Le beurre et l'argent du beurre
Jacques Marseille
En lisant le projet du Parti socialiste, Jean-Marie Le Pen a dû dire : « Bravo et merci ! » En effet, une des mesures phares de ce projet, appelée à jouer le même rôle d'appât que les 35 heures en 1997, est l'annonce d'un smic brut à 1 500 euros en cours de législature. Un chiffre hautement symbolique puisque 1 500 euros par mois correspond à peu près au niveau de vie moyen des Français (le salaire brut annuel moyen d'un employé est aujourd'hui de 1 650 euros, le salaire net d'un professeur des écoles est d'un peu moins de 1 600 euros).
Un smic à 1 500 euros, c'est une mesure qui « fait peuple » et fleure bon sa relance keynésienne du pouvoir d'achat, qui avait déjà échoué aussi bien en 1936 qu'en 1981. Mais c'est surtout une formidable gifle assénée aux classes moyennes, qui ont déjà largement perdu confiance en l'avenir et qui ont été les grandes victimes des politiques menées en France aussi bien par la gauche que par la droite. Il faut savoir en effet que depuis 1997 le niveau de vie des personnes les plus modestes s'est accru de 16,3 %, celui des personnes les plus aisées de 13 % et celui des catégories médianes, qui forment plus de 50 % de la population, de 8 % seulement.
Afficher un smic à 1 500 euros, c'est annoncer à ces catégories sociales que le travail, souvent rude, et l'investissement éducatif pour leurs enfants est un non-sens économique puisque le salaire du Français le moins qualifié, celui qui aura eu la « rationalité » d'arrêter précocement ses études, sera égal à celui que touchent la moitié des Français. C'est détruire les fondements d'une démocratie qu'avaient apaisée en leur temps le rêve et la possibilité d'ascension sociale par le travail et par l'étude.
50 milliards d'euros.
Ces classes moyennes, assez « riches » toutefois pour payer l'impôt sur le revenu et se voir écartées de tous les transferts et subventions accordées aux « pauvres », apprendront par ailleurs que ce projet, non réellement chiffré (mais qui « aime » ne « compte » pas) représenterait, selon Dominique Strauss-Kahn, un coût de 50 milliards d'euros. Il faut rappeler qu'en 1999 une note rédigée par la Direction de la prévision du ministère de l'Economie, des Finances et de l'Industrie, alors occupé par... Dominique Strauss-Kahn avait prévu que les 35 heures se traduiraient par un solde positif pour les finances publique de près de 3 milliards d'euros. On sait ce qu'il en coûta aux finances publiques !
Les 50 milliards avancés aujourd'hui par le Parti socialiste représentent le montant de l'impôt sur le revenu ou celui des intérêts de la dette. Mais qu'importe la dette quand trois membres du conseil national du Parti socialiste osent écrire dans Le Monde du 21 janvier 2006, avec un cynisme étonnant : « Les créances de la dette publique sont aux mains des rentiers. "Nos" enfants ne verront donc pas tout le poids de la dette peser sur leurs épaules fragiles. Certains paieront les intérêts de la dette, d'autres les encaisseront. Et avec une dette publique de plus de 1 000 milliards d'euros, cela représentera un sacré pactole pour tous les enfants de rentiers. » Un pactole qui, sans nul doute, s'accroîtrait au terme d'une législature socialiste.
Travailler plus. Il est vrai que les socialistes, qui recrutent largement dans les professions protégées (celles auxquelles ils promettent pour faire bonne mesure l'abrogation de la loi Fillon, la retraite à 60 ans et la généralisation des 35 heures), n'ont pas encore compris, contrairement à tous les autres socialistes du monde, que c'est le travail des uns qui crée le travail des autres et que travailler plus est aujourd'hui une nécessité économique. « Déjà, écrit Michel Winock (1), le raisonnement sous le Front populaire était de diminuer l'horaire hebdomadaire de travail (à 40 heures) pour partager le travail disponible, comme s'il s'agissait d'une quantité fixe. Nous savons depuis 1936 que la baisse des taux d'activité, loin de guérir le chômage, provoque une moindre croissance ou interdit la reprise. Au contraire, c'est dans les pays où la durée du travail et les taux d'activité sont élevés que le chômage est le plus faible. Les socialistes vont-ils continuer à promettre le beurre et l'argent du beurre ? »
Certes, les socialistes, après la défaite de Lionel Jospin en 2002, sont persuadés que pour gagner les élections il faut se « refaire une santé » à gauche. Une posture qu'incarne Laurent Fabius, le nouveau Gracchus Babeuf. Ce faisant, ils offrent un cadeau « royal » à Jean-Marie Le Pen, qui pourra recruter ses électeurs dans ce peuple exposé que les élites socialistes connaissent si mal.
On savait que la gauche française était la gauche la plus idéologisée du monde. On sait maintenant qu'elle est la plus aveugle ou la plus cynique. On préférerait la plus cynique. N'est-ce pas en effet le cynisme qui a permis à François Mitterrand d'atterrir en 1983 après avoir promis la lune en 1981 ?
1. « La gauche au pouvoir », de Michel Winock, avec Séverine Nikel (Bayard, 188 pages, 17 E).
© le point 15/06/06 - N°1761 - Page 42 - 833 mots
Ce commentaire pourrait paraître partial à certains car, en dépit du rappel sincère des faits, il émane d'une personne classée à droite.
RépondreSupprimerEn ce sens, pour ceux que la lecture du document comique du programme du PS semblerait rébarbative - j'exagère un peu, car il y a du bon, si si, au niveau institutionnel, comme le non cumul des mandats, mais cela reste du réchauffé - .
Donc si certains ne veulent pas considérer la critique de J. Marseille, il faut aller voir l'éditorial de L. Joffrin dans le Nouvel Obs de cette semaine ou celui de P.Y. Geoffard dans Libération de ce jour.
Tous deux disent la même chose: le programme n'est pas financé et ne prend pas en compte l'état actuel des finances publiques et de l'économie.
- on peut aussi faire un tour sur le site du Figaro Magazine, mais là il s'agit d'un journal de droite.