mercredi, juillet 25, 2007
Henri Potier, la littérature jeunesse et l'école
Je sais qu'en écrivant cet article, je vais froisser des inconditionnels, qui ne vont pas manquer de me traiter de pisse-froid. Tant pis, c'est la vie.
Je ne connais rien des aventures d'Harry Potter, ni en livres ni en films. Je ne suis pas intéressé. Mais si d'autres le sont, tant mieux pour eux.
La où je commence à tiquer, c'est quand on me raconte que c'est formidable pour la lecture en France. J'aimerais partager cet enthousiasme, hélas je suis plus que sceptique.
Trop de littérature-jeunesse tue la littérature. Car la littérature-jeunesse, malgré ses qualités, présente deux énormes défauts :
> ces héros sont la plupart du temps des jeunes auxquels le lecteur peut s'identifier, cela empêche la prise de distance et peut se révéler traumatisant, ou au moins déstabilisant, pour de jeunes lecteurs. De plus, cela tue un des plaisirs de la lecture qui le dépaysement, le transport. On ne court pas ce risque avec l'Iliade, ce qui ne l'empêche pas, suivant les mots d'Homère, d'avoir ému des "générations nombreuses comme les feuilles d'automne".
> la littérature jeunesse infantilise le jeune lecteur, surtout quand le jeune n'est plus si jeune et ne s'en détache pas pour des oeuvres plus subtiles et plus complexes. A cet égard, je ne peux pas ne pas être dérangé par le nombre d'adultes qui lisent Harry Potter. Ce n'est qu'un symptôme parmi d'autres du brouillage des repères, de l'infantilisation des supposés adultes.
Enfin, un autre indice devrait éveiller l'attention, susciter la méfiance du lecteur prudent : l'éducation nationale est lancée depuis quelques temps dans une entreprise de décérébration des élèves, bien analysée par JP Brighelli dans son ouvrage La fabrique du crétin. Or, une des pièces maîtresses de ce programme d'anéantissement de l'intelligence, qui rencontre, hélas, un succès certain, est justement la littérature jeunesse.
On se grandit, on apprend et on prend confiance en soi en se confrontant à des oeuvres difficiles. J'ai eu plus de plaisir à lire Montaigne (à la troisième tentative) que n'importe lequel de mes bouquins de jeunesse.
D'ailleurs, un de mes premiers souvenirs de lecture marquante est d'avoir lu complètement L'archipel du Goulag à 13 ou 14 ans (quand je regarde les vieux tomes bien épais, je me dis que j'en tenais déjà une couche, mais c'est une autre histoire.) Ce fut une grande satisfaction, je n'ai pas eu la même en lisant la collection complète du Club des Cinq.
Je connais la réponse classique : je fais du snobisme d'intello en différenciant vraie littérature et littérature bas de gamme, dans laquelle je range la littérature-jeunesse. Mais, d'une part, c'est une faculté humaine d'exercer son jugement et je ne vois pas pourquoi je me retiendrai de dire que je trouve Homère supérieur à Oui-Oui et que j'ai des raisons pour cela ; d'autre part, il y a dans le reproche de discrimination un mépris injustifié.
En effet, derrière le reproche de discrimination, il y a le raisonnement suivant : si tu juges basse et haute littératures, il est entendu que la vraie littérature est bourgeoise et inaccessible aux pauvres, qui sont trop cons, donc il ne faut pas juger la littérature pour ne pas faire de peine aux pauvres.
Je fais le raisonnement inverse : il y a des oeuvres littéraires de plus ou moins grandes qualités. Mais les grandes oeuvres sont accessibles à tous à condition de le vouloir et de s'en donner la peine. Ce n'est pas l'oeuvre qui se baisse jusqu'au lecteur, c'est le lecteur qui se hisse jusqu'à l'oeuvre.
Evidemment, plus on part de loin, plus c'est difficile, c'est pourquoi il est si important que l'école donne des bases à tous afin que ceux désirent ou désireront poursuivre le puissent ; ça sera toujours le fait d'une élite, mais au moins ne sera-t-elle pas sélectionnée uniquement par le milieu social d'origine. Et je doute que les bases en question se trouvent, sauf comme un passage, une étape, dans la littérature-jeunesse.
Michel Ragon, aujourd'hui vénérable professeur au Collège de France, était jeune ouvrier quand un bouquiniste chenu l'a pris sous son aile. Il a commencé par lire les Classiques Larrousse par ordre alphabétique d'auteur, pas la bibliothèque rose. Autrement dit, c'était un lecteur débutant, mais il a commencé par lire de la littérature de ce qu'il était ou de ce qu'il aspirait à devenir, de la littérature d'adulte.
ces héros sont la plupart du temps des jeunes auxquels le lecteur peut s'identifier, cela empêche la prise de distance et peut se révéler traumatisant, ou au moins déstabilisant, pour de jeunes lecteurs. De plus, cela tue un des plaisirs de la lecture qui le dépaysement, le transport. On ne court pas ce risque avec l'Iliade, ce qui ne l'empêche pas, suivant les mots d'Homère, d'avoir ému des "générations nombreuses comme les feuilles d'automne".
RépondreSupprimerSais-tu qu'au temps où Homère écrivit l'Iliade la religion des Grecs portait à ce qu'ils croient son récit. Les Grecs croyaient aux cyclopes, à Poséidon et toutes ces fadaises. C'étaient des adultes crédules. Tandis que dans Harry Potter les enfants savent bien que ce n'est pas la réalité, les deux récits invitent au même voyage, à savoir l'imaginaire d'un écrivain. Bien sûr si l'on est Européen actuel.
Et je n'aime pas les bobos qui critiquent un livre sans l'avoir lu. Au début j'étais méfiant aussi sur Harry Potter, après l'avoir lu j'ai constaté que JK Rowling était un très bon écrivain. Et comme ton argument est "j'ai lu Montaigne et les classiques donc je m'y connais" Je réponds: idem. Mon auteur préféré est même Hermann Hesse.
A critique, critique et demi : je ne critique pas Harry Potter, que je n'ai pas lu.
RépondreSupprimerJe conteste que l'engouement suscité par un livre pour enfants soit un signe de vitalité de la lecture (c'est ce que nous affirment maints journaux). Je pense même que c'est plutôt un signe inquiétant.
Quant à Homère, ce que pouvaient en penser les Grecs de l'époque ne change rien au plaisir qu'il y a à le lire aujourd'hui. De plus, vous en faites une présentation très simpliste : il y a des Dieux dans Homère, mais ils sont si souvent ridicules ou mesquins qu'on ne peut guère le qualifier de religieux et, sur le fait de savoir si les auditeurs le prenaient au premier degré, je suis plus que perplexe.
Enfin, mon argument n'est pas : "j'ai lu Montaigne et les classiques donc je m'y connais" mon argument est : comme en toute chose, on s'enrichit plus des succès difficiles, comme lire Montaigne, que des succès faciles, comme lire la littérature-jeunesse.
Chers Francois,
RépondreSupprimerVos posts, que je lis religieusement tous les jours avec beaucoup de plaisir, suscitent malheureusement peu de commentaires. Je crois que cela tient à la solidité de votre argumentaire qui en général ne permet pas à vos suiveurs de vous prendre en défaut de raisonnement, quand bien même ils ne seraient pas d’accord avec vous (ce qui alors tient plus au goûts et valeurs de chacun).
Mais comme vous mériteriez plus de commentaires, je fais un effort aujourd’hui.
Et je partage totalement votre réaction vis-à-vis du phénomène Harry Potter, dont moi non plus je n’ai pas lu une seule page (même si je ne nie pas que c’est probablement trde très bonne qualité). Le problème est que la littérature jeunesse, d’aussi bonne qualité soit-elle, a longtemps fait œuvre d’initiation à la lecture. Le Club des Cinq, que j’ai moi-même dévoré avec plaisir et dont je ne me souviens pas du tout aujourd’hui, me servait dans mes vertes années à exercer mon goût pour la lecture, avant parfois de me lancer témérairement dans la découverte de livres plus difficiles d’accès.
Le problème n’est pas Harry Potter, qui est sans doute une excellente série, mais le fait que l’on s’en contente aujourd’hui. Les trentenaires d’aujourd’hui lisent Harry Potter entre deux livres de gare type Amélie Nothomb (que ses fans me pardonnent), et l’on s’exclame sur le nouveau dynamisme littéraire. Entre Homère et Harry Potter il y a pourtant un monde d’écrivains que des amateurs de littérature se devraient de vouloir parcourir.
Le problème n’est donc pas Harry Potter lui-même, il est que l’on se satisfait de la littérature de jeunesse comme toute littérature, qu’elle ne sert plus à initier, mais qu’elle satisfait par elle-même.
Je pourrais continuer par là et dire que l’on satisfait aussi de la musique populaire de la StarAc comme toute musique, mais j’ai peur d’aller trop loin pour les fans d’Amélie Nothomb…
"Michel Ragon, aujourd'hui vénérable professeur au Collège de France, était jeune ouvrier quand un bouquiniste chenu l'a pris sous son aile"
RépondreSupprimerEtes vous prets à guidez ces lecteurs débutants ?
Il faut jouer ce rôle pour susciter l'engouement, pour guider progressivement dans le long et parfois difficile parcours de lecteur ...
Ceci amène une réflexion annexe mais non moins importante :
Le mode de commercialisation des livres ...
Combien de rayon livre d'enseignes connues ont des vendeurs incompétents (pour ne pas dire ignare !).
Tout d'abord, je voudrais également dire que la présente critique serait bien plus pertinente, ou tout au moins illustrée, si l'auteur avait pris la peine de lire les livres.
RépondreSupprimerIl se serait alors peut-être posé une question intéressante : pourquoi un tel engouement pour Harry Potter ? Et je dis bien Harry Potter, sans généraliser à la littérature jeunesse.
J'ai l'impression que fboizard aime généraliser. Il ne me semble pourtant pas que d'autres oeuvres de la littérature jeunesse aient eu le même destin que Harry Potter ?
Il serait peut-être bon que fboizard commence d'abord à chercher ce que Harry Potter a de plus que le reste de la littérature jeunesse en général, avant de disserter sur ce que cette littérature a de moins que les autres.
(Oeuvres de Jules Verne à 11 ans, Zola, Hugo, Stendhal entre autres à 16 ans, Céline, Sartre et Vian à 20 ans, Hegel, Heidegger et Patocka à 30 - je mets ceci car visiblement fboisard ne coçoit pas qu'un amateur de Harry Potter puisse également avoir des lectures classiques)
En quelle langue faut-il que j'écrive ?
RépondreSupprimerJe me fous d'Harry Potter, je n'ai pas envie de lire ces livres. Je n'ai donc absolument aucune opinion sur leurs qualités et leurs défauts, ils sont d'ailleurs très bons à en croire les critiques.
Ce n'est pas Harry Potter qui me dérange, c'est qu'il ait pu y avoir fouletitude de commentateurs pour nous seriner que l'engouement potteriste était une excellente nouvelle pour la littérature ; alors que je pense que ça n'a aucun rapport.
A-t-on dit en son temps que le succès du Petit Prince était signe du regain de popularité de la littérature ?