Je suis en train de lire à sauts et à gambades Le livre noir de la révolution française.
Ce livre me remet en mémoire Augustin Cochin, trop tôt disparu. Il était déjà évoqué dans Penser la révolution française, de François Furet.
Le grand mérite de Cochin, venant après Taine et avant Furet, est d'avoir réussi à s'abstraire du mythe révolutionnaire à la Michelet, «l'histoire du grand On», comme il disait. «On» a rédigé les cahiers de doléances, «on» a pris la Bastille, «on» a massacré en septembre etc .
Cochin a travaillé pour savoir qui était réellement ce «on». Et il a trouvé non pas le mythique peuple unanime, mais quelques meneurs qui réglaient leurs querelles de pouvoir entre eux, puis imposaient leur solution à la foule (1), dès la rédaction des cahiers de doléance.
Il ne s'agit pas d'une théorie du complot : Cochin ne pense pas, comme les contre-révolutionnaires, à une pieuvre franc-maçonne. Mais quand les individus sont atomisés et qu'il n'y a pas de corps intermédiaires (cas du règlement de vote des Etats Généraux de 1788, Cochin est très sévère vis-à-vis de Necker), quelques personnages convaincus et motivés, même peu nombreux, même peu organisés, sont en mesure de prendre barre sur la foule, avec un peu d'intimidation si besoin (Cochin considérait la révolution comme un bloc : la Terreur était déjà en germe dans certains comportements de 1788).
De nos jours, cette situation est bien connue et étudiée : la foule souffre du syndrome du passager clandestin. La majorité n'est point si convaincue ni si extrémiste que les meneurs, mais on espère que ça sera le voisin qui élèvera la voix pour dire à ceux-ci «Nous trouvons que vous exagérez». Ce syndrome est renforcé si les meneurs recourent à la menace et à la violence.
Nous retrouvons ce schéma systématisé par Lénine.
Le grand mérite de Cochin est de s'être attaché aux faits, d'avoir posé les question : qui ? Quand ? Comment ? (2)
Après la réponse précise, Cochin théorise et va vers la sociologie : si de tels meneurs ont pu apparaître, c'est que la société y était prête. Mais il n'oublie pas la contingence, les circonstances. On en revient à Necker : l'organisation des Etats Généraux (par exemple, le vote public) était la porte ouverte aux pires dérives, qui se sont effectivement produites (3).
Au long de cette révolution, la France n'a pas eu beaucoup de chance (4). Jusqu'au 9 thermidor, toutes les occasions de tomber du coté de la modération plutôt que du coté de la radicalisation ont été perdues.
Bien sûr, nous sommes loin de la légende révolutionnaire, nous sommes plus près de la Terreur et du génocide vendéen.
Mais, avec deux cents ans de recul, et aussi parce qu'en vieillissant je déteste de plus en plus la violence et les foules exaltées, je me demande si cette révolution était bien nécessaire.
Après tout, bien des pays ont accédé à des formes démocratiques dont nous pourrions prendre leçon sans de telles violences.
(1) : exactement ce que fait la direction du PS actuel vis-à-vis de ses militants.
(2) : «... il reste à mettre en pratique [cette prise de pouvoir par un groupuscule], sous la forme du tri des personnes, dont le moyen n’est certes pas la discussion philosophique, mais l’exclusion, l’expulsion. Augustin Cochin étudie ainsi le cas de la ville de Rennes. Sur les huit cents délégués des paroisses, il n’identifie que 5% tout au plus de sympathisants des " philosophes ", tous gens de la ville. Comment ces derniers pourraient-ils en imposer à cette masse essentiellement paysanne ? Cochin note la faiblesse de cette masse, composée de gens dépourvus de conscience commune, sans liens entre eux, sans chefs ni conseils, désorientés, bruyants, parfois ivres... La manoeuvre s’exécute en deux temps : des intrus, hommes de main à la solde des tireurs de ficelles, viennent grossir les rangs de cette assemblée déjà bien disparate. Un des agents du " petit peuple " propose alors d’exclure certains membres jugés indésirables. Après un gros tumulte, auquel participent les éléments du bas peuple qui se sont immiscés dans l’assemblée, le coup de force réussit, permettant dans les jours suivants au groupe dirigeant d’imposer l’ordre du jour et surtout de sélectionner les " bons " députés aux Etats Généraux. Le succès de l’opération est foudroyant, d’autant plus que la majorité des délégués des paroisses ne demandent qu’à rentrer chez eux où le travail les attend. Augustin Cochin cite le discours d’un personnage de la loge maçonnique " Parfaite Union " de Rennes (23 juillet 1789) : " Mes très chers frères, le triomphe de la liberté et du patriotisme est le triomphe le plus complet du véritable maçon. [...] Qu’il est beau, mes très chers frères, le jour où un roi citoyen vient annoncer qu’il veut commander à un peuple libre et former de son superbe empire une vaste loge dans laquelle tous les bons français vont véritablement être frères "... »
(3) : c'est pourquoi j'ai une aversion pour la «démocratie participative» de Ségolène Royal, car on sait bien, c'est justement une réminiscence de la révolution, ce qui sort de telles réunions : le débat est orienté par le maitre de cérémonies et ses quelques acolytes dans la foule. Mais, avant le «débat», ils ne représentaient qu'eux mêmes. Après le «débat», ils ont reçu l'onction du «peuple», et les mettre en cause revient à attaquer le peuple souverain, crime de lèse-majesté.
Le «débat» sert donc à sanctifier des opinions qui, auparavant, n'étaient que des idées parmi d'autres.
(4) : si seulement Louis XVI avait été un peu plus ferme au début (comment a-t-il pu tolérer sans répression qu'«on» baladât la tête du gouverneur de la Bastille sur une pique ? Essayez donc de faire pareil aujourd'hui, vous verrez comment le gouvernement, tout républicain qu'il est, réagira), on aurait peut-être eu une transition démocratique plus paisible. Et puis, il restait le conseil de Mirabeau : fuir l'émeute, non pas vers l'est, à cause du soupçon de trahison, mais vers l'ouest et reprendre la pouvoir à partir de la province (c'est exactement ce que Thiers, instruit par le précédent révolutionnaire, fera lors de la commune de 1871).
La France ne s'est jamais remise de la Révolution. Elle en paye encore le prix.
RépondreSupprimerMême dans les commentaires de ce blog, on s'aperçoit que certains raisonnent encore en termes de lutte du peuple (bien sûr représenté par l'Etat aiguillonné par Besancenot) contre les accapareurs !
RépondreSupprimerQui pouvait savoir en 1789, ce qu'allait devenir la révolution française? Le mouvement a été initié par certaines personnes, mais ces meneurs ont été incapables de la contrôler. Comment faire la part entre la volonté et les convictions face aux ambitions et à l'opportunisme?
RépondreSupprimerPersonne n'a maitrisé la révolution, ni Mirabeau, ni Danton, ni Robespierre. Bonaparte est arrivé et a cueilli le pouvoir comme un fruit mûr (ou pourri). Je ne sais plus qui (Mirabeau ?) l'avait prédit : «Tout cela finira en dictature militaire».
RépondreSupprimer«Comment faire la part entre la volonté et les convictions face aux ambitions et à l'opportunisme?»
Je ne suis pas sûr que cette question ait grand intérêt : les motivations des acteurs importent peu en politique, seul le résultat compte.
Et le résultat de la révolution, ce sont des massacres et des guerres, et une libéralisation qui aurait pu advenir sans massacres et sans guerres.
Salut Bob.
RépondreSupprimerTrès bonne année à toi ainsi qu'à FB et aux autres bavards que nous sommes.
"La France ne s'est jamais remise de la Révolution. Elle en paye encore le prix."
S'il n'y avait que la France. Mets un compteur macabre en face des conséquences des modes lancées par la Révolution française que les anciens régimes n'avaient jamais pu réussir à mener à bien :
- la conscription, la levée en masse du peuple qui monte au frontières
- l'État nation
- le nationalisme
- le communisme
- le déclenchement des Prussiens avec l'aide d'un dictateur corse
- leurs combinaisons diverses.
Il a fallu un siècle pour en voir l'épanouissement au XXème.
Peut être cette énumération est-elle la marque du toujours présent chauvinisme français, mais tout de même il y a un peu de cela.
Bonjour Larry, et bonne année à tous.
RépondreSupprimerJe ne pense pas que tout soit négatif dans le Révolution française.
La nation est une bonne chose. Le colonialisme peut être, selon les cas, une bonne chose, une chose neutre ou une chose néfaste. C'est souvent une bonne chose. Les peuples colonisateurs sont souvent ingénieux et industrieux.
Nous ne serions pas ce que nous sommes sans la colonisation romaine. Les Etats-Unis n'existeraient pas sans la colonisation européenne. Le peu de moyens de production, de médecine et d'institutions que possède l'Afrique n'existerait pas sans la colonisation française, anglaise, belge, hollandaise...
Le colonialisme n'a en tous cas rien à voir avec la Révolution. Les peuples se sont colonisés les uns les autres depuis la nuit des temps.
La conscription est une bonne chose. Les historiens du futur verront probablement, dans l'abandon massif de la conscription par les pays occidentaux au XXème siècle, l'une des causes majeures de la décadence de leur civilisation. Si vous n'êtes pas prêt à vous battre pour votre pays, vous n'avez plus rien à défendre.
La première déclaration des droits de l'homme et du citoyen est le fruit de la Révolution. Elle n'a pas pris une ride. C'est l'un des plus grands textes politiques de l'histoire, et aussi l'un des plus beaux textes de la langue française. Il n'y a pas un mot en trop, et chaque mot est juste. Si elle était appliquée aujourd'hui, notre situation serait infiniment meilleure.
C'est, par ailleurs, l'un des textes fondateurs du libéralisme. Je parle, bien entendu, de la première déclaration des droits de l'homme. Pas de ses avatars ultérieurs, et notamment de la dégoulinade droit-de-l'hommiste et communisante de 1945 et des brouettes.
D'autres pays ont institué la nation, la démocratie, les droits de l'homme, sans révolution et sans dictature sanglantes.
Évidemment la Révolution est un méli-mélo - comme les Lumières - où il est difficile de trier étant donné la charge émotionnelle cultivée par tous les bords. Comme disait Mao "il est encore trop tôt".
RépondreSupprimerLa démocratie aussi peut être l'objet d'une très longue discussion que nous ferons peut être par bribes cette nouvelle année.
Pour s'amuser un peu :
ce n'est pas une valeur, c'est une technique de gouvernement et comme telle on peut la discuter.
- Pourquoi faut-il que le Peuple soit souverain?
- Pourquoi faut-il un Souverain alors que la Révolution lui avait coupé la tête?
L'idée du Peuple souverain combinée à l'idée de démocratie majoritaire est ravageuse.
"il a trouvé non pas le mythique peuple unanime, mais quelques meneurs qui réglaient leurs querelles de pouvoir entre eux"
RépondreSupprimerSi vous trouvez brillant d'avoir conclu ceci, je ne m'étonnerais plus du niveau de vos interventions... On voit bien là l'œuvre d'une haine du socialisme sans la moindre culture à coté, toute personne ayant déjà manifesté ou juste fait partie d'un groupe sait bien que la foule n'est pas un bloc avec un but collectif et qu'il y a des meneurs. Écrire un livre pour dire ce genre de banalité, c'en est effrayant... Quant à la Révolution, elle a beau avoir eu certaines conséquences néfastes, cela me parait toujours moins dangereux que la monarchie de droit divin mais ça, vous êtes trop occupé à critiquer ce que vous assimilez à un mouvement de gauchistes façon 18ème siècle pour vous en rendre compte.
Augustin Cochin est aujourd'hui considéré comme dépassé, mais son thème de recherche (la sociabilité sous l'ancien régime finissant et son influence sur la marche de la révolution) ne fut vraiment étudié que dans les années 80-90, ce n'est donc pas si vieux.
RépondreSupprimerDe plus, vous êtes toujours victime du mythe révolutionnaire : la révolution n'a pas délivré le bon peuple enchainé par un infâme tyran. Le jeu des pouvoirs et des contre-pouvoirs sous l'ancien régime était bien plus subtil que vous ne semblez l'imaginer.
D'ailleurs, il existe des monarchies qui sont devenues constitutionnelles sans révolution.
"De plus, vous êtes toujours victime du mythe révolutionnaire : la révolution n'a pas délivré le bon peuple enchainé par un infâme tyran."
RépondreSupprimerJe n'ai pas l'impression d'avoir dit ça... J'ai juste dit que la monarchie de droit divin était une mauvaise chose et que c'est grâce à la Révolution que nous en sommes débarrassés en France, après je ne dit pas que le système qui a suivi était parfait, pas plus que le système actuel, par contre il offre plus de chances de le devenir. Que certaines monarchies deviennent constitutionnelles, je suis déjà au courant, mais ça ne retire rien au coté archaïque de la monarchie.La Révolution a eu des bonnes conséquences, vous ne pouvez pas le nier, elle est à l'origine du monde moderne (avec d'autres événements, mais elle a sa part) et celui-ci n'est pas aussi noir que vous le présentez toujours.
"J'ai juste dit que la monarchie de droit divin était une mauvaise chose." (Matthieu)
RépondreSupprimerEnfin, nous savons maintenant que 99% de l'histoire de l'humanité "était une mauvaise chose", puisque l'écrasante majorité des peuples à travers le monde, à l'écrasante majorité des époques, a été gouvernée par des rois, dont elle partageait la religion.
Dommage qu'il ait fallu attendre le 5 janvier 2009 pour cela. Heureusement qu'une nouvelle aube se lève, que nous passons maintenant de l'ombre à la lumière (copyright Jack Lang) et que l'homme nouveau va désormais advenir.
Juger une époque passée à la lumière des valeurs présentes est un non-sens, hélas fort commun dans notre société anhistorique, moralisante, infantile et naïve.
Super la condescendance, très mature. Et tenter d'apporter quelque chose au débat ça t'intéresse ? Ce serait la première fois mais on ne sait jamais, j'ai beau être très rarement d'accord avec monsieur Boizard, je n'essaye pas moins d'argumenter mes commentaires, ou quand je ne le fait pas c'est que la forme me déplait encore plus que le fond.
RépondreSupprimerJe tiens d'ailleurs à vous signaler que je n'ai pas vécu en 1789, je vais donc avoir du mal à juger avec les valeurs de l'époque, je le fait donc avec les valeurs actuelles, comme toute personne douée de bon sens, car il serait fort présomptueux de se prendre pour un génie au point de dire que l'on sait comment pensaient les gens à l'époque.
Pour une fois, je serai en partie d'accord avec Matthieu : quoiqu'on fasse, on échappe difficilement à l'anachronisme.
RépondreSupprimer"Je tiens d'ailleurs à vous signaler que je n'ai pas vécu en 1789, je vais donc avoir du mal à juger avec les valeurs de l'époque, je le fait donc avec les valeurs actuelles"
RépondreSupprimerJustement, quand on ne sait pas, on ne ramène pas sa fraise.
"car il serait fort présomptueux de se prendre pour un génie au point de dire que l'on sait comment pensaient les gens à l'époque."
A quoi servent donc les historiens et les archivistes qui ont et étudient cette période ?
Une part importante du travail d'historien est d'éviter l'anachronisme. C'est une des fonctions de la critique des sources.
RépondreSupprimerC'est pourquoi j'incline du coté de Bob et de Théo.
Cependant, l'exercice est très loin d'être aussi facile qu'il y paraît. L'exercice est piégé.
C'est pourquoi j'accorde en partie raison à Matthieu.
Surtout qu'il serait un hasard étonnant que l'on aie ici un spécialiste de l'époque qui y a passé des heures en lectures et traductions et qui connaisse parfaitement le mode de pensée de l'époque. Et même si c'était le cas, il existe toujours plusieurs interprétations possibles.
RépondreSupprimerDes traductions de Voltaire ou Montesquieu ?
RépondreSupprimerQuoi ? Comme de par hasard c'est votre activité ? C'est bizaaaaaaarre ! De toutes façons, au risque de me répéter : il y a toujours plusieurs interprétations possibles.
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