La figure du grand-père sabotier, illettré mais pas inculte, se détache. Conteur remarquable, il connaissait des dizaines, peut-être des centaines, d'histoires bretonnes. Il en avait plusieurs pour chaque circonstance de la vie.
Il avait une culture bien plus riche que n'importe quel bachelier d'aujourd'hui.
Lorsque son petit-fils fut diplômé, ce qu'il considérait à juste titre comme une réussite personnelle, il acheta et but du champagne pour la première fois de sa vie. Et déclara : « Je ne mettrais pas cette pisse au cul d'un âne ».
Quand à l'auteur, tout gamin, il a une connaissance intime, pour ne pas dire encyclopédique, de la nature qui l'environne. Il connait chaque plante, chaque animal, et son utilité, quoi en faire, y compris des tours pendables.
Helias fait revivre ces hommes et ces femmes, dont la seule richesse est bien souvent l'honneur, la réputation.
Sa mère, orpheline de sa propre mère à 11 ans et qui est chargée de ses 7 frères et sœurs. Quand elle se marie, elle a déjà sa réputation de travailleuse à qui il ne faut pas en conter.
Son père, grand valet de ferme.
Tout un petit peuple qui a plus de droiture et de savoir vivre que tous les bourgeois urbains d'aujourd'hui. Non pas qu'ils fussent parfaits, mais ils étaient bien obligés de ne pas se perdre en futilités.
Et les dévotions. Et les superstitions (qui, bien souvent, irritaient le curé).
Helias parle même de politique : il y avait les Rouges et les Blancs. Son père était Rouge. Mais tous allaient à la messe.
Ca a d'ailleurs donné lieu à un incident amusant : Helias, en tant que premier de la classe, devait faire la lecture à la messe, mais la lecture faite par le fils d'un Rouge, ça la foutait mal. Un arrangement a été trouvé pour présenter les choses de telle manière que personne ne perde la face et Helias a fait la lecture.
Il y a mille anecdotes à raconter. C'est tout le livre qu'il faut lire. C'est pourquoi je m'arrête là : lisez le.
Il n'y a pas besoin d'être Breton pour s'y intéresser. Helias décrit la vie paysanne dans l'ancienne France, avec des spécificités bretonnes.
Et la dégénérescence moderne
Ce livre m'a permis de comprendre pourquoi avec les Bretons de 2023 m'irritaient autant : ce sont des ectoplasmes, des clowns.
Il n'y a aucun rapport, à part la génétique, entre un paysan breton de 1900 et un punk à chien de Rennes ou un bourgeois en Armor Lux de Camaret. Leur langue bretonne est factice, leur culture bretonne est factice, leur folklore breton est factice. Ils se la pètent d'autant plus que leur prétention ne repose sur rien, c'est qui les rend si énervants.
Le paysan breton a été éliminé, non par le méchant Etat jacobin colonial français, mais par la modernité : par la radio, par la télévision, par le livre, par la voiture, par le tracteur, par le chauffage central et par l'eau courante, par Vatican 2 aussi ...
Avec leur gauchisme, leur immigrationnisme, leur européisme et leur régionalisme, les Bretons de 2023 sont infiniment modernes, ils sont à l'exact opposé de leurs ancêtres, paysans et marins durs à la tâche et qui ne se regardaient pas le nombril, et c'est pourquoi leur narcissisme régionaliste est grotesque et si énervant.
Ils se gargarisent de culture bretonne, mais tous leurs comportements, hédonistes, individualistes, hérités (pour faire court) de Mai 68 en sont à l'opposé.
Je m'amuse de l'argument débile qui justifie l'immigrationnisme par « La Bretagne a toujours été une terre d'accueil » :
1) C'est faux, il y a eu très peu de brassage de populations en Bretagne (en France non plus).
2) Quand on sait l'insistance paysanne sur la lignée, ne surtout pas être indigne de ses ancêtres, cette défense de l'abâtardissement fait sourire.
Ah si, les Bretons d'aujourd'hui votaient RN à 70 % et remplissaient les églises, ils seraient un peu moins indignes de leurs ancêtres, ils les trahiraient moins. Mais ce n'est pas le cas.
A dire vrai, ce n'est pas une surprise totale, je me doutais de quelque chose :
Une perte immense
Certaines critiques se sont focalisées sur la fait que PJ Helias montrait la Bretagne comme une région arriérée.
C'est ce qui s'appelle viser à côté de la plaque.
Ce qu'il fait voir, c'est la perte immense, irréparable, que la France, qu'elle soit de Bretagne ou de Beauce ou de Charente, a souffert en perdant sa paysannerie dans les tranchées de 14. C'est son âme qu'elle a perdue, rien de moins.
Cela ne signifie pas qu'il n'y ait de Français que paysans. Il y a les artisans, les ouvriers, les commerçants, les intellectuels, les nobles. Mais, sans paysans, la France n'est plus la France.
C'est la continuité avec les Gaulois que nous avons perdue. Certains égarés croient que le christianisme est coupable, pour avoir supplanté le paganisme, mais, en réalité, la continuité du mode de vie et des comportements n'a été pas rompue. Certains cultes païens ont été christianisés, ce n'est pas du vol, c'est justement l'expression de cette continuité de la vie paysanne.
En 60 ans, nous avons brisé une transmission de trente siècles. C'est notre drame.
Très bonne analyse. La guerre de 14-18 a été un coup terrible contre la France, mais la révolution de 89 avait commencé le travail sur le plan culturel et "sociétal". Maintenant on passe dans une autre France, mêmes frontières mais toutes ces racines disparaissent peu à peu, les fondations ancestrales s'effondrent. Il n'y a plus de continuité, mais des ruptures, multiples, pointant pratiquement toutes hélas dans des directions dangereuses.
RépondreSupprimerUn livre indispensable que j'ai lu à sa parution et que vous me donnez envie de relire. Bravo pour votre analyse!
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