samedi, août 08, 2015
Enzo Ferrari (B. Yates)
Comme Enzo Ferrari s'efforçait de contrôler tout ce qui se disait sur lui, mentant parfois, enjolivant toujours, il est très difficile de trouver une bonne biographie. On verse soit dans la légende dorée soit dans la noire rumeur.
La biographie de Brock Yates, écrite en 1991, trois ans après la mort de Ferrari, est conseillée au détour d'un article par Classic Driver. Elle est excellente.
Il y a une question que je me suis souvent posée et je crois avoir enfin trouvé la réponse.
Quiconque connaît l'histoire de la Scuderia Ferrari (1) sait que son fondateur l'a plusieurs fois amenée au bord du gouffre par des décisions malencontreuses. Or, contrairement à nombre de ses concurrents artisans automobiles, il s'en est toujours sorti. Pourquoi ?
La réponse semble être la suivante. Il avait un talent particulier pour manipuler les individus à l'ego surdimensionné : pilotes de course, grands financiers, clients fortunés, ingénieurs de talent, voire politiciens. Bref, exactement les outils humains pour construire et, au besoin, sauver, une écurie de course automobile.
Dans l'expression «course automobile», le mot important est «course». Il ne semble pas que, à l'inverse de Bugatti, il ait eu un amour des belles mécaniques. Il n'hésitait pas à envoyer à la casse les modèles obsolètes (les collectionneurs sont fous en pensant à toutes les machines ferraillées qui vaudraient aujourd'hui des millions) et Ferrari n'est pas réputé pour ses innovations (à part le V12 à faible déplacement/haut régime, l'aileron arrière (2) et la boite de vitesse séquentielle - cette dernière innovation après le décès de Ferrari, je ne vois aucune innovation apportée par l'entreprise Ferrari malgré bientôt cent ans de présence dans cette industrie (3)).
L'automobile n'était qu'un faire-valoir de son esprit de compétition. S'il avait été bon en patins à roulettes, il aurait monté une écurie de patineurs. Les machines et les hommes étaient subordonnés à ce but unique, la victoire. Niki Lauda, qui en connaissait un rayon puisque c'est un des rares pilotes à avoir réussi à mettre la Scuderia à son service, a dit un jour : «Chez Ferrari, tant que tu gagnes, tu fais partie de la famille. Mais si tu ne gagnes plus, plus de famille, tu n'existes plus».
Ferrari a expliqué ainsi son «secret» : «Je trouve le ressort qui fait agir un homme et j'appuie dessus à fond». Et «à fond» voulait vraiment dire «à fond» : par exemple, il envoyait sur le circuit avec un retard très calculé les voitures des pilotes dont il sentait faiblir la motivation, histoire de leur faire comprendre qu'ils n'étaient plus sa priorité et de les mettre en rage. Monter ses pilotes les uns contre les autres ne lui faisait pas peur.
Avec ses méthodes, le nombre de pilotes Ferrari morts au volant est élevé. On a beaucoup glosé des rapports de Ferrari avec la mort, mais il ne faut pas oublier qu'il s'agissait de la mort des autres.
Enzo Ferrari était un Italien de caricature. Charmeur, débrouillard, tenace, retors, menteur, politicien et pas souvent au bon sens du terme, et aussi, parfois, minable magouilleur. L'histoire de la 250 GTO est bien connue : pour la faire homologuer par la FIA, il a promis qu'il produirait la série minimale prévue par le règlement sans jamais avoir eu l'intention de tenir sa promesse. Quand il a essayé de refaire le même coup trois ans plus tard avec la 250 LM, la FIA l'a envoyé sur les roses et il s'est retrouvé le bec dans l'eau.
Au bilan, Ferrari, malgré toute sa chaleur méridionale, apparaît comme un personnage peu sympathique. Mais les gens sympathiques sont-ils des bâtisseurs d'empire ? La politique française est pleine de gens «sympââââs». La France n'a jamais été si mal dirigée.
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(1) : la Scuderia, l'écurie, est le coeur de Ferrari. Elle a été fondée pour faire courir des Alfa Romeo bien avant que Ferrari produise ses propres voitures. Pour Enzo Ferrari, la construction de voitures de série n'était qu'un moyen de soulager de riches pigeons (il ne paraît pas qu'il ait eu beaucoup d'estime pour ses clients) de leur argent afin de financer la course.
(2) : un déflecteur fut installé pour empêcher les fumées du moteur d'intoxiquer le pilote et un pilote particulièrement doué dans la mise au point remarqua que la tenue de route s'améliorait légèrement. La seule innovation en course de Ferrari est due au hasard !
(3) : un historien anglais a écrit : «S'il y a une certitude dans l'histoire de l'automobile, c'est que jamais, jamais, jamais, Ferrari n'a apporté la moindre innovation.» Mais bon, il était anglais.
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