Goutard démontre les fautes du commandement français.
Il se laisse complètement avoir par la comédie hitlérienne, il croit que Hitler a été désagréablement surpris par l'entrée en guerre de l'Angleterre (Adam Tooze a depuis prouvé que l'Allemagne a provoqué la guerre pile-poil au moment optimal du point de vue de la politique d'armement).
Mais son analyse militaire reste juste.
La guerre-éclair a besoin d'ennemis complaisants
La guerre-éclair ne fonctionne que face à des ennemis qui se laissent impressionner par la vitesse et prennent de mauvaises décisions.
Dès que l'ennemi prend les bonnes décisions, les faiblesses de la guerre-éclair, notamment logistiques, deviennent rédhibitoires.
Moscou 1941, Caucase 1942, Koursk 1943, Ardennes 1944 : quand l'ennemi ne se laisse pas gentiment encercler, la guerre-éclair patine.
Au moins deux scénarios auraient pu mettre les Allemands dans une merde noire :
> fermeture de la percée de Sedan envisagée par Gamelin le 15 mai 1940 mais qu'il n'a pas su ordonner.
> la retraite générale au-delà de la Méditerranée, façon Lanrezac en 1914 sauvant l'armée française après le désastre de Charleroi en ordonnant la retraite générale.
Les Allemands seraient vite tombés en panne d'essence et de munitions. Fin mai, leur logistique était au bord de la rupture.
Le refus obstiné, buté, actif, de tirer les leçons de la campagne de Pologne nous a été fatal (« Ce qui s'est passé dans les grandes plaines de l'est n'est pas applicable à la France »).
À propos d'une éventuelle percée par les Ardennes, Pétain avait dit « Nous les repincerons à la sortie ». Très bien, pourquoi pas ? Encore fallait-il avoir prévu les moyens de les « repincer ».
C'est une faute professionnelle sans excuse de ne pas avoir gardé une réserve, c'est symptomatique de la baisse de qualité du commandement français. Même dans les moments les plus tendus entre 1914 et 1918, l'armée française a eu toujours une armée en réserve. Débarquant au Quai d'Orsay le 16 mai 1940, Churchill demande dans son français pittoresque à Gamelin « Où est la masse de manœuvre ? » et celui-ci répond « Il n'y a en pas ». Churchill écrira que ce fut une des plus grandes surprises de sa vie. A partir de là, la confiance est rompue, à raison, et les Anglais décident de faire cavaliers seuls.
Les pétainistes l'ont beaucoup reproché aux Anglais, mais il faut un sacré culot pour reprocher à des alliés de perdre confiance en un commandement qui se retrouve à poil au bout de 5 jours de bataille, surtout quand les gens qui font le reproche sont ceux-là mêmes qui ont provoqué cette perte de confiance par leur légèreté bornée.
Par moments, le trou entre les Panzers et l'infanterie qui suivait à pied était de plus en 50 km. Si l'armée française avait occupé cet espace, la situation allemande serait devenue très périlleuse (l'état-major allemand était mort d'inquiétude). Et ce trou était connu du GQG (mais peut-être pas bien appréhendé) : la percée ennemie se déroulait en territoire français, devant le bordel ambiant, les préfets téléphonaient directement à Vincennes pour décrire ce qu'ils voyaient.
Entre le 12 mai (début de la percée allemande à travers les Ardennes) et le 20 mai (Rommel atteint la Manche), les Français (et les Anglais) ont eu chaque jour une occasion de mettre en grande difficulté les Allemands, ils n'ont su en saisir aucune.
Les visiteurs des quartiers-généraux (pour simplifier, il y a trois GQG : c'est très IIIème république, ne faire de peine à personne) décrivent tous la même atmosphère, mélange de fébrilité, d'apathie et de désordre. Le diagnostic n'est pas difficile à poser : il manquait un chef.
Le commandement français de 1940, chaque fois qu'il a eu le choix entre regrouper nos forces et les disperser, a choisi, pour notre malheur, la seconde option. On ne se remet pas d'être dirigé à la guerre par des cons.
Gamelin et Weygand
Les subordonnés de Gamelin l'avaient surnommé « Baudelaire », car on disait que toute sa doctrine se résumait dans le vers : « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ».
Le problème de Gamelin se lit dans son vocabulaire : « Je regrette », « Je déplore », « Je préconise », « Sans vouloir intervenir dans la conduite de la bataille en cours… ». Imagine-t-on Turenne ou Bonaparte, ou même Foch, parlant ainsi ?
Il a un côté François Hollande ou Emmanuel Macron : commentateur désabusé de catastrophes qui relèvent entièrement de sa responsabilité.
On a opposé le caractère de Gamelin et son intelligence. Mais, s'il avait été si intelligent, il n'aurait pas engagé toutes les réserves de l'armée française en Belgique.
Seulement voilà : il était l'homme qui murmurait à l'oreille des ministres et des parlementaires, le général de Daladier, un militaire comme la raie-publique radicale et franc-maçonne les aime, faussement martial et vraiment mou.
Son remplacement, le 17 mai, au plus mauvais moment, fait perdre deux jours précieux. Même son limogeage aura porté malheur à la France.
En choisissant de résister sur la Somme, Weygand, lui, rend la défaite inéluctable et il le sait, il le fait exprès, par peur d'une révolution communiste, son obsession de minable petit-bourgeois. C'est une trahison pure et simple qui, dans tout pays qui se respecte, lui aurait valu d'être fusillé séance tenante. Il n'a échappé à un procès mérité à la Libération que parce qu'il y avait déjà trop de procès. De Gaulle a eu entièrement raison de lui refuser les obsèques nationales.
Comme tous ceux qui ont étudié sérieusement la situation (dont De Gaulle lui-même en 1940), Goutard n'a guère de doutes que la poursuite de la guerre outremer était possible. Il y a eu des livres et des bandes dessinées, fort bien faites, basés sur ce scénario.
La Marine Nationale et la Royal Navy étaient intactes. Les dépôts de matériel regorgeaient d'avions prêts à l'emploi que les Allemands trouveront, à leur grand étonnement, eux aussi intacts. Si l'ordre avait été donné à l'armée française d'organiser la retraite générale, il serait trouvé des bonnes volontés pour s'en occuper. L'opération Dynamo a évacué de Dunkerque plus de 300 000 hommes (sans leur matériel) en 10 jours, il était donc tout à fait possible de transférer la majeure partie de l'armée française en Afrique du Nord si les soldats avaient senti une volonté de fer dans le commandement.L'élection présidentielle américaine était en septembre, Roosevelt réélu, comme il était prévisible, l'aide aurait afflué (contres espèces sonnantes et trébuchantes).
Bref, si l'analyse de Goutard pèche politiquement, il démontre que, militairement, le commandement français, entre le 10 mai 1940 et le 10 juin, a laissé échapper de vraies occasions de transformer le coup d'audace allemand en désastreuse aventure.
Notre malheur a voulu que nos plus grands militaires, Pétain et Weygand, fussent des traitres défaitistes qui méritaient 12 balles dans la peau (les nostalgies pétainistes de certains cons en 2025 sont tout à fait ridicules). Ils se sont employés à saper la volonté des politiciens, déjà pas bien vaillante (Reynaud est un faux dur), qui était initialement de continuer le combat .
Imaginez la situation inverse : un commandant en chef qui se bat (donc, ni Gamelin, ni Weygand) et qui dit aux politiciens fin mai : « Il est possible de passer 600 000 hommes en Afrique du Nord avec une partie de leur matériel ». Croyez vous que le gouvernement l'aurait refusé ?
Une des explications possibles à cette nullité crasse de nos généraux est peut-être toute simple (hypothèse à vérifier) : l'armée française de l'entre-deux-guerres n'attirait plus l'élite de la nation (Gamelin était major de Saint-Cyr, mais est-ce un gage de qualité suffisant ?).
Après tout, Leclerc et Juin sauront prouver, par leurs capacités manœuvrières (exceptionnelle chez Leclerc) que toute intelligence n'était pas perdue dans l'armée française.
Concluons sur une note positive qui illustre le fossé entre Juin et Gamelin. Au début de l'attaque du Garigliano, les Français butent très durement sur la défense allemande. Juin hésite à faire cesser l'attaque et à ordonner le repli. Que fait-il ? Il se porte sur le front et discute avec les blessés qui redescendent de première ligne. Et ordonne la continuation de l'attaque.
A Alesia, lorsque les Gaulois ont failli percer, qu'a fait Jules César ? Il est allé en première ligne avec sa cape rouge, que toutes les légionnaires connaissaient, et les Gaulois ne sont pas passés.
Voilà ce que Gamelin n'a pas fait (pas la peine de parler de Weygand, décidé à rendre les armes).
Deux billets sur cette période :
La défaite française, un désastre évitable (J. Belle)


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