Le motif de cette lecture est une discussion sur les régimes amaigrissants.
J'avais prétendu que la clé était dans la tête (jusque là, peu de contestation) et que n'importe qui pouvait s'auto-persuader de n'importe quoi et donc adopter n'importe quel régime (et là, on m'avait pris pour un con - je ne dirais pas qui était « on »).
Hé bien, c'est à peu près ce que raconte ce livre. Mais pas à n'importe quelles conditions. Et pas vraiment n'importe qui.
Lisa Allen est obèse, fumeuse, surendettée, au chômage et en instance de divorce. Trois ans plus tard, elle a arrêté de fumer, perdu 30 kg, repris ses études, elle court des marathons et elle est en couple. Son cas passionne les spécialistes des habitudes et des addictions (qui ne sont que des super-habitudes).
Allez, une photo :
La première utilisation consciente de ce tryptique par les publicitaires, c'est Pepsodent :
1) L'indice déclencheur : le film désagréable qu'on a sur les dents si on ne se les lave pas. La publicité incitait à se passer la langue sur les dents.
2) L'exécution : se brosser les dents avec Pepsodent.
3) La récompense : un sourire de star (et non pas des dents sans carie ou autre argument).
Créer une habitude étant le jackpot des publicitaires, ils essaient beaucoup de nous influencer avec ce tryptique. Regardez les publicités et essayez de détecter l'indice déclencheur et la récompense (l'exécution est évidente, c'est l'utilisation de leur produit). La récompense est en général assez facile à trouver, l'indice pas toujours.
C'est pour cela que Mac Donald's fait de gros efforts pour que ses restaurants soient identiques partout dans le monde. Pour que l'indice-déclencheur (passer devant le Mac Do) soit identique partout, au maximum de son efficacité. Même le langage de ses serveurs est standardisé à dessein.
Pour Mac Donald's, ses clients sont des chiens de Pavlov à peine plus perfectionnés. Et ça fonctionne du tonnerre : d'après les enquêtes, les clients de Mac Do déclarent deux fois moins d'envie que de nombre de fois où ils y vont. Autrement dit, la moitié du temps, ils y vont par habitude plus que par envie.
C'est à cause de ce mécanisme ternaire des habitudes (indice-exécution-récompense) que les méthodes progressives pour changer d'habitude (arrêter de fumer, par exemple) ne fonctionnent pas : l'indice et la récompense sont entretenus, même si c'est à un niveau plus bas, prêts à être réactivés plus fort à la moindre occasion. Tous ceux que je connais qui ont arrêté de fumer l'ont fait d'un coup.
Comme je dis toujours, si vous croyez que les milliards dépensés pour nous manipuler sont perdus, vous n'avez pas bien compris le monde dans lequel vous vivez. Autre manière de le dire : « Moi, je fais gaffe, la manipulation, ça ne marche pas sur moi » est juste une déclaration publique de stupidité. Chacun est vulnérable à la manipulation à un certain degré.
La quatrième phase de l'habitude
Il y a une quatrième phase à l'habitude : la sensation de satisfaction.
On a donc : indice déclencheur-exécution-récompense-sensation de satisfaction.
La sensation de satisfaction est ce qui boucle l'habitude, la rend répétitive. Vous n'êtes plus passif face à l'indice déclencheur, vous le recherchez. C'est le fumeur qui s'invente des prétextes pour faire une pause cigarette.
Et cela explique le succès de Pepsodent : en plus du tryptique initial indice-exécution-récompense, une petite sensation de piquant (pas particulièrement agréable) a été ajoutée. Elle n'a aucun effet sur la propreté des dents, mais elle ponctue le brossage des dents, elle est le point final, le « c'est fini, tu peux te laisser aller à la sensation de satisfaction ».
Mieux (ou pire ?) : quand une habitude est établie, le cerveau anticipe la sensation de satisfaction. Indice-anticipation de satisfaction-exécution-récompense.
Que se passe-t-il quand, après l'indice et l'anticipation de satisfaction, l'exécution de l'habitude n'a pas lieu, pour une raison ou pour pour une autre ? Une frustration focalise le cerveau sur l'accomplissement de l'habitude, reléguant au second plan toute autre considération.
C'est typiquement le « bip » (indice déclencheur) de la messagerie : si vous êtes en réunion, vous êtes mal à l'aise tant que vous n'avez pas lu le message (qui, dans 99, 9 % des cas pouvait attendre la fin de la réunion et vous le saviez), alors vous le lisez en douce sous la table. Le « bip » a activé une habitude et vous êtes en suspens tant que vous n'avez pas acquittée cette tache (comme on dit en automatisme). D'où l'importance d'éteindre son téléphone en réunion : pas de « bip » attendu, pas de frustration, pas de déconcentration. Et pas d'impolitesse.
Procter & Gamble a des milliers d'heures d'enregistrement de gens en train de faire le ménage, analysés par des psys, des ergonomes etc. Ils savent mieux que vous (vous, parce que moi, le ménage ...) pourquoi vous procédez comme vous procédez.
Par exemple, ils ont compris que la petite tape pour remettre les oreillers en place à la fin du ménage était le signal pour le cerveau « Le ménage est fini ». Ils sont alors réussi à vendre un de leurs produits comme cette ponctuation de la fin du ménage, le truc qu'on passe à la fin du ménage et qui signale « C'est fini » et que, si on ne le fait pas, il manque quelque chose, frustration (alors que le produit ne sert en réalité pas à grand'chose, c'est ça qui est génial).
Vous créer une nouvelle habitude
Ca, c'est super facile. Vous vous inventez un indice déclencheur et une récompense et vous vous y tenez le temps que l'habitude s'installe.
Vous voulez faire du jogging tous les matins ? Vous sautez dans vos chaussures quand le réveil sonne et vous ne déjeunez (récompense) qu'après.
Changer une habitude
Là, c'est plus difficile.
Le jeu, c'est de garder l'indice et la récompense mais de changer l'exécution entre les deux.
Exemple : à la pause cigarette, boire un café plutôt que de fumer.
Les Alcooliques Anonymes ont longtemps été critiqués par les médecins-qui-savent-tout (je ne vous fais pas un dessin, l'espèce prolifère comme le chiendent) et, ô surprise, depuis quelques années, on s'aperçoit que leur méthodologie élaborée à l'intuition est cohérente avec les dernières découvertes.
Le truc des AA est de substituer à l'alcool une spiritualité de pacotille. Dans le parcours, on fait recenser aux alcooliques les indices et les récompenses (pas sous ce nom, mais c'est bien ce qui se passe) et on substitue les rituels sociaux de cette spiritualité avec des récompenses proches de celles de l'alcool (consolation, abstraction des soucis, etc.).
La méthodologie de changement d'habitude : recenser consciemment les indices déclencheurs (ce n'est pas toujours évident : qu'est-ce qui déclenche votre envie d'aller dans le frigo prendre un chocolat ?), substituer une action (se gratter au lieu de se ronger les ongles) et travailler sur les récompenses.
Une étude sur les obèses qui ont perdu 30 kg ou plus montre qu'ils sont particulièrement efficaces pour se projeter dans la récompense qu'ils s'imaginent à la fin du régime, au point d'en faire une obsession.
Dieu et le groupe
Mais il y a besoin d'un étage supplémentaire pour changer d'habitude : y croire et être soutenu.
Les scientifiques se sont aperçus que le truc qu'ils décriaient si fort, la spiritualité de pacotille, était en réalité indispensable à la réussite de l'entreprise. Cela décharge l'alcoolique de sa responsabilité, le déculpabilise (« Si Dieu a voulu que je sois alcoolique, il peut aussi m'aider à ne plus l'être »). Bref, les AA ont redécouvert le proverbe « Aide toi et le Ciel t'aidera ».
Jung, excellent thérapeute, disait qu'il y a au cœur des alcooliques un vide existentiel.
Ensuite, le soutien d'un groupe (famille, amis anciens fumeurs, etc). Ca fonctionne en miroir : se préoccuper des autres plutôt que de soi fait sortir du nombrilisme de l'addiction.
Digression : les fidèles lecteurs d'Ariane Bilheran sont en terrain familier, puisqu'elle explique que le délire totalitaire covidiste est rendu possible par l'existence d'une population sans transcendance et désocialisée. A cette aune, pas étonnant que les « cathos » soient les plus covidisés : ce sont les plus paumés dans leurs croyances. (ils ont perdu la Foi mais, contrairement au reste de la population, ils en ressentent un malaise), ça fait peine à voir. Comme par hasard, les « tradis » résistent beaucoup mieux au délire covidiste.
En résumé, on ne tue pas une habitude, on lui substitue une autre habitude, en travaillant à deux niveaux :
1) En manipulant le tryptique : indice-action-récompense.
2) En y croyant, en jouant sur la transcendance et sur l'appui social.
Changer les habitudes des organisations
Quand Paul O’Neill est nommé PDG d’Alcoa (Aluminum company of America) en 1987, la société va très mal. Il met la sécurité en priorité obsessionnelle, au point d’indiquer les issues de secours aux journalistes lors de sa première conférence de presse. Les investisseurs fuient en courant et les salariés sont sceptiques.
L’idée est géniale.
Les salariés commencent à le prendre au sérieux quand ce PDG de 130 000 personnes passe trois jours de son temps pour mener lui-même l’enquête d’un accident mortel.
Dans les années 90, Alcoa est une des toutes premières entreprises où chaque employé est équipé d’une messagerie électronique, d’abord pour communiquer les incidents de sécurité, mais ensuite elle sert à plein d’autres choses.
Comme la procédure exige que tout incident grave partout dans le monde soit communiqué au PDG en moins de 24 h, la chaîne hiérarchique est réformée.
Et ainsi de suite. Alcoa devient très prospère.
Pourquoi ça fonctionne ? Parce que le problème est réel, important et consensuel.
Si vous devenez obsédé de la sécurité dans un travail de bureau où ce n’est pas un vrai problème, vous paralysez la société par excès de précaution.
Si O’Neill avait parlé de Return On Investment et autres fadaises de financiers, il serait retombé dans les situations conflictuelles habituelles et rien n’aurait avancé.
C’est à chaque chef de trouver le levier réel, important et consensuel pour réformer son organisation (non, ce n’est pas « faire plus de profits »). La plupart en sont complètement incapables.
Big Data
Au fait, à quoi servent les cartes de fidélité ? Pas à vous fidéliser mais à vous identifier à chaque achat pour que la grande machine puisse tracer vos habitudes et les exploiter à son profit. Exemple basique : si vous achetez souvent des céréales sans jamais acheter de lait, c’est que vous en achetez ailleurs et l’ordinateur vous enverra des promotions sur le lait pour que vous achetiez chez eux.
Big Data des supermarchés sait détecter les femmes enceintes, deviner approximativement leur date d’accouchement et leur faire des offres ciblées (et aussi des offres sur les tondeuses pour ne pas leur donner l’impression d’avoir été espionnées).
Si vous divorcez, votre supermarché le devinera. Et ainsi du reste. Votre vie n’a guère de secrets pour lui.
(Tout cela est probabiliste, mais ça marche dans 90 % des cas : un père se plaint que sa fille reçoive des publicités pour femme enceinte. Elle était enceinte et lui ne le savait pas, mais l'ordinateur du supermarché le savait.)
La volonté et les habitudes
La réussite de Starbucks est de doter ses employés d’une volonté de fer.
En effet, pour vendre à un prix indécent un café de merde, il faut que les employés ne perdent jamais leur sang-froid face aux clients capricieux.
La volonté est un muscle : quelquefois elle se fatigue, ce jour-là vous ne faites pas votre jogging, mais aussi elle s’exerce.
Ainsi, ceux qui se disciplinent dans un domaine deviennent plus disciplinés dans les autres domaines. C’est une technique pour arrêter de fumer : apprendre à se discipliner ailleurs (faire du sport, des économies, de la broderie etc.).
Il y a des athlètes de haut niveau de la volonté pour qui elle est une habitude.
C’est ce que Starbucks inculque à ses employés par des techniques proches de celles de la formation des pilotes : simulation et répétition.
Le rôle d’un manager Starbucks est de travailler « les cas de panne » : un client arrive en hurlant, que fait-on ? Un client se brûle ? La cafetière explose ? Une erreur de caisse ?
Comme pour les pilotes, la maîtrise et le sang-froid deviennent des habitudes.
C'est pourquoi il faut faire faire du piano ou du cheval aux enfants. Pas pour qu'ils deviennent bons pianistes ou bons cavaliers, mais qu'ils acquièrent l'habitude de la discipline personnelle. Le contraire des jeux videos.
Un mien commentaire : l’éducation permissive actuelle est aux antipodes de cette formation au sang-froid, c’est un billet pour l’hystérie et pour l’échec, c’est une forme de maltraitance.
La force des liens faibles
Les gens que vous ne connaissez pas ne vous apportent aucune information.
Les gens que vous connaissez trop bien ont les mêmes informations que vous, les mêmes cercles.
Ceux qui vous apportent des informations sont ceux avec qui vous avez des liens faibles : votre concierge, une connaissance du club de danse, un parent d'élève de la classe de votre fils ... parce qu'ils ont d'autres cercles, d'autres informations.
Cela été été prouvé dans les recherches d'emploi.
Mais en d'autres circonstances aussi.
Pourquoi l'arrestation de Rosa Parks a-t-elle déclenché un boycott des bus ségrégationnistes ? Parce que c'était une couturière à domicile investie dans la vie associative : elle avait beaucoup de liens faibles, professionnels et non-professionnels.
Mais comment créer des habitudes à partir de liens faibles ? Par le conformisme, par la pression des pairs.
Les gauchistes excellent à ce jeu car la haine viscérale de la pensée autonome est leur psyché profonde.
Je n'hésite pas à dire ce que je pense des lubies covidistes ou des foutaises réchauffistes à mes amis ou à des inconnus, je le tais à ma boulangère ou à ma concierge.
Parce qu'avec mes amis, je peux discuter ; avec les inconnus, je me fous de ce qu'ils pensent de moi. Avec ma boulangère, je suis entre les deux : je ne peux pas discuter vraiment et je ne me fous pas complètement de ce qu'elle pense de moi, donc la position par défaut, c'est de faire comme tout le monde.
Dans le cas de Rosa Parks, c'est un journal suprémaciste blanc qui a créé le conformisme des noirs ! En effet, en voulant semer la panique chez les blancs, il a affirmé que tous les noirs suivaient le boycott .. donc tous les noirs ont suivi le boycott, personne ne voulant être vis-à-vis de son voisin le mouton .. noir.
Le libre arbitre
C’est plus ou moins difficile de changer ses habitudes mais le libre arbitre existe. Nul ne peut se dire complètement victime de ses habitudes.
Un alcoolique, un fumeur ou un obèse peuvent changer leurs habitudes.
Mon commentaire
Ce livre me gêne, parce que tout cela est bel et bon, mais ça n'explique pas les gens que je connais qui ont arrêté de fumer du jour au lendemain, ni même Lisa Allen.
Duhigg évoque Lisa Allen en introduction et, pfui, elle disparait. Ce n'est pas un hasard : Duhigg passe sous silence le mystère du déclic. Pourquoi certains ont le déclic et d'autres pas ?
Ca aurait été la partie la plus intéressante du livre. Elle manque.
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