Marin de Viry : « Après trente ans d'antifascisme, Le Pen aux portes du pouvoir. Bravo les gars ! »
Votre livre pose un regard cruel sur le quinquennat Hollande. Vous l'avez vécu comme une épreuve ?
Marin de VIRY. - Comme une épreuve pour l'amour que je porte à mon pays, certainement. Cette épreuve a commencé depuis longtemps, et au fond elle est arrivée à son terme avec ce quinquennat: le pouvoir n'est plus capable de faire souffrir le pays, il a donné tout ce qu'il pouvait sur ce plan-là. Quand j'étais à Sciences Po au milieu des années 1980, on m'expliquait doctement que le meilleur régime possible, c'était la Cinquième République (avec des majuscules), pour les raisons historico-politiques que l'on sait, à laquelle il fallait nécessairement rajouter une couche de technocrates ayant intériorisé l'intérêt général, l'édifice étant complété par les partis politiques, qui avaient vocation à s'occuper de l'alternance. Laquelle consistait à mettre en œuvre une politique rocardo-barriste ou barro-rocardienne, suivant que le pays voulait plutôt un peu de mouvement ou un peu d'ordre. Cet immobilisme à trois têtes - institutions, partis, technocratie -, légèrement animé par l'alternance, ces moments d'effusion populaire, d'oscillations autorisées sous contrôle du système, nous a conduit dans le mur, dont je vous fais grâce de la description.
Alors que ce bel édifice rationnel aurait dû nous conduire vers l'idéal d'une économie sociale de marché où tout aurait été à sa place dans une perspective de progrès continu, c'est la confusion des esprits sur fond de déroute morale, intellectuelle, économique et sociale, qui a régné pendant bientôt quarante ans. Sous François Hollande, il faut ajouter à cette confusion un facteur « de gauche » qui - je crains de le dire en raison de l'amour sincère que je porte à l'idée socialiste que je ne partage pas -, aggrave le tableau.
C'est donc non seulement une épreuve patriotique, mais aussi une épreuve intellectuelle et politique. Intellectuelle, parce que le faux prétexte idiot du combat contre le fascisme - c'est-à-dire contre le Front National - a commencé en 1981 et que ça suffit, trente-cinq ans plus tard, de voir encore à l'œuvre cette procédure de mise en accusation automatique, que les « jeunes » appellent le «point Godwin» (si tu dis le premier le mot « facho » à ton adversaire, tu as gagné) qui a permis à la gauche de remplacer le principe de réalité par l'invective, et a substitué à la responsabilité une sorte de droit à faire n'importe quoi pourvu que l'intention soit sentimentalement correcte. Si je pleurniche au nom des plus hautes valeurs de l'homme, je suis exempté d'action et encore plus de résultat. A contrecourant des intérêts profonds de la société, une certaine gauche - pas la bonne, qui existe et que je vénère [moi pas, mais je me demande si Viry n'est pas un brin ironique] - a lutté de toutes ses forces contre l'intelligence, et donc l'altruisme véritable, avec probablement une forme de bonne conscience qui aggrave son cas. Résultat : Marine Le Pen est à nos portes. Bravo les gars !
Vous considérez que plusieurs centaines milliers de Français ont le niveau pour remplacer nos actuels ministres. C'est le gouvernement pour tous ?
Prenez un des trente ou quarante ministres du gouvernement actuel, homme ou femme. Faites abstraction de son brushing, de sa tenue lookée, de son chauffeur, de son inoxydable confiance en lui-même, de sa science du tweet qui clashe, du fait qu'il a été nommé parce qu'il apporte au gouvernement le soutien théorique d'un sous-courant d'une coquille partisane désertée par l'esprit et par les militants depuis longtemps, et concentrez-vous sur sa contribution à l'intérêt général. Deux point s: d'abord, elle est souvent objectivement très faible (quand elle n'est pas négative), et elle ne justifie pas cette débauche de moyens que l'on met à la disposition d'un ministre ; ensuite, vous vous demandez souvent pourquoi lui, ou pourquoi elle ? Vous connaissez forcément deux ou trois personnes qui feraient mieux le travail, pour plusieurs raisons : ils ou elles ne connaissent pas seulement le monde à travers la vie d'un parti, laquelle est une vie tronquée, ratatinée, obscure, minuscule, avec quelque chose d'ingrat et d'hostile qui, à la longue, dissout les qualités et l'énergie de celui ou celle qui y fait carrière. Vos amis la connaissent mieux, la vie. Ils connaissent le risque, le vrai travail, l'art de prendre les décisions. Ils parlent et écrivent en français, pas dans cette espèce de volapuk qui déclasse tout le monde: celui qui parle et celles et ceux à qui il s'adresse. Bref, la société civile, si riche, est complètement laissée de côté.
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