Ce livre publié en 1938 est essentiel, d'autant plus qu'il est à bien des égards prémonitoires.
Belloc (je me suis toujours demandé si le méchant d'Indiana Jones avait un rapport avec ce Belloc là) affirme que les hérésies existent encore mais que nous ne les voyons plus comme telles parce que nous avons perdu notre rigueur intellectuelle (1). Par exemple, le communisme est une hérésie. Harouel analyse le rapport gauche droite en termes d'hérésie gnostique.
Belloc insiste sur le fait qu'il faut être intelligent, qu'il faut s'attacher aux idées, pas aux mots. Il faut se méfier, les idées peuvent changer de mots. Il serait atterré, mais pas surpris, par notre monde terrifié par les mots (les commentaires sous l'article de Zemmour à propos de la gnose sont navrants de d'incompréhension).
Ne pas s'intéresser aux hérésies, les considérer comme des vieilles choses poussiéreuses du passé, sous prétexte qu'on serait incroyant et rationaliste (2) et qu'on se croit plus intelligent que nos ancêtres, est aux yeux de Belloc un signe certain de stupidité : qu'on le veille ou non, les croyances mènent le monde : le monde catholique est différent du monde protestant qui est différent du monde musulman. Et si l'arianisme avait vaincu, le monde serait très différent de ce qu'il est. Refuser de s'intéresser aux croyances et aux hérésies, c'est refuser de s'intéresser au monde.
L'hérésie (du grec « je prends ») consiste à prendre une partie d'une doctrine cohérente et à en rejeter ou à en subvertir une autre partie. Les hérésies arrivent à se prolonger à cause de ce qu'elles gardent de vrai de la doctrine originelle.
Belloc examine cinq hérésies chrétiennes :
♗ l'arianisme
♗ le mohetanisme, autrement dit l'islam (je pense qu'il est impossible de comprendre la naissance de l'islam sans considérer que c'est une hérésie chrétienne née en dehors de la chrétienté, aux marges de celle-ci).
♗ le catharisme
♗ le protestantisme
♗ le modernisme
Sur ses cinq hérésies, trois ont échoué, deux sont encore actives, et parfois alliées contre le christianisme, l'islam et le modernisme (par essence, l'anti-Christ, d'après Belloc - rôle que j'attribuerais plutôt à l'islam, mais ce n'est pas incompatible : elles ont beaucoup en commun dans leur manière de considérer l'homme comme soumis à ses pulsions).
Pour Belloc, chacune de ces hérésies est une forme d'attaque du christianisme et toute hérésie peut être rattachée à une de ces cinq formes d'attaque. Reprenons les :
♗ l'arianisme (négation de la divinité du Christ) : attaque de la doctrine chrétienne.
♗ islam : attaque de l'extérieur.
♗ le catharisme : attaque de la morale chrétienne.
♗ le protestantisme : attaque de l'Eglise et de l'autorité.
♗ le modernisme : négation du christianisme. Ne combat pas tant le christianisme que réfute sa nécessité, puisque, pour le moderne, n'existe que le matériel.
Je ne vais pas vous détailler tout le livre, il y a mille réflexions passionnantes. Je passe directement aux conclusions.
En 1938, alors qu’Hitler et Staline sont presque au fait de leur puissance et que 90 % des musulmans vivent dans des colonies européennes, Hilaire Belloc écrit que l’Europe est menacée à long terme par une résurgence de l’islam. Pourquoi une telle prescience ?
Une victoire d’Hitler et de Staline serait grave pour l’Europe mais pas mortelle : la culture chinoise a survécu à Mao (en faisant le parallèle avec Hitler) et les pays de l’est montrent que leur culture a survécu au stalinisme. En revanche, l’islam est tellement opposé à notre culture qu’une victoire de l’islam signifierait la disparition de notre culture. Hitler et Staline, graves mais pas mortels, islam mortel.
Comment Belloc fait-il en 1938 pour prévoir une résurgence de l’islam ?
1) L’islam est très résistant. Alors que les religions disparaissent par conversion massive à une autre religion, on ne connaît pas de conversions massives de musulmans à une autre religion. Donc l’islam ne disparaîtra pas.
2) La démographie. Les musulmans sont sous le joug colonial quand Belloc écrit mais ils sont nombreux. Ils cesseront peut-être un jour d’être colonisés, mais ils ne cesseront pas d’être nombreux.
3) L’islam est en guerre contre le monde entier (« islam religion de paix » ? Et mon cul c’est du poulet ?) et spécialement contre l’Europe, par définition chrétienne. Les musulmans reprendront la guerre contre nous dès qu’ils le pourront. Ne pas oublier qu’ils étaient sous les murs de Vienne dans la vieillesse de Louis XIV et moins d’un siècle avant l’indépendance américaine.
Pour 1938, c’est pas mal vu ! Et son ami Chesterton ajoutait que certaines élites européennes accueilleraient avec enthousiasme l’islam parce qu’une population islamisée est plus facile à soumettre qu’une population chrétienne.
Je ne vais pas tout vous décrire. Je résume ce que Belloc appelle l'Attaque Moderne : nier la foi emporte la raison, puis le libre arbitre puis la dignité humaine et finit par rétablir l'esclavage sous des formes variées, en faisant de l'homme un être manipulable et corvéable à l'infini.
L'Eglise ne disparaitra pas, mais elle a le choix entre devenir une secte ou contre-attaquer.
Belloc a moins que Chesterton le génie du paradoxe mais il a comme lui le goût des fausses évidences lumineuses, qui font s'exclamer : « Pourquoi n'y ai-je pas pensé tout seul ? »
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(1) : il pense aussi (mais ce n'est pas le sujet du livre) que les sociétés sans religion sont condamnées à mort, ce que notre société, en suicide démographique et culturel, prouve (comme le dit Rémi Brague, la question du sens de la vie n'est pas « La vie vaut-elle d'être vécue ? » mais « La vie vaut-elle d'être donnée ? »). D'autre part, Belloc insiste sur le fait qu'il y a peu d'hommes réellement a-religieux, que les hommes se créent des religions de substitution. Comme disait son copain Chesterton, celui qui ne croit plus à rien est prêt à croire à n'importe quoi.
La citation de Belloc la plus connue est « La Foi, c'est l'Europe et l'Europe c'est la Foi » (à propos du catholicisme). C'est devenu une évidence pour nous (l'Europe à 1,4 enfant par femme n'existera plus dans un siècle et cela a évidemment un lien avec la déchristianisation -d'ailleurs les seules femmes européennes qui font encore beaucoup d'enfants sont les cathos). C'était beaucoup moins une évidence quand Belloc l'a écrite.
(2) : il est clair aussi que, pour Belloc, se déclarer incroyant et rationaliste est en soi un signe de bêtise. En étant uniquement matérialiste, on rate la belle part de l'homme. Ce n'est pas un hasard si tous les arts s'écroulent en notre époque maudite, spécialement la poésie.
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