Depuis à peu près dix ans, je suis persuadé que l’avenir politique est aux petits Etats. La question a déjà été abordée sur ce blog.
Le raisonnement est le suivant : les grosses bureaucraties étaient nécessaires quand l’information était rare et chère, pour centraliser les précieuses données et faire des économies d’échelle dans le traitement de celles-ci. Maintenant que l’information est abondante et quasi-gratuite, le mouvement s’inverse, l’avenir est aux entités capables d’exploiter l’information disponible, donc agiles et réactives, c’est-à-dire petites. D’où les succès de la Suisse, de la Suède, de l’Islande, de Singapour … Et les relatifs échecs des pays plus gros (les pays fédéraux méritent à eux seuls un débat).
Le Brexit, l’indépendance de l’Ecosse, de la Catalogne, de la Corse, me semble dans un certain sens de l’histoire même si j’ai des objections dans chaque cas. Quant à l’UE, c’est évidemment à mes yeux une idée du XIXème siècle portée par des hommes nés au XIX ème siècle, prolongée au XXème siècle par des individus dont la principale caractéristique est de se tromper sur tout avec un aplomb stupéfiant, aucun intérêt.
La seule limite à ce raisonnement est militaire : en général, ce sont les plus grosses armées, donc les plus gros Etats, qui gagnent les guerres. On remarquera que la Suisse et Singapour sont très armés.
Cet article aborde beaucoup de sujets, dont celui-ci :
Olivier Rey : « Le discours sur les droits de l'homme est devenu fou »
C'est moi qui souligne :
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Il est indéniable que ce qu'on appelle aujourd'hui l'élite compte presque exclusivement
des ravis de la planétarisation. Cela étant, ces soi-disant dirigeants dirigent très peu : leur
rôle est d'accompagner le mouvement, de le favoriser, d'y adapter la société. C'est le sens,
par exemple, du «En Marche !» d'Emmanuel Macron. En marche vers quoi ? Peu importe,
l'important est d'«aller de l'avant», même si cela suppose d'accentuer encore les ravages.
Les lois sociétales participent de ce « marchisme ». Par exemple, la famille à l'ancienne est
un des derniers lieux de résistance au mouvement de contractualisation généralisée.
Tout ce qui peut la démantibuler est donc bon à prendre, « va dans le bon sens ».
[…]
Politique vient de polis qui, en grec, désignait la cité. Pour les Grecs, les Perses étaient
des barbares non parce qu'ils auraient été ethniquement inférieurs, mais parce qu'ils
vivaient dans un empire. La politique ne s'épanouit qu'à des échelles limitées, au-delà
desquelles elle dépérit. C'est pourquoi le grand argument qui a été seriné aux Européens,
que leurs nations étaient trop petites pour exister encore politiquement et devaient
transférer leur souveraineté à une entité continentale, où la politique retrouverait ses
droits, a été une pure escroquerie. La politique n'a pas été transférée des nations à
l'Union européenne, elle s'est simplement évaporée - à vrai dire tel était, sous les
«éléments de langage» destinés à le masquer, le but recherché.
La nation mérite d'être défendue parce que c'est la seule échelle où une vie politique
existe encore un peu. En même temps, des nations comme la France, l'Allemagne ou le
Royaume-Uni sont déjà trop grandes pour que la politique y joue pleinement son rôle.
Dans les années 1850, Auguste Comte déplorait l'unification italienne comme un
mouvement rétrograde, et pensait qu'à l'inverse, c'était la France qui aurait dû se diviser
en dix-sept petites républiques (soixante-dix en Europe). Selon lui, c'était seulement
après s'être ancrées dans une vie à cette dimension que les petites patries auraient été à
même de se réunir de façon féconde, afin de traiter ensemble les questions qui
outrepassent leur échelle.
Aujourd'hui la Suisse, avec ses huit millions d'habitants et sa vie cantonale, est l'État
européen où la démocratie est la plus vivace. Et historiquement, les cités de la Grèce
classique, entre le VIe et le IVe siècle avant notre ère, ainsi que les cités-États italiennes
de la Renaissance (Florence comptait moins de 100 000 habitants du temps de sa
splendeur) constituent des réussites inégalées, qui montrent qu'en étant ouvertes sur le
monde, des patries de petite taille sont capables de resplendir dans tous les domaines.
Le problème est que même si beaucoup de petits États sont préférable à quelques gros,
un gros État dispose d'un avantage: il est en mesure d'écraser un voisin plus petit. De là
la tendance à la croissance en taille, quand bien même tout le monde, au bout du
compte, devrait y perdre.
L'Autrichien Leopold Kohr (lauréat du prix Nobel alternatif en 1983) demeure
malheureusement très méconnu. En 1957, dans son livre The Breakdown of Nations, il
écrivait: « Il n'y a pas de détresse sur terre qui puisse être soulagée, sauf à petite échelle. […]
C'est pourquoi par l'union ou par l'unification, qui augmente la taille, la masse et la
puissance, rien ne peut être résolu. Au contraire, la possibilité de trouver des solutions
diminue au fur et à mesure que le processus d'union avance. Pourtant, tous nos efforts
collectivisés et collectivisants semblent précisément dirigés vers ce but fantastique -
l'unification. Qui, bien sûr, est aussi une solution. La solution de l'effondrement spontané».
Les choses étant ce qu'elles sont, je crains qu'il ne faille en passer par de tels
effondrements. Quand je dis cela, je me fais traiter de Cassandre. Je rappellerai toutefois
que dans la mythologie grecque, les mises en garde de Cassandre étaient toujours
fondées, le problème étant que personne ne la croyait. Ainsi, malgré ses avertissements,
les Troyens firent-ils entrer le cheval de bois dans leur ville. On ne peut pas dire que cela
leur ait réussi. Par ailleurs, si les effondrements qui se préparent ont de quoi faire peur,
car ils engendreront de nombreuses souffrances, la perspective n'est pas seulement
négative : ils peuvent aussi être l'occasion pour les peuples d'échapper aux fatalités
présentes, et de revenir à la vie.
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