J’ai eu de la chance (et de bonnes manœuvres scolaires de mes parents) : grâce à d’excellents professeurs de français et d’histoire, la pensée systémique m’est familière. Je discuterai une autre fois, si le cœur m’en dit, pourquoi j’attribue plus mon goût de la pensée systémique à l’histoire et au français qu’aux matières scientifiques.
Mes discussions autour des gilets jaunes m’ont rappelé une fois de plus combien, de nos jours (je ne suis pas sûr que ce fût le cas par le passé), il y a peu de gens, y compris chez les très diplômés, qui pensent systémique. Pour la plupart, la macro, c’est de la micro sur un plus grand nombre. Les effets d ‘échelle, les biais statistiques, tout ça n’existe pas. Autrement dit, la macro n’a pas d’existence propre.
Un économiste (Schumpeter ? Von Mises ?) disait qu’il ne faut surtout pas interroger les entrepreneurs sur la politique économique, car ils projettent leurs raisonnements micro sur la macro et ne peuvent que se tromper (de ce point de vue, Charles Gave est un pédagogue très rusé : il généralise souvent un comportement micro pour en déduire une conséquence macro. En réalité, quand on y réfléchit, on s’aperçoit qu’il a au départ l’effet macro en tête et qu’il choisit son exemple micro pour s’y adapter).
Prenons une phrase que j’ai beaucoup entendu sur les gilets jaunes : « I’ zont qu’à plus travailler ».
Cette réflexion est chargée d’égoïsme, elle signifie « Ce n’est pas mon problème, je m’en lave les mains ». Passons.
Et reprenons. Le raisonnement micro peut se tenir : si un gilet jaune travaille plus, il est probable qu’il gagnera effectivement plus (encore faut-il qu’il trouve ou qu’il garde du travail : le salarié le plus motivé du monde, si son usine ferme, se retrouvera quand même sans travail).
Mais comment fait-on pour que vingt millions de personnes travaillent plus ? Cela ne dépend plus uniquement, ni même principalement, de décisions individuelles, mais de la macro. Le niveau d’emploi , de formation, la structure de l’économie …
Un ingénieur des années 50, à quantité de travail égale, avait une position sociale plus élevée qu’aujourd’hui. Idem pour un ouvrier des années 70 par rapport à un ouvrier d’aujourd’hui. Un coiffeur de Dakar fait approximativement le même travail qu’un coiffeur de Paris et, pourtant, il gagne beaucoup moins. Tout cela ne peut être réduit à de la micro.
Prenons mon dada, l’Euro. Mettons à part les imbéciles qui croient que les Allemands et les Français sont interchangeables. Ceux qui savent que les Français et les Allemands ne sont pas interchangeables et insistent pourtant que nous devrions faire les réformes allemandes pour nous adapter à l’Euro font inconsciemment un raisonnement micro. Oui, on peut transformer un Français en Allemand en lui mettant beaucoup de pression, mais transformer 60 millions de Français en Allemands n’est pas 60 millions de fois plus difficile, c’est impossible : il y a ces obstacles macro qu’on appelle l’histoire, la culture, la tradition …
Bref, retour au gilet jaune « qui z’a qu’à plus travailler ». Il est soumis à des décisions macros qui bornent ses possibilités : l’Euro, le mondialisme, la politique monétaire, l’aménagement (le désaménagement) du territoire, l’invasion migratoire. Donc « I’ zont qu’à plus travailler » est le problème de tout le monde.
Qu’est-ce que cela signifie ? Que la politique, la décision collective, ça existe encore. C’est cela que nient ceux qui ne voient que la « micro », tout simplement parce que cela ne les arrange pas de voir plus loin que le bout de leur nez, quand ils ne sont pas, tout simplement, bêtes.
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