Ne le répétez pas : je méprise de plus en plus les femmes qui se veulent modernes, car elles correspondent exactement à la description de Zemmour :
Ainsi va notre jeune Italienne, entre ingénuité et moralisme, anachronisme et aveuglement, sentimentalisme et manque d'envergure intellectuelle : bref, une Occidentale typique, de son époque, de son milieu, de sa génération.
Éric Zemmour : « Encore un effort pour être antique ! »
CHRONIQUE - Une balade avec Jason à la recherche de la Toison d'or. Par une jeune Italienne à la mode, Andrea Marcolongo, plus moderne qu'elle ne le croit.
Andrea Marcolongo fut une adolescente pénible. Les parents vous diront qu'elles le sont toutes. Notre jeune Italienne avait des excuses: sa mère était morte alors qu'elle n'était qu'une enfant. Souffrant d'anorexie, elle teignait en noir sa belle chevelure blonde, et se tatouait la peau, comme pour mieux torturer ce corps qu'elle avait pris en grippe. Elle exaspérait ses camarades de classe en commençant toujours ses phrases par des «Cela vient du grec» ou des: «À mon avis, cela se disait en latin…».
L'arrogance de la première de la classe rend rarement populaire. On connaît la suite. Notre adolescente en souffrance a suivi le fameux conseil de Cocteau: «Ce qu'on te reproche, cultive-le, c'est toi!» Son premier livre, La Langue géniale(Les Belles Lettres), à la gloire du grec ancien, lui a valu un succès aussi inattendu qu'international.
Enhardie, elle entame cette carrière d'écrivain, dont elle avait rêvé, avec un nouvel ouvrage. Sans doute pour se rassurer - et ne pas effaroucher ses lecteurs - elle confine son inspiration dans les parages de la Grèce Antique ; mais elle évite les destinations trop balisées de l'Iliadeet l'Odyssée, et jette son dévolu sur la - un peu moins - célèbre histoire de la Toison d'or: la quête de Jason, et de ses compagnons de voyage en mer, les Argonautes, qui, après moult aventures initiatiques, reviendra avec le morceau de tissu si précieux, ayant conquis l'amour de la belle et indomptable Médée.
Notre auteur reprend la méthode qui avait fait son succès. Son livre n'est ni un roman, ni un essai ; plutôt une série de réflexions, anecdotes, commentaires, harmonieusement agencés, des allers-retours permanents entre hier et aujourd'hui, entre l'Antiquité et la postmodernité, entre les héros de la mythologie et le prosaïsme de nos contemporains, entre le charme persistant de la découverte des étymologies et la banalité des morales qu'elle en tire ; un style clair et propre, sans audace ni jargon, plat et scolaire.
Andrea Marcolongo s'attache à un récit au style épique alors qu'elle en manque singulièrement. C'est tout l'intérêt paradoxal de cet objet de grande consommation: l'auteur prétend (et sans doute est-elle sincère) «porter sur le présent le regard antique qui oriente ma vie et mes choix», alors qu'elle fait - peut-être sans le savoir - l'exact contraire, portant sur l'Antiquité, un regard contemporain qui imprègne sa vie et ses choix.
Dès le début, elle nous explique qu'elle a choisi l'histoire de Jason et de ses amis, les Argonautes, et non celle des héros d'Homère, car «comparés à Ulysse ou à Hector, ils sont fragiles, et toutefois plus forts, parce que leurs travaux ne sont pas dictés par la guerre ni la vengeance, mais par le besoin de se mettre avant tout eux-mêmes à l'épreuve». Tout le livre peut être résumé par cette phrase. Les étymologies, anecdotes, récits sont antiques, mais le regard est contemporain, et plus particulièrement féminin ; on baigne dans la religion de l'Amour qui domine l'Occident aujourd'hui ; l'héroïsme guerrier des Anciens est transformé en quête intérieure des Modernes ; l'Antiquité grecque revue et corrigée par le christianisme, la presse féminine et les livres américains de développement personnel.
Andrea Marcolongo confond l'essentiel et l'accessoire: elle croit que la véritable quête de Jason et de ses amis argonautes est l'amour, et non la Toison d'or ; alors que la conquête des femmes - et de la femme - est la récompense de l'exploit de l'homme. C'est bien parce qu'elle se réjouit d'être le trophée que la femme - en l'occurrence Médée - fait tout pour aider son soupirant à remporter la victoire.
Notre jeune femme d'aujourd'hui vante l'initiation virile du jeune homme d'antan, sans comprendre que les valeurs qu'elle admire - force, audace, transgression, indépendance - sont exactement celles que notre époque vomit comme «virilité toxique», pour les femmes et même pour la planète. On se demande même parfois si elle comprend bien cette Antiquité qu'elle dit chérir.
Quand elle vante l'hospitalité grecque de jadis pour mieux dénoncer le rejet des migrants d'aujourd'hui (on suppose qu'elle vise l'Italie de Salvini), elle oublie seulement que les «étrangers» qu'on accueillait avec «hospitalité» repartaient chez eux très vite. Et que ses chers Grecs antiques considéraient tous les étrangers comme des «barbares» méprisables. Les anecdotes qu'elle raconte elle-même peuvent d'ailleurs être retournées aisément contre sa démonstration humaniste. Ainsi, ramenés (par un vent capricieux) sur une île qu'ils venaient de quitter, les Argonautes massacrent les habitants qui les avaient pourtant accueillis avec générosité. Comme un avertissement à tous les peuples ouverts et généreux?
De même, sur l'île de Lemnos, les femmes avaient exterminé leurs hommes, bien décidées à les remplacer en tout. Elles n'avaient pas besoin d'eux pour vivre, prétendaient-elles. Mais, lorsque les Argonautes débarquent, elles se jettent au cou de ces étrangers, afin de combler leur fringale sensuelle. Ne demandez pas à notre auteur, pourtant si soucieuse de rapprochement avec notre époque, d'y voir le reflet, il est vrai peu avantageux, des féministes occidentales qui n'ont jamais fini de combattre un patriarcat blanc tandis qu'elles ne soufflent mot lorsque les brutalités, voire les violences, sont le fait d'hommes issus de l'immigration.
Ainsi va notre jeune Italienne, entre ingénuité et moralisme, anachronisme et aveuglement, sentimentalisme et manque d'envergure intellectuelle: bref, une Occidentale typique, de son époque, de son milieu, de sa génération. Qui se croit délicieusement passéiste alors qu'elle est furieusement moderne ; qui se croit originale et élitiste alors qu'elle est désespérément banale. Mais qui nous a d'avance pardonné en précisant l'étymologie du mot critique: «Perçue (aujourd'hui) comme une agression, une attaque personnelle, une infamie, la critique signifie simplement savoir diviser les idées avec précision pour mieux les connaître et donc les juger. La critique est donc une attitude profondément humaine qui comporte sagesse, amour, intelligence, scepticisme et surtout prise de responsabilité.» L'étymologie, vous dis-je !
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