Rosanvallon débattra avec Finkielkraut… s’il renonce à ses idées. Le dialogue, c'est quand même mieux tout seul.
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La bonne explication n’est donc pas là. Rosanvallon accepte de discuter avec Gauchet et Manent, mais pas avec Finkielkraut. Pourquoi ? « C’est un essayiste, mais pas vraiment un intellectuel. » Quoi donc alors ? Un manuel ? Souhaitons à Finkielkraut d’être bricoleur, sans quoi il n’est plus rien du tout… Les auditeurs à l’ouïe fine auront néanmoins compris : il ne suffit pas d’être normalien et agrégé, ni même producteur à France Culture et professeur à l’École Polytechnique pour mériter le beau nom d’intellectuel. Il faut avoir fait une thèse et occuper une chaire universitaire, sinon au Collège de France, du moins à l’EHESS. Rien de bien nouveau sous le soleil. En 1991 Bourdieu s’en prenait déjà à Alain Finkielkraut en qualifiant les essayistes de « sous-philosophes qui ont pour toute compétence de vagues lectures, de vagues textes, des gens comme Alain Finkielkraut. J’appelle ça les pauvres Blancs de la culture »1Et il justifiait son refus de discuter avec lui et ses semblables en disant : « Toute leur vie ils diraient : voilà, j’ai parlé avec Bourdieu »1tout en précisant qu’en revanche il accepterait volontiers de dialoguer avec Chomsky. Plus récemment, c’était le 18 septembre 2016 au Palais Garnier, l’historien Patrick Boucheron, confronté à Alain Finkielkraut, lui lançait : « Je suis professeur au Collège de France, je suis médiéviste, ma voix sur un sujet d’histoire médiévale (…) vaut un peu plus que la vôtre. »
L’égalité pour les autres
Cette morgue aristocratique et ce mépris de caste s’inscrivent donc dans une tradition qui a ses lettres de noblesse, en particulier au Collège de France. D’aucuns s’étonneront de les trouver chez l’auteur de La société des égaux, un intellectuel qui prétendait dépasser les théories de la justice centrées sur l’égalité des chances au profit d’une philosophie de l’égalité comme relation sociale. Remercions Pierre Rosanvallon d’avoir montré si clairement comment un intellectuel de gauche envisage des relations sociales égalitaires. Et pour l’honneur des intellectuels de gauche, rappelons que Paul Ricœur, dont la réflexion sur la justice et l’égalité était, elle, profonde, avait volontiers accepté de venir dialoguer à Répliques avec Alain Finkielkraut. Il est vrai que Ricœur n’était pas professeur au Collège de France.
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Les Français n'en peuvent plus de ce mépris de classe des bien-pensants, qui se manifeste du professeur du collège de France au petit fonctionnaire de sous-préfecture (le premier ressemble a second).
Heureusement, les Français croient que, quand viendra l'heure de régler les comptes, tous ces salauds seront égaux devant le peloton d'exécution. Ils se trompent probablement, mais à un mépris répond un autre mépris.
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