L'article de Jacques Sapir ci-dessous introduit fort bien le livre de Jean-Luc Marion. Etonnant ! Le moins que l'on puisse dire Sapir n'est pas un écrivain catholique.
Charlie, la caricature et « l’islamophobie »
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La laïcité n’est pas un supplément d’âme à la République. Elle en est en réalité le ciment. Il n’est pas anodin que l’un des grands penseurs de la souveraineté, Jean Bodin, qui vécut au XVIème siècle dans l’horreur des guerres de religion, ait écrit à la fois un traité sur la souveraineté et un traité sur la laïcité.
Il convient de bien comprendre ce lien étroit qui unit la notion de souveraineté à celle de laïcité. La souveraineté implique la définition d’un souverain. Une fois établie que la « chose publique » ou la Res Publica est le fondement réel de ce souverain, comme nous y invite Jean Bodin, il nous faut définir le « peuple » qui exercera, soit directement soit par l’entremise de formes de délégation, cette souveraineté. C’est bien pourquoi la question de la souveraineté est aussi centrale, car elle implique la définition de la communauté politique qui l’exerce.
Nous savons ce qu’est une crise économique, et nous mesurons tous les jours ce que peut être une crise sociale. Ces crises engendrent un profond sentiment d’insécurité[9]. Mais il y a dans la situation actuelle quelque chose de plus, tant quantitativement que qualitativement. Nous découvrons désormais ce que peut être une crise de la Nation, ce moment particulier où l’on sent le sol qui se dérobe sous nos pieds, où ce que l’on pensait être garanti est brutalement remis en cause. De ce sentiment découle celui de l’insécurité culturelle qui, se combinant à l’insécurité sociale, produit ce qu’un auteur appelle le « malaise identitaire ». Derrière le symptôme, il y a bien une réalité, et c’est cette réalité qu’il nous faut tenter de comprendre.
La crise de la Nation, est aussi une crise de l’Etat. Elle laisse les citoyens démunis et sans pouvoir pour peser sur la situation. Il en est ainsi car ils sont privés du pouvoir de faire et de modifier les lois et par là même ils sont privés du pouvoir d’organiser collectivement leur propre futur. « Il n’y a d’irrémédiable que la perte de l’Etat » a dit un roi de France[12] en des temps anciens, mais qui semblent aujourd’hui étrangement, et tragiquement, proches.
Quand Henri IV fit cette déclaration devant les juges de Rouen, car un Parlement à l’époque était une assemblée de juges, il voulait faire comprendre qu’un intérêt supérieur s’imposait aux intérêts particuliers et que la poursuite par les individus de leurs buts légitimes ne devait pas se faire au détriment du but commun de la vie en société. En redonnant le sens de la Nation, il mit fin à la guerre civile.
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On mesure l'intelligence de Sapir au fait que, pour lui, la France n'a pas commencé en 1789, ce qui, dans son milieu, est une sorte d'exploit.
Que dit Sapir ?
Que la séparation du public et du privé est essentielle à l'existence d'une nation (par opposition à une tribu). Sans cette séparation, il n'y a pas de nation.
C'est cette séparation que l'islam remet en cause (Sapir, en bon gauchiste cette fois, ne le dit pas).
Que dit Marion ?
Que la séparation, du public du privé, du temporel et du spirituel, n'appartient qu'au catholicisme. Il en est l'inventeur et le promoteur, la source.
Nous sommes en décadence et non en crise. La crise est le moment du changement, où disparaît ce qui était et où ce qui sera n'est pas encore apparu. Nous souffrons justement de ne pas être en crise : rien ne change, les problèmes perdurent depuis cinquante ans en s'aggravant toujours sans aucun espoir de changement.
Or, il y a une institution en crise perpétuelle, parce qu'elle passe son temps à changer : l'Eglise. Elle va, éternelle, de crise en crise. Pour Marion, il y aura un moment catholique en France tout simplement parce que l'Eglise finira par être la seule institution encore debout, la seule à rester vivante, avec toutes les vicissitudes de la vie.
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Il se pourrait que, contre toute attente et toutes les prédictions des sages, des experts et des élites supposées, nous allions au-devant d'un extraordinaire moment catholique de la société française. Ou plutôt, il se pourrait qu'un tel moment, décidément hors de portée du pouvoir et de la rationalité positiviste de la politique contemporaine, constitue la seule option raisonnable qui nous reste.
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Les propos de Sapir et de Marion s'emboitent très bien. Et sont un motif d'espoir.
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