Je crois vous avoir déjà expliqué tout ce que l'expression "défense du service public" a de mensonger, mais au cas où vous n'auriez pas compris j'en repase une couche ...
La vérité cachée du service public
C'est le ferment des dernières grèves à la SNCF, à la RATP, à l'école. C'est aussi sans doute le motif des prochains mouvements. C'est même, selon certains, l'explication ultime du « non » français au projet de Constitution européenne, qui restera comme l'événement politique majeur de l'année écoulée. Quelle est cette cause suprême ? La défense du service public. Quand une expression prend une telle importance, il est essentiel de savoir de quoi il s'agit. Prenons donc le Robert, toujours à portée de main sur le bureau. Surprise ! Le « Petit Bob » perd ici sa simplicité. Il définit, en effet, le service public comme une « fonction d'utilité collective, sociale ; activité organisée qui la remplit ». Cette nébulosité ne vient évidemment pas du couple Rey, qui pilote le célèbre dictionnaire, mais du concept lui-même.
Un coup d'oeil à Wikipédia confirme la difficulté : « Est service public ce que la puissance publique définit politiquement comme tel. » Inutile d'espérer une traduction éclairante dans une langue étrangère, comme c'est parfois le cas : l'encyclopédie en ligne sur Internet précise en préambule que « tout ou partie de cet article est franco-centré ». Ce que confirment les innombrables débats sur la question à Bruxelles, qui ont tourné au martyre de coléoptères avant d'aboutir à la formulation plus restreinte de « service d'intérêt économique général » (mentionnée dans les articles 16 et 82 du traité instituant la Communauté européenne).
Commençons donc par défricher le terrain. Le service public n'est pas le secteur public, qui regroupe les administrations, les collectivités locales et les entreprises contrôlées par l'Etat (un peu plus de 1.500 en 2003, avec 1,1 million de salariés, notamment La Poste et la SNCF). Il n'est pas non plus le service du public - ça se saurait. Il ne se définit pas plus par la gratuité de ses prestations. Laissons de côté les fonctions dites « régaliennes » de l'Etat (police, justice, armée), activités publiques par excellence - bien qu'elles puissent être assurées par le privé (gardiennage, arbitrage, mercenaires...). Ecartons également, même si c'est plus contestable, l'éducation, la santé et le logement. Les problématiques de ces domaines dépassent largement le service public. Rappelons également que certains services publics peuvent être délégués au privé - c'est le cas, par exemple, de la gestion de l'eau.
Centrons-nous sur ces fameux « services d'intérêt économique général ». Dans son Livre blanc de mai 2004, la Commission explique qu'il s'agit de services de nature économique (et non sociaux) soumis « à des obligations spécifiques de service public en vertu d'un critère d'intérêt général », une notion couvrant notamment « les grandes industries de réseau comme le transport, les services postaux, l'énergie et les communications ».
Les juristes ont beaucoup travaillé sur la notion. Dans les années 1930, l'un d'entre eux, Louis Rolland, a défini la spécificité du service public par trois critères : l'égalité, l'adaptabilité et la continuité. Le premier point ne porte guère à discussion. Le deuxième, lui, ne reflète pas la réalité. Au contraire, le changement est plus compliqué dans les services publics qu'ailleurs. Comme le rappelle l'un des premiers rapports du Conseil d'analyse économique (1), le téléphone, archaïque en France jusqu'à la fin des années 1960, s'est rapidement amélioré par la suite non par volonté d'améliorer le service public... mais pour développer une industrie puissante des télécommunications ! A la SNCF, les syndicats ont dénoncé la vente de billets par Internet. A la RATP, il est impossible de faire rouler des métros la nuit de samedi à dimanche, etc. Enfin, il pourrait paraître ironique de parler du troisième critère, la continuité du service, dans un groupe d'entreprises où les grèves sont plus nombreuses qu'ailleurs.
Les économistes ont, eux aussi, défini un critère justifiant un service public : le monopole naturel. Dans ce type de marché, une seule entreprise peut fournir l'ensemble de la demande à un prix moins élevé que plusieurs entreprises concurrentes. L'archétype était le phare. Las ! la technique détruit un à un ces fameux monopoles. La fonction du phare peut être assumée par un signal radio ou un système GPS. Le téléphone passant par le bon vieux fil de cuivre est concurrencé par le mobile, la boucle locale, Internet, le Wi-Fi... La route concurrence le rail, qui concurrence l'aérien avec le TGV.
Ne reste, au fond, qu'une seule justification du service public : une défaillance du marché pour la fourniture d'un service essentiel. Il s'agit ici de lutter contre l'exclusion, de favoriser la cohésion sociale, d'encourager un aménagement géographique équilibré. C'est le raccordement au réseau électrique d'une maison isolée au même tarif qu'un appartement, le maintien d'une ligne téléphonique pour un foyer démuni, la livraison d'une lettre dans une petite île à un prix raisonnable. Au politique de fixer la limite, en décidant par exemple le maintien ou non de 17.000 bureaux de poste au nom de la défense des campagnes.
Mais, pour beaucoup d'acteurs, des syndicats au gouvernement, il est dangereux de définir précisément le service public. Primo, il devient alors impossible de s'abriter derrière pour justifier des exceptions injustifiables : emploi à vie, concurrence supprimée, retraite précoce, politique industrielle masquée, cotisations sociales allégées. Secundo, des missions précises de service public permettent d'en chiffrer le coût et de le financer de manière transparente. C'est ce qui s'est passé avec le « service universel » assuré par France Télécom, sur appel d'offres, et payé partiellement par ses concurrents. A l'ouverture du capital en 1997, il a été chiffré à 5 milliards de francs (moins de 800 millions d'euros). En 2004, il est descendu à 33 millions d'euros, soit 0,07 % du chiffre d'affaires de l'opérateur !
Pour EDF, ce service public est plus élevé, compte tenu notamment de l'obligation d'acheter à bon prix l'électricité venant de certains producteurs indépendants. Mais, l'an dernier, son montant était tout de même limité à moins de 4 % de son chiffre d'affaires. Voilà la vérité que tiennent à cacher les soi-disant défenseurs du service public : sous un brouillard de mots et d'arguments, le service public n'est qu'une toute petite part de la réalité des entreprises qui l'assument.
JEAN-MARC VITTORI est éditorialiste aux « Echos ». jmvittorielesechos.fr
(1) « Service public, secteur public. Rapport du conseil d'analyse économique no 3 », Elie Cohen et Claude Henry, La Documentation Française, 1997.
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