Les retraites ou la spoliation des classes moyennes
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Dans la grande oeuvre entreprise en 1945, dont l’un des résultats majeurs fut d’uniformiser et de déresponsabiliser la société française, l’invention de la branche vieillesse constitue probablement l’exemple le plus remarquable de la spoliation et de la prolétarisation asymptotique dont les classes moyennes ont été victimes au nom de la solidarité, de la protection contre le risque et autres mots gorgés de bonnes inventions et pavés de mauvaises réalisations. D’emblée (ou presque) déficitaire, rappelons-le, le régime général inventé en 1941 par le gouvernement de Vichy et élevé au pinacle par le Conseil National de la Résistance, défendu depuis avec acharnement par tout ce que la gauche de la gauche comporte d’idéologues de la Révolution en chambre ou en cabinet, s’est transformé en immense piège pour tous les salariés ou indépendants qui ont cherché à gravir les échelons de la société.
Cette affirmation est d’ailleurs un lieu commun bien connu dès 1945, contre lequel la bureaucratie étatiste de la sécurité sociale et ses différents suppôts ne cessent de lutter à force d’embrouillaminis, d’usines à gaz et de confusions sur le fonctionnement du système lui-même. Pour mémoire en effet, dès 1946, les syndicats de cadres en France avaient refusé l’absorption de leurs intérêts dans le magma du régime général.
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Il n’en reste pas moins que, lorsque le pharmacien, l’avocat, le dirigeant d’entreprise, le directeur commercial, liquide son portefeuille d’actions vers 45 ans pour acheter une maison ou un appartement, il paie une contribution sociale généralisée de 8,2% (ce qui n’est pas rien). Le problème tient à la contrepartie de ce versement: elle est, en termes de droits, totalement nulle. S’acquitter d’une contribution en faveur du régime vieillesse n’ouvre aucun droit spécifique à la retraite.
Dans un système de sécurité sociale entièrement fiscalisé, cette absence de contrepartie ne pose pas problème. La difficulté apparaît lorsque le système est mixte, c’est-à-dire lorsqu’il est aussi financé par des cotisations qui ouvrent des droits dits contributifs. Dans ce cas, en effet, le système introduit un fort élément d’iniquité qui, dans le cas français, illustre bien les ambiguïtés fondatrices de la sécurité sociale.
Ainsi, lorsque l’assuré verse un euro de contribution au régime vieillesse, il ouvre droit à une contrepartie: le versement d’une retraite. En revanche, lorsqu’il le verse au titre de la contribution sociale généralisée ou de l’impôt (par exemple la taxe sur le tabac), il n’ouvre droit à aucune contrepartie. Cette asymétrie est particulièrement choquante lorsqu’elle concerne un impôt universel inventé pour financer la sécurité sociale (la CSG): pour quelle raison dans un cas l’assuré ouvre-t-il des droits, et dans un autre n’y ouvre-t-il pas droit?
Si l’on admet l’hypothèse que la CSG pèse majoritairement sur les classes moyennes, cela signifie clairement que celles-ci ont vocation à payer sans contrepartie, simplement parce qu’elles ont « un peu d’argent », alors que ceux qui en ont moins peuvent bénéficier du système avec des droits pleins. Une fois de plus, on retrouve l’aversion française pour la réussite sociale, pour ceux qui, à la force du poignet, s’élèvent dans l’échelle sociale. Mais on voit mal comment, dans ce cas d’espèce, le consentement au système pourrait durer.
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Les classes moyennes prisonnières de la sécurité sociale
Malgré les écrans de fumée multipliés depuis 20 ans devant le grand public pour dissimuler la complète perte de sens de la sécurité sociale, une prise de conscience se produit peu à peu parmi ceux qui invoquent notamment la liberté de sortir de la sécurité sociale. Si ce mouvement contrevient aux principes de fond posés par le droit européen en matière de protection sociale (qui sont forcément de systèmes obligatoires), il révèle l’ampleur du refus aujourd’hui, dans les classes moyennes, et notamment chez les entrepreneurs, face à un système coûteux, aux performances faibles, et surtout aux injustices criantes.
Dans le cas de la retraite des classes moyennes, le système est évidemment d’autant plus troublant que la technostructure étatique a transformé la sécurité sociale en une sorte de bagne dont il est impossible de s’échapper, à moins d’un exil très précoce à l’étranger. Cette captivité est d’autant moins satisfaisante que nos voisins européens ont pour la plupart opté pour des systèmes beaucoup plus équilibrés, ou ont choisi de réformer en profondeur leur système lorsqu’il s’approchait du modèle français.
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Ce sont bien aujourd’hui deux France qui s’affrontent: celle qui veut préserver un amortisseur obsolète en imposant une étouffante égalité, et celle qui veut progresser en reconnaissant le principe de responsabilité.
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