Pour prolonger la réflexion de ce billet, voici des extraits du Drone n° 10 (texte intégral):
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A quoi ressemblerait un monde
sans Poutine?
Commençons par la
Russie. Le départ de l’homme du
KGB signifierait sans faute l’arrivée
d’un homme de la CIA, tenu par une
laisse plus ou moins visible, plus ou
moins longue. La Russie retomberait
dans le chaos et le pillage des
années Perestroïka, où des directeurs
de théâtre s’improvisaient
exportateurs de cuivre ou de nickel
en gros. Selon le cinéaste Stanislav
Govoroukhine, qui avait réalisé une
enquête sidérante (et confisquée)
sur la Grande Révolution criminelle
des années 1990, le bradage frénétique
des ressources russes en ces
temps-là avait contribué au redressement
des économies occidentales
après le krach de 1988.
Les médias et le système éducatif
seraient immédiatement reprogrammés.
Le patriotisme et la relative
liberté d’expression feraient
place à une dérussisation sans
failles.
Nul Navalny, nul Kasparov —
mais de l’autre bord — ne serait plus
autorisé à défier le nouveau pouvoir
démocratique dans la rue. (Lorsque
la Douma nationaliste s’opposa à
Eltsine en 1993, Eltsine la fit démolir
au canon, tuant mille insurgés, députés
et autres civils de passage dans
le silence approbateur des médias
d’Occident.)
Le défilé du Régiment
Le défilé du Régiment immortel
du 9 mai, avec ses petites pancartes
ringardes à l’effigie des ancêtres
morts pour la patrie, serait remplacé
par une tonitruante gay pride où
des femen équipées de godemichés
géants sodomiseraient en cadence
le patriarche Cyrille — ou du moins
son effigie. Les crimes du nazisme
eux-mêmes — du moins sur le front
de l’Est — seraient minimisés en
regard des horreurs du poutinat.
Une reprogrammation qui s’arrête
aux confins du vraisemblable et du
raisonnable n’est pas une reprogrammation. La «sixième colonne»
russe — cette élite loyale au pouvoir
quel qu’il soit — se chargerait de
présenter aux reprogrammeurs des
gages de parfaite réceptivité au sein
de la masse populaire.
[…]
Sur le Vieux Continent, les
quelques États d’Europe centrale
tacitement adossés à la Russie pour
défendre leur souveraineté et refuser
le saupoudrage migratoire seraient
mis au pas et gratifiés de quotas punitifs
de réfugiés pour mieux savourer
la «chance» dont ils s’étaient privés
jusqu’alors. Pris en tenailles entre
le flux humain et les grognements
croissants de leur population, les
satrapes de l’UE s’empresseraient,
en échange d’un relâchement de la
pression, de signer avec les USA les
contrats de libre-échange léonins qui
officialiseraient la transformation
de l’Europe en marché de dumping
américain. Dès lors, tout en achetant
massivement appartements et placements
outre-Atlantique, ils renforceraient
les programmes d’éducation-
à-l’acceptation-de-l’Autre
à l’égard des indigènes. Les Botho
Strauss et autres Renaud Camus
auraient enfin de bonnes raisons de ne plus reconnaître leur propre pays
en sortant de chez eux.
Ils auraient d’encore meilleures
raisons de ne plus s’en plaindre,
puisqu’à la suite des lois sur les « fake
news » françaises et allemandes et
de la transformation de la paranoïa
Russiagate en programme de
censure officiel, l’Euroland adopterait
des dispositifs assimilant toute
résistance à la tiers-mondisation du
continent à du nationalisme d’inspiration
poutinienne.
[…]
Implacable, non ? Or je ne veux
pas croire à ce scénario. Il ne me
convainc pas et je n’ai pas envie d’y
penser. Ceci pour deux raisons. La
première est générale, la seconde
personnelle.
La raison générale, c’est que ce
pronostic est tendancieux. A chaque
embranchement, il fait le choix du pire. Il ne convainc que ceux qui ont
envie de malheur. D’autre part, on
n’est plus en 1993 [Ne surtout pas oublier que Slobodan Despot est serbe : ceci explique une imperméabilité certaine, pour dire le moins, à la propagande euratlantique]. L’Empire atlantique
n’est plus seul maître du monde.
Bien au contraire, il est dressé sur ses
pattes arrière, les babines retroussées,
face à deux challengers qui se tiennent
les coudes.
[…]
Par conséquent, il n’y a pas que la
CIA qui pourrait convoiter le trône
du Kremlin. Les camarades beaucoup
plus discrets du Guoanbu pourraient
être déjà assis dessus avant
que le premier agent U. S. n’entre
dans la salle.
De plus, les Yankees et leurs
moucherons se sont intoxiqués
avec leurs propres affabulations.
Attribuer la responsabilité de ces
renversements historiques à l’action
d’un seul homme, et croire que son
élimination permettrait de ramener
le monde vingt ans en arrière, est
une tournure rhétorique qui certes
permet de simplifier efficacement
la story à l’adresse du grand public,
mais qui fait oublier qu’on a affaire
non à des chefs de bandes, mais à des
systèmes évolués.
La Russie, une fois rentrée dans
son assiette historique et administrative,
est un système stable,
centralisé, qui peut compter sur une
obéissance sans faille de ses sujets,
sur une abnégation d’un autre temps
et sur un patriotisme élevé au rang
de religion. C’est ce consentement à
la destinée commune que les Occidentaux
appellent une dictature,
eux-mêmes préférant gouverner
leurs masses par la diversion et le
simulacre.
[…]
Ceci m’amène à ma raison personnelle. Je n’ai plus envie de combattre les moulins à vent de la propagande officielle. Je l’ai fait voici bientôt trente ans, excédé par la bêtise ignare et raciste qui tenait lieu d’information au sujet du conflit qui dévasta mon pays natal, la Yougoslavie. Cela m’a détourné de mes études, coupé de mes intérêts réels, et m’a poussé vers un univers dont je n’eusse jamais songé à me rapprocher: la politique.
Les rapports sociaux sont régis par la loi de l’osmose. Qui se ressemble s’assemble, certes — mais l’inverse est aussi valable: qui s’assemble se ressemble. A force de ferrailler contre la simplification, on se simplifie. A force de pourfendre les a priori politiques, on se politise. A force de s’opposer à un parti, on crée le sien. Quiconque s’immisce dans le débat public s’expose à fédérer des «partisans» dont les motivations n’ont pas grand-chose à voir avec les siennes propres. On vous attire — ou l’on vous pousse — dans des cénacles «amis» avec qui vous n’avez souvent en commun que des rejets. Dans le même temps, certains milieux où vous attireraient vos affinités se referment. Bref, vous êtes «marqué», comme un bovin d’élevage. On vous identifiera désormais par votre étiquette.
C’est ainsi. Je ne suis pas l’éditeur de dizaines d’auteurs originaux, ni l’auteur de romans primés publiés par Gallimard. Je suis en premier lieu le souverainiste prorusse, proserbe et antiatlantiste de service. A ce titre, je suis sûr de ne prêcher que les convaincus, alors qu’en tant qu’éditeur ou romancier je touche un public aussi inclassable qu’inattendu.
Le plus élémentaire bon sens, hormis l’intérêt de carrière, me commande de ne plus me laisser enfermer dans ce rôle. Mais ce n’est pas qu’une affaire de stratégie de communication. Cela touche aussi à la qualité et à la substance de ce que je peux comprendre et exprimer.
[…]
Je ne suis pas du côté des selliers et des cordonniers parce que je suis réac et souverainiste. Je suis réac et souverainiste parce que je suis du côté des selliers et des cordonniers. Entre la boutique vermoulue de la rue pavée et le flagship store de l’artère commerciale, c’est une bataille titanesque qui se livre, bien plus féroce que toutes les guerres du pétrole. Elle oppose les mammifères vivant de et sur la terre, ou ce qu’il en reste, à des androïdes vivant dans les branchages de la réalité virtuelle, sans contact avec le sol, telle une population de perruches dans les forêts d’Amazon.
M. Poutine aimerait peut-être bien, lui aussi, jucher son vaste pays dans ces frondaisons chatoyantes. Le hic est qu’on ne le lui permet pas — ou seulement sans drapeau, à l’échelle des particuliers, comme aux derniers JO d’hiver. Il reste donc — lui, son sosie ou son successeur préparé par les Services — un semblant de recours des mammifères enracinés face à la volière psychédélique qu’est en train de devenir le monde régi par le capitalisme du désastre.
Je me joins donc au chœur de ceux qui voudraient dépoutiniser le monde. Mais peut-être pas pour la même raison. J’aimerais qu’on cesse de réduire des peuples à des Poutine, des Trump, des Macron® et des Xi, et qu’on commence à éprouver et méditer les réalités humaines qui se cachent derrière ces ombres chinoises.
PS — D’aucuns m’ont suggéré de commenter l’épisode de l’empoisonnement britannique. Je n’ai rien à dire là-dessus. L’affaire est trop claire. Il va de soi que M. Poutine n’a rien de plus pressé que de liquider un espion au rebut, sur le sol du pays qui jappe le plus contre lui, avec un produit qui le «signe», et ce à la veille de ses élections et de son Mondial de foot. Il aurait tout aussi bien pu laisser sa carte d’identité sur les lieux du crime. C’est à la mode, parmi les débiles mentaux.
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Sur cette affaire d'empoisonnemnt, je connais 4 hypothèses et je n'ai aucun élément pour décider entre elles. :
1) V. Poutine a ordonné cet empoisonnement.
2) Un clan ou une mafia russes ont voulu mouiller Poutine.
3) Les services secrets anglais ou américains ont voulu accuser Poutine, décision prise en suivant les voies hiérarchiques.
4) Les services secrets anglais ou américains ont voulu accuser Poutine, décision prise sans suivre les voies hiérarchiques. La haine anti-russe est si forte dans l'Etat profond anglais ou américain que cette hypothèse est aussi vraisemblable que les autres.
Les hypothèses 2, 3 et 4 peuvent se combiner en des clairs-obscurs plus obscurs que clairs.
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