Quand je vous dis qu'on connaît les réformes à faire, qu'il ne manque que la volonté, en voici un exemple.
Belle-Ile ou Saint-Affrique ?, par Guy Vallancien
LE MONDE | 16.01.06 | 13h43 • Mis à jour le 16.01.06 | 13h43
Les habitants de Belle-Ile, de Sein, d'Ouessant, de l'île d'Yeu vivent l'hiver dans des conditions météorologiques parfois exécrables, sans accès proche à un service de chirurgie ou à une maternité. Les a-t-on déjà entendus taper du tambour et faire la "une" des médias pour réclamer des moyens chirurgicaux sophistiqués sur place ? Jamais ! Dans les îles du Ponant, les médecins savent gérer la petite urgence, sont équipés en matériel de base pour assurer les premiers soins tels que les sutures de plaies superficielles, les immobilisations de membres, placer une perfusion, commencer une réanimation et aider à l'accouchement s'il se produit plus vite que prévu. Par très gros temps, la marine nationale peut être mise à contribution. A Yeu (35 000 personnes l'été) et Belle-Ile (50 000) fonctionnent des hôpitaux locaux adaptés à l'insularité mais sans service de chirurgie. Bateaux (entre 30 minutes et une heure) et surtout hélicoptères (entre 7 à 15 minutes) assurent le relais vers le continent et ses hôpitaux. Les maires, les médecins, les infirmières ainsi que la population se sont organisés pour maintenir une médecine de proximité efficace associée à un transport rapide en cas de problème aigu et grave sans que personne s'en plaigne.
Sur le continent, la pratique locale est inverse : malgré un constat sévère de l'Inspection générale des affaires sanitaires, on laisse fonctionner un service de chirurgie dans une petite ville où un seul praticien présent assure à l'année une production chirurgicale minimale, alors qu'à une demi-heure de là un autre hôpital où exercent 6 chirurgiens à l'activité opératoire 15 fois supérieure répond à la demande chirurgicale du bassin de population grâce à une route praticable toute l'année.
Les petits hôpitaux qui tentent de préserver leur service de chirurgie recrutent parfois des chirurgiens à la formation incertaine, à la pratique hésitante, aux complications et reprises opératoires anormalement nombreuses, mais on le tait. Certains de ces chirurgiens sont de véritables barbiers ambulants qui vont de ville en ville, mais on passe outre.
On relève aussi des drames dans les plus grands centres hospitaliers, universitaires y compris. Mais on sait, preuves scientifiques à l'appui, qu'une pratique chirurgicale en dessous d'un certain seuil et d'une certaine qualification est une facteur déterminant d'augmentation de la mortalité et de la morbidité opératoires. Les petits hôpitaux cumulent les handicaps : ils ont du mal à recruter les chirurgiens les plus qualifiés et ils les laissent opérer seuls, sans l'avis ou l'aide possible d'un collègue en cas de difficulté. Nous avons tous eu besoin un jour de cette aide face à une situation imprévue.
Faut-il redire qu'il n'y a pas de "petite chirurgie" ? Doit-on accepter qu'un chirurgien réalise par an seulement une dizaine d'interventions majeures grevées d'un taux de complications nettement au-dessus de la moyenne ? La réponse est non, trois fois non. Les soi-disant réseaux qui consistent à faire venir un chirurgien pour opérer de temps à autre sont une solution bâtarde et à risque, car il ne suffit pas de bien opérer, encore faut-il s'entourer d'anesthésistes, d'un personnel paramédical rodé pour les suites opératoires et d'un autre chirurgien sur place capable d'assurer les complications éventuelles. La chirurgie est un métier d'équipe. Dans ce domaine très particulier de la médecine, proximité ne rime pas avec sécurité.
Combien faudra-t-il d'estropiés et de morts en plus sous prétexte de préserver l'emploi local et le lien social ! La chirurgie française est ainsi à multiple vitesse selon la porte à laquelle vous frappez pour vous faire opérer. Une telle situation profondément inique traduit la plus grave des inégalités devant la maladie ou les accidents, car légalement rien ne se voit. Le maire est content de préserver un service de chirurgie de proximité, le directeur de l'hôpital a sa liste de garde remplie, pendant que les plus avertis des habitants du lieu fuient l'établissement et vont se faire opérer ailleurs. Ce sont les plus vieux et les plus pauvres qui pâtissent de cette situation car ils ne sont pas informés et craignent de quitter leur environnement. Une hospitalisation en chirurgie dure actuellement environ 5 à 6 jours, et les petits gestes peuvent être réalisés en ambulatoire ? L'argument de l'isolement des personnes âgées pendant leur séjour dans un hôpital lointain ne tient pas si on organise (voilà une attitude solidaire !) la visite de leurs familles et amis pour les soutenir. Les arguments géo-climatiques des risques du transfert liés aux intempéries et aux difficultés de circulation sont contredits par l'expérience des îliens et des montagnards (Chamonix a fermé son service de chirurgie sans plus de risques pour les habitants de la vallée). Combien de temps cet aveuglement et cette omerta vont-ils durer ?
Une vraie politique de santé publique passe d'abord par la garantie que chaque Français puisse subir une opération dans une structure de soins dotée d'un personnel médical et paramédical entraîné à la chirurgie, en nombre suffisant, équipée d'un matériel adapté et respectant les règles de stérilisation modernes. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, même si certains maires ont investi à tour de bras pour tenter de conserver contre vents et marées les salles d'opération de leur hôpital. Il est grand temps de modifier cet état de fait lamentable avec pédagogie en expliquant les enjeux aux populations et en médiatisant les restructurations qui fonctionnent bien comme à La Mure, Valogne, Montaigu ou dans de nombreuses autres petites villes dont on ne parle jamais parce que le sang n'y coule pas ! Le courage politique nécessite d'adapter la carte chirurgicale française région par région sur la seule base de la qualité médicale et non sur celle des échéances électorales et des manifestations de rue.
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Guy Vallancien est chirurgien, professeur à l'université René-Descartes, Paris-V.
Cet article est un scandale ! Depuis quand les chirurgiens sont-ils à même de critiquer l'organisation des services hospitaliers et de juger la qualité des actes chirurgicaux de leurs confrères ?
RépondreSupprimerLa médecine est un service public ! C'est aux politiques de décider !
Meuh non, j'déconne.
RépondreSupprimerVous savez qu'il y a des gens qui pensent que la médecine est réellement un service public ?
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