étouffé.
Nous n'avons plus de mots pour nos maux.
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