jeudi, février 09, 2006

Outreau, troisième acte : un procès stalinien

«Quand les Fouquier-Tinville de notre temps, traquant un juge, se seront tus, on pourra raison retrouver»
[09 février 2006 Le Fuigaro]
Après les palais de justice de Saint-Omer et de Paris, c'est le Palais-Bourbon qui a pris le relais dans la sinistre affaire d'Outreau. C'est maintenant l'Assemblée nationale qui entend juger celle-ci. Or, quelles qu'aient pu être les fautes commises – et elles semblent être nombreuses –, il n'appartient pas à une commission d'enquête parlementaire de se comporter, après tant de drames, comme une juridiction exceptionnelle, comme un tribunal de salut public. S'il devait y avoir des sanctions, c'est dans un tout autre cadre, celui de l'institution judiciaire, qu'il serait convenable de se prononcer : Conseil supérieur de la magistrature, propre aux magistrats, ou encore des tribunaux.

Bien sûr, l'Assemblée nationale peut instituer des commissions d'enquête, s'informer du fonctionnement de la justice – au pénal comme au civil –, recueillir des opinions et des témoignages et en tirer des conclusions en vue d'améliorer le fonctionnement de la justice.
Mais, hors les cas où le Parlement est appelé à instituer, en son sein, des juridictions afin de juger, à certaines conditions, des ministres (cour de justice de la République), voire tel président de la République (Haute Cour de justice), il ne saurait, sans atteinte à la liberté, se comporter à l'égard des citoyens comme une juridiction. C'est pourtant ce dont il nous offre aujourd'hui le spectacle consternant.

Pareille exhibition déshonore ceux qui l'ont permise, décidée, et ceux qui l'animent aujourd'hui. Un juge à qui les victimes demandent des «excuses» et les députés des «explications». Un coupable présumé dont on réclame l'aveu... sinon il sera coupable. Des auditions à la chaîne, en forme de «comparutions», sans débat contradictoire. Le tout en public, retransmis par les médias qui auront été, de bout en bout, un peu trop au spectacle. Un accusé livré à la foule des téléspectateurs qui l'a déjà jugé.

Qui s'élève contre cette atteinte à la justice, à son autorité, à sa dignité ? Ni la plupart des avocats que l'on croyait si attachés à la passion de défendre, ni les plus hauts magistrats de France, ni l'opinion publique, manipulée depuis le premier jour, aussi prompte à s'en prendre aux juges qu'elle l'avait été d'abord à crier haro sur les coupables. Ni les gouvernants que les sondages poussent toujours à la repentance. Tout cela pour aboutir à un procès de type stalinien dont personne, ni les députés de tous bords ni les citoyens, juges ou justiciables, ne sortira grandi.

Quand tout cela sera rentré dans l'ordre et que les Fouquier-Tinville de notre temps, traquant un juge, se seront tus, on pourra raison retrouver. Ce jour-là, il sera possible d'apporter enfin au système judiciaire les changements nécessaires. Y compris quant au rôle des médias, à l'image des Anglais, et quant à l'isolement des jurés, à l'image des Américains. Sans oublier les pédagogues, les psychiatres et les assistantes sociales.

Pour l'heure, une suggestion apparemment mineure revient à l'esprit, bien qu'elle ait été rejetée dans le passé par les pouvoirs publics. Elle conduirait à ne plus placer la fonction de juge d'instruction en début de carrière et à la situer à mi-chemin, quitte à modifier la pyramide judiciaire des groupes et des grades, des fonctions et des indices. Ce ne serait pas faire injure aux jeunes magistrats. Ce serait mieux assurer leur formation permanente en alliant l'âge à l'expérience, plutôt que leur faire assumer, seuls, des responsabilités qui, au-delà même de leur profession, nous concernent tous.

3 commentaires:

  1. Pour une fois, je ne suis pas d'accord avec vous : vous parlez de ce que vous ne connaissez pas. Outre le fait que la commission a rapellé a plusieurs reprises qu'elle n'était pas là pour juger ni prononcer des sanctions, il est indispensable que les citoyens prennent consciencer de ce à quoi ils peuvent être confrontés : un juge inexpérimenté, sans aucun doute arrogant à l'époque, pétri de ses certitudes, n'hésitant pas à dire et redire que tout le monde l'avait suivi et qu'il n'était pas seul, ne manifestant aucun remords et mentant sans vergogne.
    Oui, il a menti : il suffit de connaître le fonctionnement de la justice pour le savoir. Ca existe, les juges d'instructions qui intimident, qui instruisent à charge uniquement, qui refusent d'accorder quelque crédit que ce soit à la parole des mis en cause, qui rejettent les demandes de avocats qui sont perçus comme des emm...
    La justice notre pays est fichue, les juges n'hésitent plus à violer les règles de droit les plus établies pour juger suivant leur conscience.
    Je sais de quoi je parle, je suis avocat...

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  2. Il me semble qu'il y a malentendu : ce que je conteste, c'est l'audition publique sous l'oeil des caméras.

    La démocartie "médiatique" n'est pas la démocratie.

    Pour le reste, vous avez raison, je ne suis pas compétent.

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  3. Je n'ai bien sûr pas regardé les 7 heures d'audition. Le peu que j'en ai vu m'a cependant conforté dans l'idée que le juge était jugé, et qu'on voulait sa tête.
    Remettons les choses dans leur contexte :
    Un jeune homme de 34 ans, qui, dans l'exercice de ses fonctions, mais en utilisant le pouvoir qu'on lui a donné, a commis des erreurs aux conséquences gravissimes.
    On amène ce jeune homme à l'Assemblée Nationale, devant des députés de tous bords, avec les caméras et ses "victimes". On lui précise qu'il n'est pas là pour être jugé, cependant, il est accompagné de 2 avocats. On lui pose de multiples questions, toutes plus accusatrices les unes que les autres, certaines n'ayant, à mon sens, aucun rapport avec le but visé officiellement, à savoir l'amélioration du système (comment expliquer la question d'un député voulant savoir si le juge avait déjà visité une prison où des accusés pour pédophilie étaient retenus). On le harcèle d'autant plus qu'on le sent mal à l'aise. Que sait-on de plus après cette audition qu'on ne savait pas avant?
    Je vais vous le dire : Que cet homme est aussi perdu que terrifié.
    Est-il coupable? Là n'était pas la question.
    Tout ceci ressemblait à une foire.

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