Un livre très intéressant qui ne donne pas forcément des réponses mais au moins des pistes.
Préliminaire méthodologique : ce livre traite de la pratique chrétienne mesurable (sacrements, assistance à la messe, etc) et non de la croyance ou de la culture. Mais il me semble illusoire de croire qu’on puisse préserver la croyance et la culture sans la pratique (exemple : si les enfants ne vont plus au catéchisme, comment pourrait-on préserver la culture chrétienne ?). D’une manière générale, la notion de « croyant non pratiquant » est un mensonge, une fuite, à mes yeux, puisque qu’il n’y a pas de chrétien sans sacrements (1). On voit même aujourd’hui des « pratiquants non croyants » !
Bref, pour moi, la mesure de la pratique, quels que soient les bémols qu’on y mette, me paraît bonne pour avoir une idée du christianisme de la population, pour une raison toute simple : la pratique est christianisante, l'absence de pratique est déchristianisante. Ceux qui se consolent en disant que les messalisants d'aujourd'hui sont des meilleurs croyants que les messalisants sociologiques de jadis oublient que quelqu'un qui ne va pas à la messe n'a aucune chance d'être un bon chrétien.
En 1960, en France, 90 % de la génération étaient baptisés et 25 % allaient à la messe régulièrement. Aujourd'hui, 30 % et 2%. Pourquoi ?
Les premières études scientifiques assez extensives de la pratique religieuse datent des années 30 et ont été poussées dans les années 40 et 50.
La carte est très contrastée, entre certaines régions de Vendée, à 97 % ! d’assistance dominicale en 1950, et l’Aisne à moins de 20 %. Deux populations avaient une notion intuitive de cette carte : les évêques, à cause du denier du culte, et les politiciens.
Plus surprenant : cette carte recoupe la carte des prêtres réfractaires et des prêtres jureurs de 1791. Les prêtres jureurs, déclarés et identifiés, ont été exterminés tandis que leurs collègues réfractaires, réfugiés au bocage ou au maquis, ont finalement eu un taux de survie plus grand. Le recrutement des curés étant local, ces disparités se sont perpétués.
Entre 1964 et 1966, la pratique s’effondre, allant parfois jusqu’à une division par deux chez les jeunes. Une évolution si rapide et généralisée est un mystère. Le phénomène ne semble pas limité à la France. Certes, cela correspond au changement de liturgie (sans le latin, sans le latin, la messe nous emmerde, comme disait Brassens).
Mais la corrélation n’est pas une explication.
Cuchet voit plusieurs explications concordantes :
♗ l'achèvement de l'exode rural et la désertification des campagnes, qui tarissent les gros réservoirs de pratiquants. On peut aussi ajouter diverses causes sociologiques diffuses, notamment les mutations de la transmission entre parents et enfants.
♗ l'entrée a l'âge adulte a toujours entrainé une baisse de la pratique. Mais, quand la génération des baby-boomers est arrivée à l'âge adulte (y est-elle jamais vraiment arrivée ?), ce fut un effondrement. Cette génération de pourris-gâtés était, sur plein d'indicateurs, pas seulement religieux, un changement de monde.
♗ Vatican II, par son existence même : tout ce qui tend à mettre en cause des dogmes jusqu'ici présentés comme immuables mine la confiance dans la doctrine et dans l'institution et fait baisser la pratique, notamment dans les couches populaires. D'une manière générale, l'intellectualisation du catholicisme après guerre est une catastrophe pour la pratique populaire, comme l'avait bien perçu sur le moment les défenseurs du catholicisme populaires comme le père Bonnet.
♗ autre conséquence de Vatican II : l'idée, qui n'est pas dans le dogme mais dans le changement de priorité et d'atmosphère, que la pratique n'est pas si obligatoire que ça. Cette notion a eu des conséquences ravageuses sur ceux qui allaient à la messe d'une demi-fesse.
♗ : un sacrement a connu une désaffection spectaculaire, au point de quasiment disparaître : la confession. C'est le sacrement le plus problématique, celui qui est le plus éprouvant (2). Alors dès qu'on ouvre une porte de sortie aux fidèles pour l'éviter, ils sautent sur l'occasion.
♗ : l'explication principale de Cuchet : les clercs ont trahi. Ils ont abandonné l'obligation de pratique. Pas en théorie, mais ... en pratique. Par divers moyens, écrits, comportements, ils ont laissé entendre que les anciennes contraintes devaient tomber en désuétude. Message reçu cinq sur cinq : la fréquentation des églises a été divisée par dix. Je rappelle mon préliminaire : on peut se tripoter la nouille tant qu'on veut, il n'y a pas de transmission du christianisme s'il n'y a pas de pratique.
Et pourquoi les clercs ont-ils trahi ? Parce qu'ils ne croient plus aux fins dernières (le Salut, le Purgatoire, l'Enfer, le Paradis) et n'en parlent plus. Et jusqu'au sommet, puisque le pape François a dit que même Judas, on n'était pas sûr qu'il fût en Enfer. Propos scandaleux au point qu'un abbé a écrit un livre pour rétablir quelques vérités théologiques.
L'ancien catéchisme enseignait que l'homme était sur terre pour faire son Salut. C'était simple, logique et compréhensible par tous. Si on abandonne cela, il n'y a plus de raison d'être chrétien. Rappelez vous Chesterton : le christianisme est un édifice complexe et cohérent, enlevez une pièce et il perd l'équilibre.
D'où la conclusion terrible de Cuchet : il y a toujours une religion qui s'appelle christianisme catholique, mais en réalité, on a changé de religion.
Enfin, Cuchet invite à étudier la vigueur du protestantisme évangélique par rapport à toutes les autres formes de christianismes. Car si le catholicisme sombre pour les raisons analysées par Cuchet, le protestantisme traditionnel et l'orthodoxie ne se portent guère mieux et il serait intéressant de savoir pourquoi..
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(1) : pourquoi Saint Français d’Assise n’est-il pas devenu hérétique quand les tensions étaient très fortes avec le clergé ? Probablement parce qu’il avait besoin des sacrements dispensés par les prêtres.
(2) : la suppression du confessionnal, qui permettait une certaine discrétion, est une faute psychologique.
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