vendredi, novembre 15, 2024

Charles de Gaulle : L'angoisse et la grandeur (Arnaud Teyssier)

L’intérêt de celle d’Arnaud Teyssier, c’est qu’il a compris que de Gaulle avait un côté poétique, un peu fou, et que ça faisait sa singularité.

L'énigme des anti-gaullistes

Les anti-gaullistes (il en reste beaucoup) sont des crétins. Mais pourquoi ?

Je mets à part les nostalgiques de l’Algérie française incapables de surmonter leur sentimentalisme.

Pour moi, c’était simple. Pétain avait exposé une vision politique dans son discours du 17 juin 1940, de Gaulle avait exposé une vision opposée dans son appel du 18 juin 1940. La suite avait donné tort à Pétain et raison à de Gaulle, point par point. Pétain et les anti-gaullistes avaient tort, de Gaulle et les gaullistes avaient raison. Affaire réglée.

Alors pourquoi cette persistance des anti-gaullistes ? Je pense que c’est le côté poétique, fou, qui irrite. Les anti-gaullistes prennent cela pour du mensonge, ce n’est pas totalement faux. C’est pourquoi ils traquent minutieusement ce qu’ils considèrent comme les mensonges gaulliens, sans comprendre que l’esprit est juste (la France a été militairement écrasée en 1940 mais c’était faux de croire cet état définitif. Donner aux Français des raisons de croire en eux-mêmes, à la France une motivation pour se redresser).

Les anti-gaullistes reprochent à de Gaulle de se prendre pour Jeanne d’Arc alors que les gaullistes s’en félicitent. Quand les anti-gaullistes sont catholiques, ils sont doublement crétins : ne pas croire aux miracles, rejeter notre dirigeant le plus catholique depuis Louis XVI.

En fait, l'anti-gaulliste est incapable d'élévation, est irrité par Don Quichotte. Bref, on y revient, c'est un crétin. L'anti-gaulliste aurait trouvé en 1429 que Jeanne d'Arc en faisait trop et qu'il valait mieux se débarrasser de cette bergère surexcitée et s'arranger avec les Anglais.

Quand à la prétention des anti-gaullistes à la vérité, c'est toujours le même cinéma. Dès qu'on leur met le nez dans leur caca, ils se braquent. J'ai démonté récemment sur Touiteur  la légende noire de « de Gaulle, sous-marin des communistes » auprès d'un anti-gaulliste : il m'a bloqué. Les anti-gaullistes sont largement irrationnels, leur refus de l'élévation est psychologique, mais ce n'est pas à moi de les psychanalyser.

Bref, au fond, l'anti-gaulliste prend le gaullisme pour un reproche personnel. Est-ce justifié ? Je ne sais pas, je ne sonde pas les reins et les cœurs.

Folie et raison

Comme Teyssier a bien compris que, dans les moments tragiques de l'histoire, la folie à court terme (partir tout seul à Londres) est la raison à long terme (parier sur une guerre mondiale), son de Gaulle se tient bien.

Un militaire anti-militariste

C'est un point qui m'amuse beaucoup. Teyssier n'y insiste pas. De Gaulle était un militaire antimilitariste. Il voyait l'armée comme une grande chose mais ne débordait pas d'estime pour  les militaires.

On connait dans Le fil de l'épée « Parfois, les militaires, s’exagérant l’impuissance relative de l’intelligence, négligent de s’en servir. » Ou, lors du putsch d'Alger « Vous ne les connaissez pas, ce sont des militaires, ils vont s'embrouiller » (ce n'était pas mal vu).

Il faut dire que, quand on a affaire à des ânes bâtés comme  Gamelin, Weygand, Giraud, ça n'incite pas à l'estime. Et puis, les militaires sont par nature étroits d'esprit (la largeur d'esprit est la porte ouverte à l'indiscipline, De Gaulle en étant lui-même un. exemple). Tous les militaires ne sont pas Lyautey. 

Le CNR expliqué

Certains croient encore que de Gaulle était juste un ambitieux voulant le pouvoir. C'est un manque de discernement peu commun : dans ce cas, de Gaulle aurait couru à Vichy, comme tant d'autres, et non à Londres.

Teyssier fournit l'explication la plus claire du Conseil National de la Résistance que j'ai lue.

La création du Conseil National de Résistance (CNR) s'inscrit dans  l'obsession gaulliste depuis juin 1940 (sûrement un peu avant le 18 d'ailleurs) : rétablir l'Etat pour rétablir la souveraineté de la France.

De Gaulle a donc besoin qu'à la Libération, il y ait une parfaite continuité de l'Etat, afin que personne (Américains, communistes, vichystes repentis -Laval avait des idées en ce sens, Herriot aussi, ...) ne puisse profiter de ruptures dans le service pour brader la souveraineté française.

A l'extérieur, cette fonction est remplie par le Comité Français de Libération Nationale (CFLN) algérois, qui deviendra juste avant le débarquement le Gouvernement Provisoire de la République Française (GPRF).

Mais, Alger, c'est de l'autre côté de la Méditerranée (si, si).

De Gaulle a besoin d'un pendant en métropole. C'est le CNR. Pour assurer, cette continuité de l'Etat non-partisane, il faut inclure large, d'où les communistes (ce que ce des crétins ne comprennent toujours pas) et les anciens partis (Pierre Brossolette ne l'a pas compris). Seuls exclus : le PSF (les Croix de Feu), et encore, après débat.

Jean-François Revel, jeune courrier de la Résistance (et futur pédophile, mais c'est une autre histoire), s'est plaint de trimballer à ses risques et périls des documents abscons sur des études fumeuses. Mais c'est dans la culture étatique d'aimer le papier et les études fumeuses.

Teyssier a bien compris que les anti-gaullistes de cette époque ont la nostalgie de la IIIème république et se défie du pouvoir exécutif, comme si la défaite n'avait pas été causée par l'impéritie du régime, ce qui témoigne chez ces gens très « intelligents » d'une singulière cécité.

Il estime que les anti-gaullistes sont tout simplement des conservateurs au sens péjoratif, qui ont horreur du changement et veulent conserver à tout prix leur position dominante. Comme la bourgeoisie est la classe bavarde, ils habillent leur égoïsme d'une logorrhée de « bonnes » raisons. Un Michel de Jaeghere (du Figaro) en est aujourd'hui un parfait exemple.

Teyssier, en s'appuyant sur la correspondance de Morand et de Chardonne, tous deux anti-gaullistes virulents, rend son verdict : au fond, ce que les anti-gaullistes détestent, c'est le pouvoir politique. Ils préfèrent toujours Retz, qui a écrit des mémoires superbes mais a échoué dans tout ce qu'il a fait, à Mazarin et à Richelieu.

Mitterrand a détruit la Vème république pour la même raison. Et la tantouse perverse Macron n'est pas autre chose : ce vrai psychopathe aime le pouvoir personnel et sadique, le pouvoir d'arracher les ailes des mouches et de faire souffrir les Français, mais le pouvoir politique, il s'en abstient complètement, il s'en débarrasse, il le délègue à von der Leyen, à Bruxelles, à Berlin, à Washington, à Doha, à la terre entière, mais il ne s'en empare surtout pas.

Le comportement de Jean Moulin est remarquable en sens inverse : il a tout de suite compris l'essence du gaullisme, ce qui est très étonnant chez ce préfet du Front Populaire (mais le gaullisme ne sortait pas de nulle part, il est issu de réflexions des années 30 que Jean Moulin connaissait). Les crétins anti-gaullistes (c'est le fil rouge de cette recension !) expliquent cela par le fait que Moulin aurait été agent soviétique, pure calomnie (ces gens sont décidément très bêtes, emportés par leur passion fausse) que rien n'a jamais confirmée (ni dans ses décisions, ni dans les archives soviétiques).

De Gaulle est un étatiste qui vit dans l'angoisse d'une défaillance de l'Etat. Il est étatiste non en théorie mais par réalisme pour la France : il considère que les Français ont une longue habitude de se reposer sur l'Etat, qui remonte à des siècles et qu'il est idiot de faire comme si ça n'existait pas.

Burnham

James Burnham est connu pour avoir théorisé dans les années 30 que les citoyens et les actionnaires seraient dépossédés de leur pouvoir et soumis à des technocrates-techniciens, les managers, aussi bien dans les démocraties que dans les pays totalitaires.

En 1943, comme Walter Lippmann 20 ans avant, il a écrit un livre The machiavellians, pour dire que les apparences de la démocratie devait être sauvegardées, mais seulement les apparences.

Il était aussi un agent de la CIA, qui a écrit une note sur le RPF (Rassemblement Pour la République), le parti gaulliste. Il a même publié un livre d'entretiens sur de Gaulle avec Malraux en 1948, The case for de Gaulle.

Et, en contrepartie, ou en parallèle, il écrit quelques articles pour la revue du parti. Il est très probable que de Gaulle les a lus.

La pratique du pouvoir (chrétienne)

La pratique du pouvoir gaullienne est aux antipodes de celle des minus comme Sarkozy ou Macron. Il délègue beaucoup, peut-être trop, et tranche quand l'essentiel est en jeu.

Sans doute, par exemple, a-t-il regretté d'avoir trop délégué les questions éducatives.

On en revient à la conception du pouvoir : les successeurs de de Gaulle depuis Giscard cherchent tous dans le pouvoir une flatterie de leur ego problématique, et non un service.

Or, la conception chrétienne du pouvoir comme service, et même comme sacrifice, est la seule vraiment féconde (elle est l'un des facteurs qui expliquent que le développement se soit produit chez nous et pas ailleurs).

On a un enregistrement de De Gaulle discutant avec ses subordonnés, ce n'est du tout « starteup nèchione ».

Le révolutionnaire De Gaulle

Teyssier a bien compris la nature révolutionnaire du gaullisme par rapport à ce qui se pratiquait depuis la chute du second empire, c'est-à-dire un régime bourgeois faussement démocratique (« La démocratie, c’est ce régime où les démocrates décident qui a le droit d'être élu » Charles Maurras).

J'ai déjà traité de ces aspects dans deux billets (et, en plus, deux livres de Teyssier) :

De Gaulle 1969. L'autre révolution (A. Teyssier)

Deux tiers des articles de la constitution ont été révisés, avec des conséquences très lourdes, plus diverses décisions gravissimes, absolument contraires à la volonté gaullienne, du conseil d'Etat et du conseil constitutionnel. Il est donc de mauvaise foi d'accuser De Gaulle d'avoir fait une mauvaise constitution en jugeant son fonctionnement actuel.

Le côté révolutionnaire d'un exécutif fort en prise direct avec le peuple a été totalement effacé par les petits hommes gris. Le régime des partis a reparu pire que jamais.


Par rapport à De Gaulle, Pompidou était dépourvu d'intuition. Ce qui fait que les textes du « vieux » De Gaulle paraissent plus actuels que ceux du « jeune » Pompidou.

Mai 68, c'est la victoire de la bourgeoisie sur le peuple. Certains l'ont compris immédiatement ("Je vous hais chers étudiants" : quand Pasolini fustigeait Mai-68).




6 commentaires:

  1. Il me semble que De Gaulle aimait lus l’état français que la population française.
    A quoi bon les envolées sur la France quand la population ne s’y retrouvait maternellement pas.

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  2. Bonjour, j'avais l'habitude de vous suivre sur Twitter où j'appréciais beaucoup vos interventions. Il me semble que votre compte a sauté à un moment et je ne vous ai jamais retrouvé.

    Je comprends à la lecture de cette recension que vous restez actif sur ce réseau. Pourriez-vous m'indiquer où vous suivre à nouveau sur Twitter ?

    Merci.

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  3. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  4. (typo)
    Il y a une chose qui m'interroge concernant De Gaulle : l'a-t-on jamais entendu faire un commentaire, ou porter un jugement sur le communisme, et sur le régime soviétique ? Je pose la question en toute honnêteté, sans porter de jugement sur l'homme qu'il fut, et indéniablement un homme d'une trempe supérieure. Mais vraiment, pourquoi avoir porté Thorez au gouvernement ??? Ca vraiment, ça me dépasse.

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  5. Merci pour cette analyse qui me donne une nouvelle fois l'envie de lire ce livre. Surprise d'y lire votre allusion à la pédophilie de J.F. Revel (sources ?) - que j'aimais beaucoup lire - dont je n'avais jamais lu ou entendu parlé.

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  6. Troublé par votre mention de J.F. Revel, j'ai trouvé sur internet un article de Henri Astier et Pierre Boncenne, qui démonte une "enquête" de Libération. J'ai lu les mémoires de J.R. Revel, excellent livre, et honnêtement il me semble impossible qu'il ait eu ce penchant criminel.

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