C'est le livre le plus ambitieux que j'ai lu depuis longtemps puisqu'il vise, tout simplement, à poser dans le débat public, et notamment vis-à-vis des décideurs, la question de la stratégie américaine face à la Chine au XXIème siècle.
Écrit (même s'il cite une trentaine de collaborateurs !) par un ponte d'Harvard, plusieurs fois conseiller présidentiel, c'est un livre à la mode dans le monde politico-médiatique américain.
Il est significatif qu'un livre au statut équivalent en France, celui de Christophe Guilluy sur la France périphérique, ne traite pas de stratégie mais de social. La France n'a plus de stratégie puisqu'elle a renoncé, de fait, à son indépendance.
Il fera date et Allison l'a écrit pour cela.
Mon résumé sera très bref, je vous conseille plutôt de le lire.
Vous serez déçus : il y est question de l'Europe mais uniquement celle du passé. Pour aujourd'hui, nous n'existons plus.
Le piège de Thucidyde est le suivant. La peur que provoque la puissance montante (Athènes, Chine) chez la puissance établie (Sparte, USA) rend la guerre entre eux quasi-inévitable, malgré la bonne volonté des acteurs.
Tout l'objet du livre est de saisir par les cheveux le "quasi".
Allison commence par insister sur le fait qu'une guerre entre les Etats-Unis et la Chine est beaucoup plus probable que le pense le grand public. Cette guerre est dans la force des choses, c'est la pente naturelle.
Ces deux puissances sont sur une route de collision et éviter cette guerre qui vient nécessite des changements radicaux des deux côtés.
Dans les 13 cas similaires recensés, 10 ont abouti à une guerre, dont la première guerre mondiale. Il n'y a donc aucune raison de se laisser aller à un excès d'optimisme.
Péricles, signataire de la Paix de Trente Ans, était parfaitement conscient des dangers d'une guerre entre Athènes et Sparte. Le roi de Sparte a prédit, avec justesse, que cette guerre serait la fin des deux cités. Et pourtant, ils n'ont pu l'empêcher.
Allison évoque, pas assez à mon goût, les facteurs internes à chaque pays.
Il remarque (ça s'applique fort bien à la France) que, lorsqu'un pays fait une politique manifestement contraire à ses intérêts vus par un observateur extérieur (cas du Japon en 1941), c'est le résultat de graves dysfonctionnements internes (dont les autres acteurs n'ont pas forcément conscience, ce qui est très dangereux puisqu'un acteur peut alors pousser sans le vouloir l'acteur dysfonctionnant à des décisions folles) ayant pour conséquence une vision tronquée, des compromis bancales et des décisions absurdes.
Allison fait de longs développements sur la spécificité de notre époque qui empêche de complètes analogies historiques : l'arme atomique.
Il craint notamment qu'une réduction des arsenaux nucléaires, partant d'un bon sentiment et d'une intelligence défaillante (le sentimentalisme sirupeux et vicieux caractérise notre époque), diminue la dissuasion et rende la guerre plus probable. Mao a un jour dit que la Chine millénaire peut se permettre une guerre à 300 millions de morts.
Plus que tout, Allison craint les dysfonctionnements d'une démocratie américaine décadente (ce sont ses mots) et d'une direction chinoise sclérosée. L'interaction de ces deux décadences peut mener à la catastrophe.
Il étudie plusieurs scénarios menant à la guerre et plusieurs stratégies pour préserver la paix.
Des imbéciles soutiennent que la Guerre Froide fut un montage de la propagande américaine, que la guerre avec l'URSS n'a jamais été un risque crédible. Ce genre de sophisme est aisé quand on connaît la fin de l'histoire. C'est se donner à bon compte une image de non-conformisme intellectuel.
Les vrais sages savent que la guerre est toujours plus près qu'on croit et qu'il est louable de l'éviter, mais pas à n'importe quel prix. On ne doit pas mener une politique si mauvaise qu'on finit par ne plus avoir le choix qu'entre la guerre et la servitude.
Bien sûr, ce livre est aussi une manière de former l'opinion, mais c'est au lecteur d'être intelligent.
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