C'est tout du long un crève-coeur pour un Français. Quelques remarques en guise de conclusion :
1) Shirer ne comprend pas l'habileté d'Hitler (qu'il a rencontré plusieurs fois).
2) Les politiques de la Grande-Bretagne et des Etats-Unis dans les années 20 et 30, isolationnistes et accommodantes avec l'Allemagne, ont été des fautes majeures qui n'ont pas peu contribué aux succès hitlériens. Churchill l'a d'ailleurs reconnu.
3) La France faisait peine à voir. Une classe politique débile, une bourgeoisie égoïste, une classe ouvrière pas franchement mieux, un grand pays devenu veule.
4) Parmi nos politiciens, Paul Reynaud fut le plus défaillant alors qu'on avait placé en lui beaucoup d'espoirs. Il ne sut s'élever à aucun moment à la hauteur des tragiques événements.
C'est celui dont mon opinion a le plus souffert avec ce livre. Pourtant, je ne le tenais déjà pas en haute estime. Shirer insiste trop sur l'influence maléfique de Mme de Portes (la arch-défaitiste maitresse de Reynaud dont De Gaulle dira « Comme toutes les femmes en politique, c'était une dinde »), mais il montre aussi que Reynaud n'a pas su ou voulu saisir les perches que Churchill lui tendait et que son ultime message à Roosevelt était juste pour couvrir ses intentions défaitistes.
L'entourage choisi par Reynaud était, à part De Gaulle, pourri de défaitistes, c'est (au moins) une erreur de jugement funeste de sa part et sans doute plus que cela : un indice de ses pensées profondes.
5) Pétain et Weygand sont des traitres et des imbéciles. Ils font partie des très rares Français pour lesquels Shirer n'a aucune indulgence. Il est plus précis : ils sont traitres parce qu'imbéciles. Ils manquent d'imagination : l'un se croit au lendemain d'Iéna, l'autre est obsédé par une révolution communiste improbable. Ils ont en commun d'être incapables d'imaginer un conflit mondial (1). Deux crétins, on comprend qu'Hitler ait fait mumuse avec facilement.
Shirer est particulièrement choqué par la scène hystérique (évidemment pour réclamer un armistice immédiat) que Weygand fait au conseil des ministres du 13 juin. Shirer juge très sévèrement Reynaud (voir mon point précédent) de ne pas l'avoir remis à sa place.
Ces généraux qui rivalisent d'ingéniosité et d'énergie pour rendre les armes le plus rapidement et le plus totalement possible seraient comiques s'il ne s'agissait pas d'une trahison.
6) Le personnel politique ne sort pas grandi de l'épreuve : les minables Chautemps, Baudouin, Bouthilllier, Laval et compagnie s'entendent comme larrons en foire pour manoeuvrer, biaiser, filouter. Tout ça, c'est franc comme un âne qui recule.
Je n'ai pas eu le coeur de vous raconter juillet 1940, quand Laval achète les députés en leur promettant qu'ils continueront à toucher leur retraite et garderont leur franchise postale.
Moralement, ce n'est pas très reluisant. Mais intellectuellement, c'est guère mieux : ces gens ont fréquenté Churchill pendant un mois. Aucun (à part Reynaud) ne semble s'être posé la question « Que se passera-t-il pour la France si Churchill s'accroche au pouvoir et que la Grande-Bretagne n'a pas "le cou tordu comme un poulet dans trois semaines" ? (comme ce crétin de Weygand prédisait) ». Question que nous savons très pertinente puisque c'est ce qui se passera en réalité.
La classe dirigeante française, militaires et politiques confondus, a été en-dessous de tout. Un tel naufrage, si radical, si total, interroge.
On remarquera que les coloniaux qui, par leur position, avaient moins le nez sur l'événement et une vue plus étendue, ont manifesté plus de velléités résistantes mais ont très peu basculé dans la dissidence.
7) Darlan est une énorme déception, comme Churchill l'explique dans ses mémoires : si, plutôt que De Gaulle, Darlan avait appelé à la résistance depuis la Grande-Bretagne, après l'avoir rejointe avec toute la flotte, ça aurait eu une sacrée gueule. Au lieu de cela, la moitié de cette magnifique flotte qui n'a pas combattu a été coulée par les Anglais à Oran et l'autre moitié s'est sabordée à Toulon. Une ratée, comme Darlan.
Conclusion de la conclusion
Pourtant, malgré la bassesse de notre classe dirigeante, un autre destin était possible.
Le 16 juin, juste avant de démissionner pour laisser la place à Pétain et à la politique que l'on sait, Paul Reynaud jouait avec l'idée de démettre Weygand de son commandement (2). Il n'a pas trouvé le courage de le faire.
Il n'a pas non plus trouvé le courage de soumettre au vote du conseil des ministres l'option résistante (refus de l'armistice, passage en Afrique du Nord) alors que des témoins avertis pensent, pointage fait, qu'elle était encore majoritaire parmi les ministres. Les raisons que Reynaud donne à cette absence de vote sont vaseuses.
Cette période décisive est jalonnée des lâchetés, petites et grandes, de Reynaud. Pourquoi ? Je pense que Reynaud était au fond aussi défaitiste que Pétain et Weygand mais que lui avait compris (contrairement aux deux vieilles badernes) que la Grande-Bretagne ne déposerait pas les armes rapidement et que la situation de la France si la guerre continuait serait très délicate.
Reynaud était le mauvais homme, au mauvais moment, au mauvais endroit. Mais y en avait-il d'autres ?
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(1) : la clairvoyance de l'appel du 18 juin fait un violent contraste. Elle repose sur des analyses concrètes : De Gaulle avait compris que Churchill et la Grande-Bretagne ne se rendraient pas, ou pas facilement. Reynaud avait cette idée aussi mais n'a pas eu le courage d'en tirer toutes les conséquences. Pendant ce temps, Weygand répétait que l'Angleterre allait avoir le cou tordu comme un poulet. Un génie.
(2) : ce qu'il aurait du faire depuis deux semaines, dès qu'il ait apparu que Weygand poursuivait un but qui n'était pas le succès des armes de la France. D'ailleurs, Reynaud n'aurait pas du le nommer. Un Doumenc aurait probablement été beaucoup mieux, Reynaud n'a pas eu cette audace.
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